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Dans le premier article à lire ici, Divine témoigne de sa vie au Congo-Kinshasa jusqu’à sa fuite en France pour mettre sa vie en sécurité après avoir dénoncé un vaste réseau de trafic d’organes dans son université. Dans le deuxième article à lire ici, dont nous précisons la difficulté de le lire, Divine raconte les violences sexuelles qu’elle a subi de la part de plusieurs hommes appartenant au réseau de trafic d'organes. Dans ce dernier billet, Elle témoigne des difficultés et des souffrances endurées en raison du statut de demandeuse d‘asile, un témoignage permettant de mieux comprendre la dure réalité des réfugiés en France.
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Malgré l’ensemble des agressions et des violences, tant physiques que sexuelles, que j’ai vécu au Congo, ma vie est toujours en danger. Mes agresseurs n’en ont sûrement pas fini avec moi. Ainsi, pour mettre ma vie en sûreté, je prends un avion pour la France en avril 2023 grâce à l’aide de mon petit ami.
Lorsque j'arrive à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, je suis accueillie par des compatriotes congolais. C’est un proche de mon petit ami qui les a contactés pour m'héberger. J’habite avec eux pendant quelques jours. Ensuite, je suis parti à la SPADA (Structure du Premier Accueil des Demandeurs d'Asile). C'est une association auprès de laquelle les réfugiés arrivés en France doivent se rendre pour obtenir un rendez-vous au guichet unique afin d'enregistrer la demande d'asile sur le territoire français. Cependant, ma date d’enregistrement est attribuée dans un mois ! 4 longues semaines à attendre dans un pays que je ne connais pas, sans savoir où me loger et où manger.
Heureusement, la SPADA m’oriente vers l’accueil de jour de l’association Emmaüs. Je rencontre de belles personnes là-haut, autant des bénévoles que des réfugiés comme moi. On y passe toutes nos journées. L’association, avec aussi les resto du coeur, nous permet de manger et de prendre une douche chaque jour, puis, le soir, nous allons à la gare pour que le 115 nous récupère. Je peux dire que dans ma grande précarité, j’ai la chance de ne jamais dormir dans la rue. Malgré l’extrême pauvreté et l’avenir incertain, je passe quelques bons moments à Emmaüs car je me fais des amis. Nous étions solidaires entre nous. Avec eux, j'ai réussi, pendant certains moments, à oublier les violences et les traumatismes subis.
Le jour de l’enregistrement à la SPADA, l’institution me trouve une place en hébergement d’urgence pendant un mois dans une autre ville. La condition de demandeuse d’asile, c’est être dans l’instabilité en permanence, c’est ne jamais être à un endroit stable. On nous balance d’un endroit à l’autre pour dormir, parfois plusieurs fois en quelques mois. C’est fatiguant, épuisant, très difficile à vivre car les liens et les amitiés qu'on construit avec les autres s'interrompent trop souvent.
Donc, le jour de mon enregistrement, on me remet une carte ADA de l’OFII. C’est une carte qui me permet d'avoir un peu d’argent, soit 200 euros par mois mais avec 15 euros de caution à payer, donc 185 €. C’est peu, mais toujours mieux que rien. En hébergement d’urgence, tu n’as le droit qu’à 6 jours d’absence, avec 185 euros pour t’acheter à manger (en complémentarité des colis alimentaires où on te donne les restes que les gens ne veulent pas) et pour payer les transports en commun qui sont très chers. C’est vraiment très difficile de tenir financièrement et mentalement. Tu ne peux pas t’évader du stress quotidien.
Ensuite, on m’a encore déplacé dans une autre ville pour me loger dans un autre hébergement d’urgence. Deux mois plus tard, l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) me convoque pour évaluer ma demande d’asile. Je parle de mon histoire à deux agents et ils me posent plein de questions. Le plus dur dans la demande d’asile, c’est de raconter son histoire, encore et encore, dire dans les moindres détails les violences et les traumatismes que tu as subis, et devant toi, tu as des agents qui te posent plein de questions, sans empathie, pour vérifier que tu ne mentes pas, et si tu as le malheur de raconter quelque chose différemment, ils pensent que tu es une menteuse. On te juge, on remet en cause constamment ton récit. Pour moi, cette journée est donc l’une des plus dures de ma vie. Quelques mois plus tard, j’apprends que ma demande d’asile est refusée. C’est tout un monde qui commence à s'effondrer autour de moi. Qu’est-ce que je vais devenir maintenant ?
