Billet de blog 10 mars 2015

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Quand le gouvernement fait rimer refondation avec mutation

 Dans l'entourage de la ministre de l'éducation nationale on parle d'un « signal fort ». La mesure numéro 4 proposée par le comité interministériel vendredi 6 mars afin de « renforcer la mixité sociale » met les éducateurs prioritaires en émoi. 300 euros de prime supplémentaire viendraient récompenser celles et ceux qui décident de rester plus de 8 ans dans les établissements les plus difficiles (voir ici).

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Dans l'entourage de la ministre de l'éducation nationale on parle d'un « signal fort ». La mesure numéro 4 proposée par le comité interministériel vendredi 6 mars afin de « renforcer la mixité sociale » met les éducateurs prioritaires en émoi. 300 euros de prime supplémentaire viendraient récompenser celles et ceux qui décident de rester plus de 8 ans dans les établissements les plus difficiles (voir ici).

Avalanche de cadeaux ?

Jusqu'à vendredi dernier et depuis la mise en route de la refondation de l'éducation prioritaire, le fait d'enseigner dans les établissements les plus difficiles (la liste réactualisée en décembre dernier est fortement contestée, voir ici) ouvrait déjà à un certain nombre d'avantages . Lors de leur annonce et avant que des décrets viennent en préciser le sens profond et surtout les modalités d'application, beaucoup y voyaient une vraie reconnaissance. Chaque heure de cours était en effet pondérée par un coefficient de 1,1 (un enseignant certifié passait ainsi de 18 à 16h30 de cours) et sa prime « éducation prioritaire » augmentait jusqu'à 100%.

Pourquoi dès lors promettre un nouveau cadeau quand on a déjà tant "gâté" les éducateurs prioritaires?

 Tout d'abord, au delà du bel affichage certainement très efficace auprès du grand public, les principaux intéressés ont découvert ce que cachait concrètement le joli papier d'emballage. La pondération n'est définitivement pas une décharge. On ne cherche pas à alléger la masse déjà considérable de travail, au contraire, on cherche au mieux à la réorienter au pire à l'alourdir. La très grande majorité des chefs d'établissement ont imposé 1h30 de « travail en commun » c'est à dire entre adultes. Un projet de circulaire très contestée (voir ici) permettrait de plus aux chefs d'établissement de déroger au seuil maximal d'heures supplémentaires (un enseignant pourrait ainsi se voir imposer deux heures hebdomadaires de cours supplémentaires).

 D'autre part, l'augmentation en apparence mirobolante de la prime doit être mise en perspective avec sa valeur initiale, plus que modeste : augmenter de 100% une prime de moins de 100 euros ne fait pas peser le risque (ou le bonheur) de payer l'impôt sur la fortune. Pour mémoire, les recteurs ont reçu pour Noël une augmentation de leur prime de 65% qui équivaut à.... 10 000 euros supplémentaires annuels.

Des élèves pas vraiment prioritaires

Au final, si récompenser les enseignants, même modestement semble être une bonne chose, qu'en est-il des élèves? Et bien c'est là que le bas blesse. Même parmi les établissements les plus difficiles, nombreux sont ceux qui voient leurs heures d'enseignements baisser. Dans les établissements REP+, soit les nouvelles super ZEP, les équipes sont actuellement en train de choisir quels dispositifs ils vont devoir sacrifier pour la rentrée prochaine.

Un certain nombre s'y refusent. A La Courneuve (voir ici), par exemple, au collège Jean Vilar, 56h d'enseignements hebdomadaires disparaissent pour la rentrée prochaine. Depuis jeudi dernier, une majorité des enseignants s'est mise en grève, soutenus par de nombreux parents qui bloquent l'entrée de l'établissement. La mobilisation de ces derniers apparaît particulièrement importante, ils ont d'ailleurs interpellé les élus qui sont venus leurs rendre visite lundi 9 mars. Le président du conseil général de Seine Saint Denis, Stéphane Troussel, ainsi que la député de la circonscription Marie Georges Buffet ont été interpellés par les parents d'élèves qui refusent qu'on amplifie les inégalités du territoire en enlevant des moyens à des établissements pourtant tout fraîchement pointés comme ultra prioritaires. Marie, enseignante au collège, interprète la détermination des parents comme la conséquence d'un « sentiment d'abandon ». Elle explique en effet que cette baisse drastique des moyens d'enseignement oblige l'équipe enseignante à sacrifier des dispositifs d'aide particulièrement déterminants pour éviter le décrochage des élèves les plus en difficulté. Lorsqu'on lui demande si la promesse d'une gratification d'ici 8 ans est une bonne nouvelle, elle répond simplement : « tout l'argent du monde ne fera pas rester un professeur dont les conditions d'enseignement se dégradent».

A Aubervilliers (voir ici), la FCPE se mobilise pour protester contre « des dotations horaires insuffisantes » et manifestera samedi 14 mars devant la mairie de le ville pour exiger « des moyens humains à la hauteur des annonces ».

