Alors que les académies communiquent, très progressivement et par l'intermédiaire des maires des communes concernées, la liste des établissements finalement inclus dans la nouvelle carte de l'éducation prioritaire, les exclus des ZEP se mobilisent. L'inquiétude (voir ici) des parents d'élèves rejoint la colère des professeurs contre une mesure qui vient finalement sanctionner une réussite. Tous vont en plus bientôt découvrir que ce n'est pas simplement leur établissement qui quitte l'éducation prioritaire: les enseignants aussi vont désormais être incités à en partir.
La droite en a rêvé, le PS l'a fait
Depuis la rentrée de la Toussaint, de nombreux établissements, un peu partout en France (Paris, Bordeaux, Dijon, Lyon, Grenoble, Lille...) se sont mis en grève, souvent rejoints par les parents d'élèves et les élus, pour protester contre leur éviction de l'éducation prioritaire, alors même que notre système éducatif n'a jamais été aussi inégalitaire.
Même la droite n'avait pas osé le faire alors même que Nicolas Sakozy annonçait vouloir « déposer le bilan des ZEP » (voir ici). Elle avait bien amorcé une tentative en ce sens en créant 3 niveaux de priorité (réforme ambition réussite ou RAR en langue éduc-nat de 2006). Pour le niveau 3, l' «ambition» était, à terme... de le faire sortir de l'éducation prioritaire. Mais faute de temps ou de «courage politique», elle s'était contenté de tarir progressivement les moyens de ces établissements.
L'histoire retiendra donc que c'est le parti politique à l'initiative des ZEP qui aura commencé à liquider les premières d'entre elles. Lorsque les collectifs d'enseignants-parents-élus avancent les dangers de déstabilisation d'un équilibre toujours précaire dans lequel se trouve leur établissement, comme pour l'école rue Jenner dans le 13e à Paris (voir ici) ou que leur population est toujours majoritairement défavorisée comme pour l'école de la rue Küss (voir ici), on répond du côté du ministère que les fins de vie en ZEP seront « naturellement » accompagnées et que des moyens palliatifs seront administrés pendant 3 ans, jusqu'à la sortie définitive. Mais consciente du danger de voir se rejouer, après l'épisode des rythmes, une nouvelle crise majeure avec les élus locaux (même socialistes voir ici et là), Mme Vallaud-Belkacem vient de faire une concession: elle a annoncé à l'Assemblée nationale (voir ici) vouloir désormais « prendre en considération des écoles, même si, géographiquement, elles ne font pas partie des REP ». On ressent la fâcheuse impression d'une navigation à vue, calquée sur le niveau de mobilisation des parents et des personnels.
Mais l'angoisse et « l'inquiétude » qui persistent malgré tout (voir ici) nous invitent à considérer un instant les conséquences très concrètes de ces sorties. Ne plus être en ZEP entraine la disparition immédiate du verrou limitant les effectifs; les classes pourront alors dépasser 25 élèves. L'encadrement, les surveillants, les heures allouées pour les enseignements et les dispositifs d'aides aux élèves les plus en difficulté, les projets...tout sera remis en cause et donnera lieu à des marchandages annuels dont l'issue renverra immanquablement les quémandeurs à leur nouveau statut d'ostracisé. Mais surtout, la mixité sociale de ces établissements sera inévitablement remise en cause. Tous les parents acceptant de jouer le jeu de la carte scolaire tant qu'il est contrebalancé par des compensations notables risquent tout simplement de ne plus l'accepter à l'avenir.
D'autre part, un des leviers d'action pour garantir la stabilité des équipes résidait dans les « bonus » de mutation dont elles bénéficiaient pour exercer en éducation prioritaire. Le ministère vient justement de faire paraitre dans le bulletin officiel du jeudi 6 novembre 2014 (voir ici) la réforme de ces bonifications. Une fois n'est pas coutume, ces mesures ne font pas l'objet d'une intense communication. Et pour cause, elles risquent tout bonnement, dans les trois ans qui viennent, de faire fuir de ces établissements tous les enseignants en poste. En effet, par cette réforme, on change les règles des mutations en cours de jeu pour bon nombre d'enseignants. Les déjà malchanceux professeurs sortis de ZEP et plus largement tous ceux, beaucoup plus nombreux, exerçant dans les établissements Prioritaires dont la difficulté justifiaient d'une Valorisation (les APV) se voient annoncer qu'ils ont 3 ans pour utiliser leurs points déjà acquis avant de basculer dans le régime général (soit 10 point par an à l'avenir contre 400 points au bout de huit ans auparavant). Dans l'académie de Créteil, la majorité des établissements du secondaire justifie d'une valorisation aujourd'hui. Après la réforme, ils ne seront plus que 130 sur ...647.
