Fallait-il vraiment tenter l’échappée dans la 2e étape du 96e Tour de France, qui, dimanche 5 juillet, conduisait les coureurs de Monaco (Principauté de Monaco) à Brignoles (Var), sur 187 km et sous 40°? Non.
Mais puisqu’on devrait pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir et cependant être décidé à les changer, dixit Scott Fitzgerald, une kyrielle de cyclistes professionnels a défié la logique, le soleil et le peloton avant que tous trois se vengent et accordent la victoire finale au sprinteur anglais Mark Cavendish. Tu parles d’une surprise. Aussi inattendu qu’une élimination de l’Olympique Lyonnais en huitèmes de finale de la Ligue des champions ou qu’une blessure de Richard Gasquet à la veille de Rolland-Garros. Mais à Mediapart on aime regarder un peu plus loin que la plus haute marche du podium, histoire de vérifier si la vérité ne dissimule pas la réalité. Et nos jumelles de turfistes nous ont permis de distinguer qu’un Français avait pris la troisième place.
Un sprint? Un Français? Sort de ce corps, Laurent Jalabert! Et toi aussi, Frédéric Moncassin! Et toi itou, Jean-Patrick Nazon! Non toi, Jimmy Casper, c’est pas la peine, tu peux rester. Certes, Romain Feillu doit beaucoup à la tradition des pur-sangs de nos meilleurs terroirs cyclistes mais il renoue surtout avec le mythe du routier-sprinteur qu’on croyait enseveli au plus profond de nos collections de L’Année du cyclisme (période Pierre Chany). Ce gars-là, natif d’Eure-et-Loir, mais élévé à la bicyclette dans les environs de Vendôme (Loir-et-Cher), peut vous gagner n’importe quelle course en taillant la route de bonne heure avant de se faire rejoindre mais de s’imposer à la pédale. Un caractère de géant plié en six dans un corps de 1,74 m. Vingt-cinq ans. Un regard de petit malin. Le culot qui va avec. Un sourire de vainqueur. Du genre à rafler le maillot arc-en-ciel de champion du monde, ni vu, ni connu, si les contrôles anti-dopage étaient plus efficaces.
Terminer troisième d’un sprint du Tour de France sans pouvoir profiter, comme les autres fusées du peloton, du travail d’une armée de poissons-pilotes capables de vous décimer la concurrence tels les piranhas un troupeau de bœufs brésiliens traversant le rio Açu, c’est un peu vouloir gravir les marches du palais des festivals de Cannes, en pleine ébullition cinématographique, vétu d’un bermuda crado, d’un tee-shirt France-Football et d’un paire de tongues à marguerite: mission impossible. Feillu l’a fait. D’où l’expression un travail de Romain (à vérifier). C’est exactement de cette manière qu’il a pris trois troisièmes places lors de la Grande Boucle 2008, c’est presque comme ça qu’il en était devenu le Maillot jaune au terme du périple breton Saint-Malo-Nantes et c’est ainsi que faisait l’immense Erik Zabel à la fin de sa carrière quand ses coéquipiers regardaient ailleurs au moment de l’emballage. Pas mal.
A Loudun (Vienne), siège de la maison Agritubel (fabrication d’éléments tubulaires à vocation agricole), qui parraine la formation de notre petit bolide, ses performances provoquent presque plus de liesse que la Saint-Eloi, le patron des garagistes, le 1er décembre. Une référence au pays de feu René Monory, concessionnaire automobile, champion de tennis de table et président du Sénat. Il a encore quatre jours - ignorons le contre-la-montre par équipes de Montpellier - pour ensorceler un peu plus sa ville d'adoption parce qu'après c'est la montagne et grimper, c'est pas franchement son truc au Romain. A lui de se faufiler, donc. Car, pour finir sur une note agreste, histoire de flatter le sponsor, reconnaissons que la victoire d’un Feillu du centre de la France au pays des résineux méditerranéens (pins parasols, sylvestres, maritimes, voire de Salzmann ou d'Alep) aurait quelque chose de rafraichissant.