Billet de blog 6 janvier 2025

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La Fable et le Réel

Aujourd’hui, c’est avec notre époque que je fais entrer en résonance deux fables de La Fontaine.

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Le « parti des gens », ça avait fait un sacré flop. Tout mouillé, on était monté à six pelés. J’ai pêché  sur Front Populaire une pétasse qui voulait vendre du savon artisanal, une autre qu’était là juste pour traiter Onfray de vieux con, et sur Mediapart un troll, un néoplatonicien, un charlatan qui voulait interpréter vos rêves mais qui ne savait guère parler d’autre chose que de lui, et un koala en galère.
Malgré tout, grâce à ce marsupial, cette expérience m’a apporté une chose : Rutger Bregman. Qui fait rêver aux temps où la « civilisation » n’avait pas encore semé dans le monde le germe de la barbarie. Un monde préhistorique, archéologique, anthropologique, la trace ténue de fragiles tribus, de tumulus, d’hypothèses dressées sur le néant du passé. En se rapprochant dans le temps des populations animales, qui fonctionnent normalement, on doit pas s’étonner de ce que les populations humaines débutantes aient fonctionné elles aussi normalement. Le règne d’un instinct tourné vers la survie, s’appuyant peu à peu sur la raison naissante.

On a d’autres traces de ces temps très anciens : les contes populaires. Ésope, Homère, le roman breton, les fabliaux, les contes de toutes les contrées et de toutes les époques, prennent leurs racines dans l’oralité. À l’invention de l’écriture, surgie pour des raisons essentiellement commerciales ou techniques, une possibilité se présente de coucher par écrit le chant des griots, des aèdes, des bardes, de tous ceux qui font métier d’aller de village en village pour donner des nouvelles d’ailleurs, nouvelles aux deux sens du terme : information, et conte.

On trouve souvent les mêmes histoires, dans l’oralité. Pas étonnant. La découverte par homo sapiens de sa pensée, de sa psychologie est apparemment la même partout. Les contes, c’est le début de la philosophie, de la morale, tout naît en même temps. Comme l’homme est le même sous toutes les latitudes, le sourire, le rire, la joie et la douleur, tout cela est pareil partout. Une autre chose qui est pareille, c’est que la vie est une école. Petit ou grand, on apprend. Et on apprend bien à condition que les leçons soient puissantes, et drôles. Un public fait silence, ou au contraire rigole. On peut pleurer au cinéma, en lisant, en écoutant l’aède raconter la guerre, il y a des milliers d’années. 

Illustration 1


Homo sapiens pigera vite ce que Voltaire formulera bien plus tard: « si vous voulez que les chambrières ne fassent pas des cocottes en papier avec votre philosophie, joignez-y de la gaudriole. » (c’est pas verbatim). Homo sapiens pigera vite qu’il faut à la réalité de la fiction.

Allons plus loin ! l’humanité est synchronie, elle est aussi diachronie, comme disent les linguistes. La variété d’un bled à l’autre ou d’une époque à l’autre masque à peine les grands invariants de notre nature. Et donc, une fable ésopique est toujours juste au grand-siècle. Une fable de la Fontaine l’est toujours aujourd’hui. Bien qu’écrits, ces apologues sont imprégnés du bon sens populaire qui toujours fait face à la sottise, à la cupidité et à la cruauté humaine. Et tout cela en déguisant les hommes en animaux ! Autant dire en retournant à la source.

J’ai commencé ici à poster des contes issus de l’oralité sénégalaise. Je vais continuer, en les mettant éventuellement en parallèle avec d’autres contes, d’autres époques et d’autres contrées. 

Aujourd’hui, c’est avec notre actualité que je fais entrer en résonance deux fables de La Fontaine.
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La lice et sa compagne

(une « lice » est une chienne courante)

Une lice étant sur son terme,
Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu’à la fin sa compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la lice s’enferme.
Au bout de quelque temps sa compagne revient.
La lice lui demande encore une quinzaine ;
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu’à peine.
Pour faire court, elle l’obtient.
Ce second terme échu, l’autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.
La lice cette fois montre les dents, et dit :
Je suis prête à sortir avec toute ma bande
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfants étaient déjà forts.

Ce qu’on donne aux méchants, toujours on le regrette :
Pour tirer d’eux ce qu’on leur prête,
Il faut que l’on en vienne aux coups ;
Il faut plaider ; il faut combattre.
Laissez leur prendre un pied chez vous :
Ils en auront bientôt pris quatre.

Deuxième livre, fable VII
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Les Loups et les Brebis

Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les Loups firent la paix avecque les Brebis.
C’était apparemment le bien des deux partis ;
Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée,
Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,
Ni d’autre part pour les carnages :
Ils ne pouvaient jouir qu’en tremblant de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des otages ;
Les Loups, leurs Louveteaux ; et les Brebis, leurs Chiens.
L’échange en étant fait aux formes ordinaires
Et réglé par des Commissaires,
Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats
Se virent Loups parfaits et friands de tuerie,
lls vous prennent le temps que dans la Bergerie
Messieurs les Bergers n’étaient pas,
Etranglent la moitié des Agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avaient averti leurs gens secrètement.
Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant :
Cela fut sitôt fait qu’à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux ; un seul n’en échappa.
Nous pouvons conclure de là
Qu’il faut faire aux méchants guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi,
J’en conviens ; mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi ?

Livre III, fable XIII

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