Depuis les attentats, le ministère de l'éducation Nationale prend des mesures et le fait savoir. A chaque problème sa solution. Aux enseignants démunis, il est proposé de la formation; face aux dérives religieuses, des cours de morale laïque...On corrige ainsi ce qu'on souhaite faire passer pour des dysfonctionnements tout en taisant leur aspect systémique. Dans le même temps, le terme d'apartheid est lancé en pâture à l'opinion publique au risque de tomber dans l'excès inverse, celui des généralisations hâtives et caricaturales. Pendant ce temps là, les éducateurs, prioritaires ou pas, gèrent jour après jour tous les enfants et adolescents de France.
Mixcité
Poser la question de la mixité à l'école et y répondre par des mesures sur la carte scolaire apparaît nécessaire mais largement insuffisant. Permettre aux instances académiques de raccrocher le recrutement des élèves à non plus simplement un seul établissement mais deux, est une fausse bonne solution (voir propositions de NVB). Pierre Merle (voir ici) l'a d'ailleurs très bien illustré. Outre le fait que cela accentuera la concurrence entre établissements, cela va nécessairement pousser un plus grand nombre de familles vers le privé ou la magouille. La question véritable mais qu'on se garde bien de mettre sur la table est celle de l'enseignement privé. Actuellement, ces derniers, sous contrat pour la plupart, récupèrent un grand nombre d'élèves, de plus en plus souvent issus de milieux modestes. La conséquence n'est donc plus simplement une ségrégation sociale mais bien scolaire. C'est d'ailleurs le premier motif invoqué par les familles lorsqu'elles inscrivent leur enfant dans le privé : lui donner un bon environnement d'études, c'est à dire une classe où la grande majorité des élèves est en réussite.
Tous les établissements-ghettos souffrent d'une uniformisation sociale de leur public. C'est un fait. Mais n'oublions pas, et c'est impossible pour ceux qui y enseignent chaque jour, que ce ne sont pas encore des ghettos scolaires. On y trouve toujours et en nombre important des élèves avides de savoirs et de connaissances, en phase avec les exigences de l'école.
Affecter les élèves en fonction de leur situation sociale ne doit donc pas conduire à oublier le critère scolaire. Un enfant peut être, heureusement, de milieu modeste et très bon élève. Il faudrait donc non pas imposer une affectation en direction de ces établissements mais au contraire en extraire une proportion d'élèves issus de milieux modestes et au niveau scolaire faible pour les rediriger vers les autres établissements alentours, privé compris, si c'est le souhait de la famille.
Or le système éducatif fonctionne actuellement à l'inverse. Un seul exemple : les élèves les plus difficiles des collèges tranquilles sont souvent envoyés, après exclusion(s), vers l'éducation prioritaire où, dit-on, « eux, ils savent faire ». A contrario, j'ai déjà évoqué le cas des conseils de discipline en zone sensible qui peuvent servir de bouée de sauvetage pour des élèves en perdition (voir ici). En intégrant un établissement plus favorisé, l'enfant se confronte à une autre réalité qui souvent lui permet d'évoluer positivement. Il faut évidemment que le lieu soit préparé et surtout armé pour prendre en charge ce type d'élèves. Comme le souligne Renaud Epstein, « Aborder la ségrégation à partir des quartiers populaires, c’est prendre le problème à l’envers ». Les ghettos des quartiers sensibles ne sont que la conséquence de l'existence de ghettos favorisés. La loi SRU (25% de logements sociaux) n'est pas appliquée mais doit pourtant montrer le chemin à suivre pour l'école. Pourquoi ne pas imposer un quota d'élèves en difficultés au plus grand nombre d'établissements possible, là encore privé compris?
Rep in Peace
D'autre part, la décision très contestée et contestable d'exclure 200 établissements et les écoles attenantes de l'éducation prioritaire semble avoir été aujourd'hui oubliée, alors même que tout le monde s'agite désormais pour trouver les remèdes miracles à une situation complexe (voir le cas des écoles du Garros ou du collège Gay Lussac). Exclure de l'éducation prioritaire des établissements sous prétexte qu'ils ont « réussi la mixité », c'est d'abord mettre en danger leur fragile mixité. C'est aussi s'interdire la possibilité d'un rééquilibrage ultérieur des populations scolaires. La ministre à elle même parlé "des établissements qui ne sont pas en education prioritaire mais qui le nécesiteraient". Militer pour la mixité sociale, se dire de gauche, tout en supprimant des moyens à des établissements tout juste convalescents dans des banlieues mais aussi dans des zones rurales isolées, c'est prendre un sacré risque, visiblement assumé par le ministère. C'est une gestion de l'urgence, à flux tendu et à moyens constants, mais certainement pas une réponse au problème de fond. Un réexamen de la situation de chaque établissement est promis tous les quatre ans car l'éducation nationale ne doit par être « en mode avion ». Mais ce n'est qu'une politique à réaction. Ça fait du bruit mais ça ne règle pas le problème, ça l'accompagne.
