Billet de blog 4 février 2009

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la lettre de licenciement d'une femme enceinte

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Quelle est l’ampleur des obligations qui pèsent sur les employeurs quand ils licencient une femme enceinte ?

Contrairement à une idée reçue, le licenciement d’une femme est possible dans certains cas. Si par exemple, le Conseil d’Etat, en 1973 , avait fait de l’interdiction de licencier une femme enceinte un principe général du droit, il avait précisé néanmoins que ce principe, « dont s'inspire l'article 29 du livre 1er du code du travail, selon lequel aucun employeur ne peut, sauf dans certains cas, licencier une salariée en état de grossesse, s'applique aux femmes employées dans les services publics, lorsqu'aucune nécessité propre à ces services ne s'y oppose » .

Un principe donc, mais qui n’au aucune valeur absolue. Ainsi, l’article 1225-4 du code du travail dispose-t-il que l’employeur ne peut résilier le contrat de travail d’une salariée en état de grossesse médicalement constatée que s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse ou de l’impossibilité où il se trouve, pour un motif étranger à la grossesse, à l’accouchement ou à l’adoption, de maintenir le contrat.

Dans un arrêt du 21 janvier 2009, la cour de cassation a du procéder à une articulation entre cet article L 1225-4 et l’article L 1232-6 en vertu duquel l’employeur est tenu d’énoncer le ou les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement. Autrement dit, le licenciement d’une salariée en état de grossesse médicalement constatée impose-t-il une motivation particulière du licenciement ? A priori oui, mais on aurait pu penser aussi que l’impossibilité où se trouve l’employeur de garder la salariée pouvait se déduire des énonciations de la lettre de licenciement sans qu’aucune autre précision ne soit nécessaire.

Ainsi, dans notre affaire, la lettre de licenciement mentionnait que la rupture du contrat de travail intervenait pour motif économique et visait le jugement du tribunal du commerce arrêtant le plan de cession totale de l’entreprise et autorisait les licenciements. La lettre précisait même que « ce même jugement a décidé la suppression de 298 contrats de travail dont le vôtre. C’est pourquoi, conformément aux dispositions de l’article L 621-64 du code du commerce et afin de sauvegarder vos droits vis-à-vis des AGS il doit être procédé à votre licenciement pour motif économique dans le mois du jugement sus énoncé. En conséquence, en application de l’article L 122-14-1 du code du travail, nous vous notifions…votre licenciement pour motif économique, du fait de la suppression de votre poste de travail dans le cadre du plan de cession. » Si apparemment l’employeur se trouvait ici dans l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, la cour de cassation n’accepte pas le raisonnement déductif : « Et attendu qu’ayant constaté que la lettre de licenciement ne mentionnait pas l’un des motifs exigées par l’article…L 1225-4 du code du travail (faute grave de la salariée non liée à l’état de grossesse, impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse…), la cour d’appel, qui en a exactement déduit que le licenciement était nul, a légalement justifié sa décision ».

Notons même que la sanction de la nullité du licenciement, sanction la plus lourde de conséquences pour l’employeur, est la conséquence d’une simple omission dans la lettre de licenciement : l’omission d’un des motifs visés à l’article 1225-4.

On peut trouver ce formalisme bien excessif, au moins pour les cas où l’impossibilité de maintenir le contrat de travail se déduit des autres mentions de la lettre de licenciement, telle que l’existence d’un plan de cession totale autorisant les licenciements. Tel n’est pourtant pas mon avis.

Tout d’abord, si je peux me permettre ce syllogisme, la motivation de la lettre de licenciement est une garantie du salarié. Or, la femme enceinte est mieux protégée du licenciement que les autres salariés. Donc, la lettre de licenciement doit être particulièrement motivée et énoncer en tout état de cause les motifs pour lesquels un licenciement d’une femme enceinte est possible. C’est possible que cela soit le raisonnement employé par la cours de cassation.

Ensuite, qu’est- ce qui permet à la salariée, puis au juge, de s’assurer que le licenciement de la salariée entre bien dans les prévisions de l’article L 1225-4 du code du travail si rien dans la lettre de licenciement ne l’indique expressément ?

Enfin, il n’est pas certain qu’en l’espèce, nous nous trouvions dans le cas d’une impossibilité de maintenir le contrat de travail. En effet, le mandataire, dans la 4 ème branche de son 2 ème moyen de cassation expliquait que « la cour d’appel ne pouvait retenir que... ne justifiait pas de l’impossibilité de maintenir le contrat…en se fondant sur la seule circonstance que n’était pas produite aux débats l’annexe III au jugement (du tribunal du commerce) ayant arrêté le plan de cession et autorisé…à procéder au licenciement de 298 salariés non repris à savoir « 79 ingénieurs et cadres, 59 agents de maîtrise, 160 employés et agents de production, dont la répartition par agence figure à l’annexe III » cette circonstance étant inopérante puisque cette annexe faisait seulement état des postes supprimés par catégories professionnelles sans viser individuellement les salariés, sa production étant donc inutile… »

Comment donc être sûr que la procédure de licenciement respectait bien l’article L 1225-4 si, en tout état de cause, aucun document du jugement ne visait expressément la salariée concernée ? Allons même plus loin, est-on sûr que même dans un tel cas de plan de cession entrainant de nombreux licenciement, l’impossibilité de maintenir le contrat se déduit du jugement du tribunal de commerce ?

Non décidément, il me semble que l’exigence de motivation posée par la cour de cassation est bien un moyen pour s’assurer que l’article L 1225-4 du code du travail n’est pas vidé de son contenu. Ensuite, s’il a satisfait à son obligation de motivation de la lettre de licenciement, le débat se déroulera à l’instance sur le bien-fondé du licenciement, c'est-à-dire, en l’espèce, sur l’impossibilité ou pas de maintenir le contrat de travail. Autrement dit, il ne s’agit pas non plus d’une contrainte intolérable pour l’employeur.

(1) Applicable sans texte, il se situe entre la loi et le règlement dans la hiérarchie des normes juridiques. Pour en savoir plus, cliquer ici.

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