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Billet de blog 9 juillet 2019

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Prisonnière du harcèlement, je me suis évadée !

Jeune étudiante en Doctorat, j'ai connu la violence du harcèlement et la souffrance comme conséquence. Mais après une lutte effrénée, j'ai réussi à gagner et retrouver mon humanité. Elle m'avait tellement manqué. Voici mon histoire...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En septembre 2011, j'étais une jeune étudiante venant d'acquérir son Master. J'entamais un CDD d'un an sous la direction d'un ancien professeur, en attendant un financement pour ma thèse avec lui. Jamais je ne réagissais devant la pression qu'il me mettait. Je me disais que c'était moi le problème, je devais être asociale. S'il était si agressif, si brutal dans ses mots, c'est parce que je n'étais pas à la hauteur de ses attentes.

Pourtant, je luttais chaque jour pour le satisfaire. C'est plus tard que j'ai réalisé que ma thèse consistait en fait à le masturber intellectuellement. Jamais il ne m'a aidée, il m'acculait, il était toujours insatisfait. Pire encore, il me mettait des bâtons dans les roues quand j'essayais de m'en sortir. Lorsque je voulais demander de l'aide à l'extérieur, il m'en empêchait. Bien entendu, je ne comptais pas mes heures travaillées au laboratoire et à la maison, le jour de Noël ou le jour de l'an par exemple...

Ce petit « jeu » a duré 1 an. Mon objectif était devenu sa satisfaction. Lui, il était devenu mon bourreau mais en même temps mon sauveur. C'est lui qui avait réussi à m'obtenir le Saint Graal : ma thèse. Et oui ! « Enfin ! » me disais-je. Je n'étais plus cette vulgaire Ingénieur d'Etude sur laquelle il s'essuyait les chaussettes. J'étais une doctorante ! Une thésarde ! A moi les fleurs, le titre, la renommée, le chéquier avec écrit « Docteur ». Il allait enfin me respecter... Mais bien entendu, ça ne s'est pas passé comme prévu.

Ma thèse a débuté en octobre 2012. Après les vacances de Noël, mon directeur de thèse m'a envoyé en formation 5 semaines. A mon retour au laboratoire, en février, il me restait 10 jours de congés à poser. C'étaient des reliquats de l'année dernière que je risquais de perdre. En bonne étudiante, je suis allée le voir à son bureau pour le lui indiquer et ce moment a été le trop plein. Il m'a regardée avec un sourire en coin, droit dans les yeux, l'air amusé et a déclaré : « tu sais c'est TA thèse. Si ça ne se passe pas bien ça te regarde, mais moi je ne continue pas avec toi si c'est comme ça. Je te laisse jusqu'en septembre et si ça ne va pas, on arrête ». Ça m'a brisée. Déjà que je n'allais pas bien, il m'a anéantie. C'est chancelante que je suis ressortie de son bureau. Dans le bus qui me menait chez moi, j'étais encore convaincue que je pouvais faire de mon mieux et le satisfaire. C'est grâce à une conversation avec ma sœur que j'ai compris ce qu'il se passait. Oui, j'étais malmenée par mon directeur. J'ai alors décidé de me défendre, de prendre le taureau par les cornes et surtout, de me réveiller. En réalité, je n'étais plus rien et c'est beaucoup plus tard que je me rendrai compte du chemin à parcourir pour me retrouver.


J'aurais aimé dire à ce moment là que les choses se sont arrangées mais c'est faux...


Réveillée et bien décidée à en découdre, j'ai alors rencontré la directrice adjointe du laboratoire. On m'a répété que mon directeur de thèse avait un caractère bien trempé et qu'il n'était pas méchant dans le fond. Mais j'avais décidé d'en découdre et il allait mordre la poussière. C'est la directrice adjointe qui a prononcé la première fois le mot « harcèlement » mais malheureusement, ce n'était qu'un mot parmi d'autres. Ce qu'elle a proposé à la suite de cette discussion, c'est d'une part un entretien avec mon directeur et d'autre part : je devais travailler pendant quelque temps avec un autre chercheur qui était une femme

Au cours de l'entretien avec mon directeur, j'ai eu l'impression qu'il me poussait des ailes, j'ai vidé mon sac. Je n'avais plus confiance en lui pour mener à bien ma thèse et je ne voulais plus travailler avec. Il a tout assumé, restant fidèle à son caractère. C'était même un héros : « si mes agissements ont pu te permettre de progresser alors je suis content » a t-il dit …. Normale banalisation de la violence...

C'est ainsi que pleine d'espoir, je me suis replongée dans mon travail sous la direction de ma nouvelle encadrante. Je refaisais tout, j'étais motivée, j'avais confiance. "Ca va le faire". Mais voilà ma nouvelle encadrante avait peur de mon directeur alors que c'était aussi une chercheuse. Elle ne lui communiquait pas nos avancées parce qu'elle avait peur de se faire taper sur les doigts. Sauf que c'est quelque chose qu'elle devait faire. Mon directeur s'est donc mis à devenir menaçant. Pour lui, comme il n'avait aucune nouvelle, le travail n'avançait pas. Je risquais donc de devoir retourner travailler avec. On ne savait pas quand cela allait tomber, mais ça allait tomber.