Pour ne pas changer, l’OFII m’oriente encore une fois dans un autre centre d’hébergement. Au début, je refuse d’y aller car c’est situé dans un village, loin des grandes villes. Cependant, n’ayant pas vraiment le choix, je change d’avis, et heureusement… Dans ce nouveau centre, je rencontre de merveilleuses travailleuses sociales. Avec elles et mon avocate, on réalise un recours à la CNDA (Cour nationale du droit d'asile) pour tenter d’avoir un titre de séjour. L’espoir renaît, mais l’attente est très difficile. Je ne dors plus, je rumine très souvent. Par chance, mon accompagnatrice est très soutenante. Elle m’oriente vers un psychiatre et une psychologue pour m’aider à aller mieux.
En effet, mon état psychologique se dégrade de jour en jour. Le désespoir s’empare de moi. La nuit, je revis au quotidien les scènes de violences sexuelles que j’ai subis, les flash-back me hantent, les ténébres s’emparet de moi, je vois tout en noir. J’ai l’impression que ma vie s’est arrêtée le jour de mon agression, je suis comme un fantôme dans un corps. Je pense régulirement au suicide. Pourquoi continuer à vivre ? Je n’ai pas de papier, je ne sais pas comment je vais vivre ? Je veux juste retrouver la paix intérieure, celle que j’ai perdu après mon agression. J’envisage de prendre plein de médicaments que le psychiatre m'a prescrit pour retrouver la paix intérieure. On désire m'hospitaliser. De plus, depuis que je suis en France, soit 1 an et demi, je n’ai plus de nouvelles de ma famille. Elle me manque terriblement.
Je suis fatiguée, fatiguée d’attendre une réponse de la CNDA. L’attente est si longue, la fatigue est physique, psychologique, morale. Être réfugiée, c’est subir une pression permanente, quotidienne. On gère les choses pour toi, tu n’as plus la maîtrise de ta propre vie. Heureusement que mon éducatrice, ma psychologue et mon psychiatre me soutiennent beaucoup. Progressivement, je vais un peu mieux, certaines choses s’améliorent, notamment avec ce 2 juillet 2024.
Cette date, c’est le jour de la réponse de la CNDA pour ma demande d’asile. Je suis angoissée. Je n’ai pas dormi la veille. A 11h, j’ai la réponse. Le matin devient est un jour sans fin. Le stress monte. Ma référente m’a dit qu’elle sera là, avec moi, malheureusement, son travail l’a mise en retard. 11H01, toujours rien sur internet, pas de réponse de la CNDA. Il est maintenant 11h05, toujours rien. A 11h15, je reçois un appel. Le numéro est le fixe du centre d’hébergement, c’est surement ma référente, mon coeur s'emballe :
- « Allo ? »
- « Divine ! C’est moi ! La CNDA accepte la demande d’asile ! C’est 4 ans ! 4 ans ! »
Je laisse tomber le téléphone sur le sol. Mes jambes sont molles. Je crie partout dans l’appartement pendant des minutes jusqu’à réveiller les voisins. Les larmes coulent. Je suis heureuse et à la fois triste, plein d’émotions contradictoires traversent mon corps. Plusieurs dizaines de minutes après, ma référente est arrivée au centre, on s'enlace toutes les deux. Elle me prend dans ses bras. Heureuse, mais triste à la fois de n’avoir presque personne avec qui fêter cela, ma famille n’est pas là. J’essaie d’avoir de leurs nouvelles par un ami au Congo, mais il me dit qu’ils ont déménagé. J’espère maintenant pouvoir reprendre contact avec eux, les retrouver, leur dire que je suis en sécurité. Mon père, mes frères et sœurs, maman, là où tu es, j’ai réussi. L’espoir renaît. J’ai le droit d’être en France. Je n’ai plus à avoir peur. Je rêve à nouveau de formation, de travail, pour réaliser mon rêve.
Vous savez, moi, ce que je recherche, c’est la paix, celle que j’avais avant mon agression sexuelle. Aujourd’hui, je suis en colère. Je veux me venger contre ces bandits, ou au moins qu’ils payent pour ce qu’ils m’ont fait. Ils ont tué mon être intérieur, ma féminité, je me sens détruite, je ne me sens plus comme une vraie femme, et ils ont détruit mon rêve le plus grand : finir mes études universitaires pour devenir « designer front end » (créatrice de sites internet).
Le but de ce témoignage est de faire du bruit dans le monde entier pour dénoncer ce qu’il se passe à Kinshasa en ce qui concerne le trafic d’organes. Des vies de femmes et d’hommes sont en jeu. Je réalise ce témoignage aussi pour donner courage aux femmes qui, comme moi, ont subi des violences sexuelles et qui n’osent pas en parler, par peur ou par honte. Je veux que les femmes puissent reprendre des forces et se dire qu’elles ne sont pas seules. Elles peuvent aussi dénoncer leurs bourreaux. C’est pour cela que j'écris ce témoignage en espérant qu’il soit publié dans le monde entier pour pouvoir sauver des vies.