 Compte tenu de la dégradation de l'offre éducative proposée aux élèves, il devient d'autant plus essentiel et tous les moyens sont bons (même limités par une réforme à moyens constants) pour au moins parvenir à retenir les enseignants chevronnés.

Car dans dans le cas des 10% des établissements anciennement ZEP qui viennent d'être exclus de la nouvelle carte de l'éducation prioritaire, il est déjà trop tard. La fin des bonus de mutation pour les enseignants qui y resteraient au delà de 3 ans, conjuguée à la baisse programmée des moyens sont en train de faire exploser les équipes éducatives (voir ici).

Dès lors, aux yeux d'un grand nombre de collègues, les petits avantages ne compensant pas la dégradation générale des conditions d'études et d'enseignement, le choix de partir devient une évidence. Libération parle de « marée mutante » et Nathalie Brafman du Monde remarque que « les demandes de mutations affluent depuis la suppression des ZEP ».

Seconde vague de mutation à l'horizon

 Mais le plus inquiétant reste certainement à venir. Dans le secondaire, deux mouvements de mutations se succèdent: on peut changer d'académie dans un premier temps, ou changer de département, de commune et d'établissement dans un second temps. Les résultats récents du premier mouvement inter académique sont déjà inquiétants pour les académies les moins attractives qui se vident de leurs professeurs expérimentés. Un nombre élevé d'enseignants ont en effet obtenu leur mutation souvent de manière inespérée compte tenu du blocage des dernières années (la suppression de 80 000 postes sous Sarkozy puis la remise en place de la formation initiale pour les futurs enseignants et donc le gel d'un grand nombre de postes pour les accueillir pendant leur année de stage avaient jusqu'à présent rendu très difficile toute mobilité). Mais cette année, ces deux freins viennent de sauter. En conséquence, une masse de jeunes enseignants débutants frais émoulus du concours ou recrutés comme contractuels vont devoir prendre la direction des académies de Créteil et Versailles. Du coup, c'est la panique au ministère et une catastrophe annoncée dans de nombreux établissements. Les équipes risquent d'être profondément remaniées et rajeunies et surtout on se dirige vers un résultat en parfaite opposition avec l'objectif affiché: stabiliser les équipes. La "mesure n°4" arrive donc à un moment décisif, juste avant le début des demandes des mutations intra-académiques qui vont s'ouvrir à partir de la mi-mars. Elle vise à retenir ceux qui, déçus par la pusillanimité de la refondation, envisagent de changer d'établissement et de quitter l'éducation prioritaire.

Graf de banlieue

 Techniquement, cette nouvelle prime de la dernière chance est en fait une intégration aux « GRades à Accès Fonctionnel » qui se sont ajoutés aux grades les plus élevés existant dans les différents corps de la fonction publique. Le GRAF était jusqu'à présent attribué à un agent, non enseignant, en fonction des conditions précises dans lesquelles il exerçait et uniquement pendant qu’il remplissait lesdites conditions. Si lors d’un changement de poste, les conditions n'étaient plus remplies, l’agent perdait le bénéfice du GRAF et retrouvait son grade d’origine.

Mais envisager de l'étendre au corps enseignant est une nouveauté. Lors des discussions préalables à la publication des décrets de 2014, Vincent Peillon avait déjà ouvert cette nouvelle piste. Il envisageait l’application du GRAF aux directeurs d'école et aux personnels en Éducation Prioritaire tout en leur permettant cette fois-ci d'en conserver le bénéfice au bout d'une période donnée même en quittant leurs fonctions. Ce projet avait alors été critiqué par la cour des comptes et un peu oublié. Cette dernière jugeait dans son rapport « gérer les enseignants » de mai 2013 que « Cette piste n’apparaî[ssai]t pas comme une solution satisfaisante ». car ...trop coûteuse évidemment. A l'évidence, le gouvernement a cette fois ci choisit de ne pas suivre les recommandations de la vénérable institution.

Mais pour rassurer cette instance si pointilleuse sur l'utilisation de l'argent public, il convient de faire un petit rappel. Dans l'enseignement, il n'existe pas de contrat de travail, notre métier n'est régi que par la loi. Or dans ce domaine, la versatilité de nos législateurs n'est plus à démontrer. De très nombreux enseignants ont ainsi vu leurs stratégies de carrière et leurs projets de mutations contrecarrés par la fin soudaine du classement de leur établissement et des bonifications qui vont avec. Croire en la réalité d'une gratification au bout de... 12 ans d'enseignement dans un établissement REP n'engage finalement que celui qui veut bien y croire. Que dire par ailleurs des personnels qui y exercent déjà depuis de longues années et qui ont été successivement ZEP, PEPIV, prévention violence, RAR, ECLAIR ou RRS puis REP et qui devront encore y rester de longues années avant de pouvoir bénéficier du même avantage que de jeunes recrues qui feront leur apparition dans ces établissements à la rentrée prochaine?

Cette mesure n°4 est donc au final très symbolique de la refondation dans son ensemble. Elle suscite d'abord l'enthousiasme car elle fait le bon constat puis commence à décevoir au moment des premières annonces et enfin agacera sincèrement quand on en arrivera à la mise en œuvre concrète.

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