En son temps, la droite avait fait les pires choix. Par les internats d'excellence, elle avait misé sur l'exfiltration des plus « méritants », soit la mesure la plus contre productive qui soit, non pas pour les élèves choisis mais bien pour tous les autres. En libéralisant la carte scolaire, elle a aussi largement accéléré un processus déjà existant de ségrégation socio-scolaire dans les établissements les plus fragiles.
Mais aujourd'hui, les réponses du gouvernement ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Le fait que le président puisse avancer « qu'à écouter les élus, tous les établissements seraient prioritaires » devrait nous faire sursauter. Il assume et revendique sa surdité vis à vis de représentants élus. Dès lors, la refondation de l'éducation prioritaire, ficelée juste avant les attentats des 7 ,8 et 9 janvier apparaît aujourd'hui encore un peu plus inadaptée et dérisoire face à la situation. Claironner que l'on va mettre le paquet sur les ZEP (voir ici) ne résiste pas à l'examen de la situation. Les 350 collèges qui feront partie de l'avant-garde de l'éducation prioritaire viennent de recevoir leurs moyens de fonctionnement pour la rentrée 2015. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le compte n'y est pas. Pourtant, les établissements non REP, qui ont perdu des moyens, ont souvent retenu leur colère car on leur expliquait que c'était pour les transférer vers plus nécessiteux qu'eux. C'est donc leur rendre justice que de leur expliquer comment les moyens qu'ils ont perdu en très grande quantité seront utilisés.
REP+ ...ou moins
Deux problèmes majeurs existent dans ces 350 établissements : l'instabilité des équipes et la difficulté à venir en aide aux élèves en décrochage.
La pondération aurait dû permettre de créer du collectif et de l'entraide, tout en se donnant le temps de prendre en charge individuellement les élèves (aide, dialogue avec les familles, suivi, échanges de pratiques entre personnels...). Or celle-ci est en passe d'être dévoyée (voir courrier chef), faute de moyens suffisants. Un enseignant qui donnait 18h de cours...continuera à donner 18h de cours. Seule différence, les taches annexes seront rémunérées et rendues obligatoires car supervisées par le chef d'établissement. Travailler plus pour gagner plus en somme. Il n'est définitivement plus question de reconnaître la pénibilité des missions spécifiques en éducation prioritaire ni de se donner les moyens de changer les pratiques.
Ce n'est pas non plus la revalorisation de la prime ZEP (aujourd'hui REP ou REP+) qui incitera les enseignants à rester. De 146 euros, elle passera à 192 euros par mois dans les établissements les plus difficiles. 46 euros! Dans le même temps, les effectifs par classe ne bougeront pas ou si peu (dans le 93, le seuil maximal passerait de 24 à 23 élèves par classe). Pendant ce temps là, dans les établissements avoisinants non-prioritaires, les effectifs vont exploser et les heures destinées aux élèves en difficulté vont disparaître.
Les mesures du gouvernement sont scandaleuses à force de tromperie et de manque de moyens. L'annonce des 60 000 postes n'était qu'un arbre qui cachait la forêt, lancée dans la précipitation, sans consultation du ministre de l'époque et sans rapport avec la dette éducative laissée par la précédente majorité. Ce chiffre totem a d'emblée constitué un carcan pour toute ambition de véritable changement. Il s'agissait d'inverser la tendance, mais pas trop non plus. Rappelons que ce sont 80 000 postes qui avaient été supprimés par la droite. Or, le contexte de boom démographique des années 2000 et la nécessaire remise en place de la formation des enseignants ont littéralement siphonné cette nouvelle manne de postes.
Dès lors, les politiques aussi louables qu'elles puissent apparaître ne sont pas financées et surtout ne remettent pas le système, générateur d'inégalités, en cause. Elles deviennent au mieux inopérantes, au pire dangereuses. Car le diagnostique une fois posé, un bon médecin doit prescrire un remède adapté. On ne soigne pas le cancer à coup d'aspirine : à faire insuffisamment, on finit par faire mal.