Je me suis rendue à une réunion avec des autres collaborateurs pour discuter mission. Mon directeur était là. C'est alors que j'ai réalisé que les collègues de l'autre laboratoire faisaient exactement le travail que mon directeur m'avait harcelé de faire. Sauf que eux, ils étaient des ingénieurs expérimentés et ils avaient l'expertise. C'étaient ces « eux » que mon directeur m'avait interdit de contacter pour demander de l'aide. A ce moment j'ai réalisé que ma thèse ne m'appartenait plus.

Elle avait été bafouée, salie, par ce type.

J'étais dépassée et bloquée par les événements, il fallait que je tape plus haut, que je sorte du laboratoire. Je ne voulais pas et je ne devais pas revenir entre les mains de mon directeur. J'ai donc décidé de contacter le directeur de mon Ecole Doctorale. Nous avons discuté pendant 1 heure. Il a été le premier à vraiment m'écouter et il a compris. Il m'a tout simplement demandé « pourquoi à votre avis vous a-t-il pris en thèse ? ». Je l'ai regardé droit dans les yeux en lui répondant que je ne savais pas, que je ne connaissais pas cette raison. La fameuse raison...

J'ai donc repensé à ces moments où mon directeur était assis à coté de moi, où son bras frôlait ma poitrine quand il utilisait la souris de l'ordinateur. Ce moment où il m'avait balancé « Ne dis pas oui avant que j'ai pu finir de poser ma question. Si je t'avais dit de courir nue dans la rue, tu ne l'aurais pas fait ». Ce moment où il m'avait appelé « coquine». Ce moment où il avait trouvé bon goût de me parler des fous qui se masturbent dans le RER alors que nous étions à table. Ce moment où il m'a lourdement incité à boire alors que nous étions en mission. Voilà la raison. Cette fameuse raison. A ce moment là, j'ai admis que s'il m'avais pris en thèse après "mes 1 an" de CDD, ce n'était pas pour mes qualités intellectuelles, mais bien pour se masturber que ce soit dans son sadisme ou sa perversité. Nous étions alors passés du harcèlement moral au harcèlement sexuel. Que faire ? Rien, sinon me protéger de ce grand malade. Une poursuite judiciaire ? Ça m'aurait bannie de tous les laboratoires de recherche et je voulais encore faire une thèse. De plus, je n'avais pas la force et personne n'aurait voulu d'une thésarde qui attaque son directeur pour harcèlement, parce que c'est quelque chose qui est accepté. Oui, le harcèlement moral ou sexuel envers des thésard(e-s) est accepté...

Des histoires liées au harcèlement sexuel avec attouchements, il y en a ! et les mecs sont toujours là, intouchables.

Après mon entretien, je suis retournée à mon laboratoire la peur au ventre. Honnêtement, je ne sais plus comment j'ai fait pour tenir le coup tellement j'étais seule. Par peur, les autres doctorants ne voulaient plus me parler. J'avais ouvert la boîte de Pandore. La rébellion contre son directeur de thèse est rare, très rare. On ne proteste pas, on ne se relève pas face à son directeur.

Le directeur de l'Ecole Doctorale m'avait demandé de ne pas dire à mon laboratoire que je l'avais vu. En effet, l'Ecole Doctorale étant une autorité supérieure au laboratoire dans la gestion des doctorants. Mais qui était directeur adjoint de l'Ecole Doctorale ? Le second directeur adjoint du laboratoire et... qui était un grand ami de mon directeur de thèse ! Bien sûr il lui a tout vendu. C'est devenu alors ma faute si j'ai prévenu l'Ecole Doctorale. Ils m'ont écrasée, pressée comme un citron. Du coup, il fallait que je rétablisse le contact avec mon directeur et que j'envoie l'avancée de mon travail à toutes les autorités du laboratoire. J'ai donc écrit un document où j'expliquais par A + B comment mon directeur de thèse m'avait empêchée de faire mon travail. J'en étais fière même si je subissais chaque jours ses attaques que je rendais coup pour coup.

J'avais tout fait pour éviter au maximum le laboratoire : jours de congés, formation, arrêt maladie, mais je devais revenir à chaque fois. La voix de mon directeur était devenue un coup de poing dans le ventre. On me répétait : "fais profil bas, il faut qu'il soit content" ou "tu sais, c'est qu'une thèse, c'est pas grave". Mon directeur avait déclaré « l'urgence de la situation, et que je fournisse des résultats »... Il s'était aussi arrangé pour convoquer les membres de mon comité de thèse. C'est un groupe de chercheurs extérieurs du laboratoire qui évalue la thèse et qui, le cas échéant, décide de son arrêt. Il s'était arrangé pour ne convier que des "amis" à lui.... S'ils décidaient d'arrêter ma thèse, il ne me restait plus rien. La conclusion aurait été « Vous n'avez pas les capacités », point final. A ce moment mes souvenirs sont durs et j'ai du mal à me repérer dans le temps.