"Je suis venu te dire..."
Naturellement ce changement ne restera pas sans conséquence. Tous les enseignants risquent effectivement de partir sous 3 ans de ces établissements déclassés. Ne pas le faire serait prendre le risque de rempiler pour quinze ans, si ce n'est plus. Cette perspective en réjouira peut-être certains (une fois qu'ils auront digéré la perte de leur prime et la détérioration de leurs conditions d'enseignement) mais pour la grande majorité des enseignants, c'est un départ qui s'annonce. Les parents qui se mobilisent afin que leur petit dernier bénéficie des mêmes conditions d'études que leur ainé ne découvriront que plus tard cette conséquence inattendue d'une sortie de ZEP qu'on leur promettait pourtant douce.
Comme vous ne voulez pas y aller, on va vous empêcher d'en partir
A long terme et passé ce sursis de 3 ans, l'information va circuler : il sera devenu impossible pour un enseignant du secondaire de quitter les académies déficitaires où pourtant la très grande majorité des jeunes enseignants commencent leur carrière. La nouvelle va se répandre d'autant plus vite que cette situation est déjà une réalité pour les professeurs des écoles primaires et maternelles. Du fait d'un concours académique et non plus national, le département de Seine Saint Denis a enregistré au dernier mouvement 279 demandes de sorties pour 1 demande d'entrée (voir ici). Cela fait évidemment réfléchir les candidats aux concours qui choisissent volontairement de ne pas passer celui de l'académie de Créteil. De là découle des taux de réussite très variables d'une académie sur l'autre (Créteil 87% / Paris 44%). Mais dans le cas d'un concours du secondaire qui reste national, ceci risque évidemment d'aggraver la crise de vocation dont on mesure déjà l'étendue, aux vues des très nombreux postes actuellement non pourvus. Quel étudiant s'engagerait dans une carrière d'enseignant s'il apprend que sa première affectation risque de durer entre 15 et 20 ans ?
Bien sur, il restera les établissements ultra sensibles et sensibles (les REP+ et les REP), ceux qui à eux seuls justifient le sacrifice de tous les autres. Les enseignants qui y exerceront seront les derniers à bénéficier de bonus de mutations (ils offriront respectivement 160 et 320 points au bout de 5 ans) et seront les seuls à avoir la garantie d'effectifs limités à 25 par classe. Mais en l'absence de réelles mesures incitatives, comme un véritable «choc indemnitaire» (il est de +100 euros par mois actuellement pour les REP+ et +50 euros pour les REP) ou de très significatives améliorations des conditions d'exercices (actuellement, seulement 1h30 de pondération par semaine et quelques jours de formation pour les seuls REP+), ces établissements ne seront composés que d'enseignants qui sont là pour ...repartir au bout de 5 ans. Comme un aveu, on se contente d'augmenter les postes aux concours, ce qui est un début bien sûr, mais sans réellement se donner les moyens de les rendre attrayants. A ce titre, l'annonce opportune faite aujourd'hui par la ministre d'un concours exceptionnel destiné aux contractuels et offrant 500 postes supplémentaires dans l'académie de Créteil pour la rentrée 2015 est symptomatique (voir ici). Comme si cette nouvelle pouvait remonter le moral des professeurs du 93 qui s'apprêtent à faire grève... demain.
Punir deux fois pour une faute qu'on n'a pas commise est donc le choix qui vient royalement finaliser la réforme de l'éducation prioritaire. Les établissements exclus de ZEP vont donc perdre leurs moyens et leurs enseignants. Pour un gouvernement qui avait comme priorité la jeunesse et le redressement dans la justice, on peut sans aucun doute parler de double faute.
