Prisonnière du Levant de Darina Al Joundi : May Ziadé, figure littéraire du monde arabe
Dans Prisonnière du Levant (2017), la biographie de la poétesse arabe May Ziadé (1886-1941) nous est contée par Darina Al Joundi, comédienne, scénariste, écrivaine[1] libanaise qui connut l’enfermement comme son héroïne. Le récit s’ouvre et s’achève avec le parallèle qu’établit l’auteure entre les deux destins de femmes libres, inspirantes, engagées, quoique malmenées par leur entourage, au nom des principes et coutumes. « [E]n plongeant dans le passé de May, je suis revenue à la vie, » dit Al Joundi. Entre le prologue et l’épilogue, May, née Marie Ziadé à Nazareth, suit ses parents au Caire en 1907. À l’époque, Le Caire jouit d’une certaine effervescence et l’Égypte paraît comme « l’oasis du monde arabe ».
Le titre du livre, Prisonnière du Levant, n’est ni une hyperbole creuse ni une fausse énigme. Présentée comme « le plus grand amour de Gibran Khalil Gibran », May Ziadé, qui fut journaliste et femme de lettres un temps adulée, a bel et bien été internée par les siens dans l’asile psychiatrique al-Asfourya à Beyrouth. En sous-titre : La vie méconnue de May Ziadé. Quelques vérités seront révélées à propos de celle qui tint un salon littéraire au Caire entre 1913 et la fin des années 1920, qui s’exprima dans les journaux Al-Mahroussa (dirigé par son père Elias Ziyadé), Al-Muktataf, Al-Ahram, Al-Muqattam, et qui donna une conférence à l’université américaine de Beyrouth le 22 mars 1938 alors que, depuis des mois, Dr. Josef, son cousin et premier amour, la faisait passer pour folle.
La jaquette du livre raconte déjà la cassure, le destin contrarié de May Ziadé que les éditions Grasset accueillent dans leur collection « Nos Héroïnes ». Des lettres blanches sur fond rouge scandent un contraste violent, une dissociation brutale. Le calvaire de la poétesse internée sera précisé à l’intérieur des pages : « Le silence, la grève de la faim, la solitude, les violences, les cafards, la nourriture par le nez, les dents cassées, elle n’omit rien. » Une photo de May Ziadé, jeunesse confiante, beauté élégante, orne la partie gauche de la jaquette. Mais insérée en diagonale, l’image laisse entrevoir une fragilité, un déclassement, voire un chaos.
Al Joundi ne se contente pas de présenter une biographie alimentée par ses recherches. « Mes recherches, je les ai commencées dès ma sortie de l’asile au Liban, » confie l’auteure. « Puis, j’ai continué en Égypte. Donc, surtout là où elle a vécu. » Al Joundi intègre également des documents d’époque – fragments de discours, d’articles et d’échanges épistolaires.
Par exemple, cette lettre de Gibran Khalil Gibran, expédiée des États-Unis, qui reconnaît à May Ziadé le statut d’écrivaine progressiste dans le monde arabe et celui de compagne spirituelle alors qu’il ne l’a jamais rencontrée :
« Ma chère May, je sais que tu es la seule à pouvoir réveiller les dormeurs. Fais-le, modernise leur pensée par l’écriture, tu es capable d’être un moteur pour eux. […] May, je sors marcher dans la neige, mais je ne saurais être seul, tu seras à mes côtés ma très chère May.»
Par exemple, ce texte de septembre 1935 intitulé « Ma volonté » qui démontre le combat d’une femme bafouée, mais toujours passionnée:
« J’écris aujourd’hui cette lettre pour dire qu’après inspection complète des lieux, des documents ont disparu de chez moi et des bureaux du journal. On m’a aussi volé des bijoux, j’aurais dû les mettre à la banque, je le ferai avec le reste quand j’irai mieux.
Je vous aime mon Égypte et mon Orient : je vous offre ma vie. »
Le récit se lit comme un scénario émaillé de péripéties. D’ailleurs, Al Joundi travaille en ce moment même à l’écriture du film. Sur fond de contexte politico-social, Prisonnière du Levant restitue le combat à la fois personnel et intellectuel de May Ziadé au Liban et en Égypte afin de faire naître la nouvelle femme longtemps rêvée, imaginée, « une femme maîtresse d’elle-même et de son destin ». Le livre de Darina Al Joundi une fois refermé, il ne reste plus qu’à lire les écrits de May Ziadé, dont « Comment je veux que l’homme soit » (article paru dans Al-Muktataf, février 1926), Bâhithat al-Badia (biographie de la réformiste égyptienne Malak Hifni Nassif), Fleurs de Rêve (poésie lyrique, rédigée en français sous le pseudonyme Isis Copia, 1910), La Finalité de la Vie (Ghayat al-Hayât, 1921) ou La Flamme bleue (correspondance avec Gibran Khalil Gibran, 1959).
Autres écrits sur May Ziadé, disponibles en ligne:
Carmen BOUSTANI. « May Ziadé : vie et écriture ». Bruxelles, Les Cahiers du GRIF, 1990, pp. 163-169.
Waciny LAREDJ. May Ziadé, Le vrai roman d’une femme atypique. Casablanca, Centre Culturel du Livre, 2020.

Agrandissement : Illustration 1

[1] Darina Al Joundi a écrit et interprété au théâtre Le Jour où Nina Simone a cessé de chanter, Actes Sud, 2008.