Je me souviens que la dernière fois où j'ai parlé à mon directeur, je l'ai poussé à bout. Je lui ai tout balancé en pleine face, tout ce qu'il n'avait pas fait, tout ce qu'il avait fait. J'ai été d'un calme olympien et lui s'est mis dans une colère folle. Il avait simplement perdu le contrôle. Ce moment a tout simplement été jouissif.

Puis j'ai cru que la providence était venue sonner à la porte. Ayant eu vent de mon état mental alarmant, la directrice adjointe de mon laboratoire me recommandait une visite à la médecine du travail. J'étais sauvée ! Lui pourrait statuer de mon état. Il pourrait dire que je suis victime de harcèlement !

Je me suis livrée. Je l'ai supplié en larmes de me sortir de là. Je n'étais plus humaine, j'étais une loque. Alors il m'a dit que j'avais besoin de repos. Ça tombait bien, je partais en vacances. Il a aussi écrit une note à l'attention de mon médecin traitant. Je pensais alors que j'avais tout fait, que c'était fini. Fini les attaques, fini de devoir lutter. Mais non...

Lorsque je suis allée voir mon médecin traitant et qu'elle m'a lu la note, j'ai cru qu'on voulait m'enterrer vivante. La lettre du médecin du travail stipulait que j'étais dans un état dépressif et qu'il fallait me mettre sous-antidépresseur, afin qu'après mes vacances je retourne au laboratoire ! Heureusement, mon médecin traitant ne comprenait pas en quoi il était nécessaire de me mettre sous antidépresseur alors que l'origine de mon mal-être était clairement identifiée. J'ai alors regardé mon médecin et je lui ai demandé de me sauver parce qu'il n'y avait plus qu'elle qui pouvait me sortir de là. Elle m'a alors fait un certificat où elle déclarait que je faisais un « "syndrome anxio-dépressif réactionnel sévère", et que pour ma santé il ne fallait plus que je mette les pieds dans mon laboratoire. Ce papier, ce simple bout de papier a été mon salut. Je l'ai envoyé à tous les gens, toutes les autorités concernées et je ne suis plus jamais revenue dans mon laboratoire.


J'étais enfin libre. Plus de compte à rendre.

J'étais en vacances quand le responsable du projet m'a appelé. Il m'a dit que mon courrier avait été un coup dans la fourmilière et que tout le monde s'était réuni pour discuter. Ils m'autorisaient à changer de thèse, changer de laboratoire, changer tout.

Aujourd'hui, je ne suis pas Docteure. Les événements ont voulu que mon nouveau directeur de thèse n'avait pas les compétences pour m'encadrer, ni le temps d'ailleurs. Seulement après un an et demi de pression, de mécontentement, de remise en question... Seulement un an et demi après de pures moments de joie bien sûr …

Je me souviens du soir où j'ai compris que mon nouveau directeur était largué. Je le regardais examiner mon programme informatique et il rabâchait encore les mêmes trucs en s'agitant. Et là je me suis dit « OMG ! Mais il est totalement largué en fait ! C'est pour ça qu'il est si agressif envers moi ! ». Sauf que je n'en étais pas à ma première thèse. J'avais déjà donné ! Je m'étais déjà relevée une fois. J'avais déjà abandonné une thèse, je pouvais le faire avec une seconde. J'ai eu alors une période de crise où j'ai voulu refaire ma vie ailleurs mais ce coup-ci, c'est l'amour qui m'a sauvé. J'ai pu rester jusqu'à la fin de mon contrat afin de pouvoir toucher les allocations chômages et je suis partie.

J'aurais bien des choses à rajouter mais je crois que l'essentiel est là. Après mon départ du monde de la recherche, j'ai entamé une psychothérapie que je poursuis aujourd'hui  encore, et cela m'aide beaucoup.

Au cours de ces années passées dans la recherche, et même avant lors de mon Master, j'ai vu et j'ai entendu des choses qui, malheureusement je le sais, se poursuivent aujourd'hui. Ayant été victime de l'une d'entre elles, je veux éviter à d'autres ces moments de souffrances, ces mêmes blessures, ces mêmes déceptions. Je suis une femme mais il y a aussi des hommes qui sont concernés. On n'imagine pas la détresse morale dans laquelle on peut tomber au cours d'une thèse. J'ai des anciens potes qui sont devenus alcooliques... J'ai vu une ancienne amie devenir réellement colère, le visage déformé par la haine et la rancœur, en évoquant son directeur.

Moi même en matière de misogynie, je n'en suis pas à mon galop d'essai. Si seulement je n'avais pas rempli 5 pages ! Il y a tellement à dire car malheureusement, il y a tellement d'abus. Aujourd'hui je ne suis pas chercheuse, je ne suis même plus dans la recherche, et j'en suis très heureuse car j'ai retrouvé mon humanité. Elle m'avait tellement manqué. Merci encore si vous avez lu entièrement mon histoire, j'espère que cela pourra aider certaines personnes qui vivent la même violence au quotidien.

Témoignage réalisé en janvier 2018

Edition de témoignages « Ecrire pour exister »

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