Billet de blog 5 juillet 2010

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Samuel Dixneuf

Journaliste indépendant

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Le Tour, à livre ouvert.

Cette année, le Tour de France a renoué avec le prologue. Un terme qui invite évidemment à décortiquer le Tour en tant qu'objet littéraire. L'abécédaire (en désordre) qui suit n'est pas exhaustif: à vous de l'enrichir...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette année, le Tour de France a renoué avec le prologue. Un terme qui invite évidemment à décortiquer le Tour en tant qu'objet littéraire. L'abécédaire (en désordre) qui suit n'est pas exhaustif: à vous de l'enrichir...

Prologue : Permet de situer l'action et les forces en présence. Met en place l'intrigue. On y trouve généralement quelques provocations, quelques piques. Les premiers dialogues y sont implicites ou rapportés. Souvent convenu mais pouvant réserver quelques surprises.

Chapitre : On peut envisager des centaines de divisions par chapitre. Une division quotidienne : une étape=un chapitre. Ou une division hebdomadaire. Chaque Tour aurait alors trois chapitres. Une autre structure pourrait être thématique : les étapes de plaine, les étapes de montagnes, les étapes de transitions, les contre-la-montre, les sprints, les échappées...

Unreliable narrator : Le Tour a une structure narrative complexe. Une flopée de narrateurs pour une œuvre collective dont l'authenticité fait débat. C'est ainsi que le Tour relève un peu du religieux. Un narrateur dit-il toujours la vérité ? Non bien sûr, et c'est bien là tout l'intérêt du texte.

Hypertextualité : Chaque Tour est-il un livre en lui-même, ou un chapitre de plus à un vaste ouvrage ? Quoiqu'il en soit, le texte en train de s'écrire ne peut ignorer ce qui s'est dit, ce qui s'est fait et ce qui s'est écrit auparavant. Le Tour est un palimpseste.

Métatexte : Le Tour suscite de nombreux textes qui parlent du Tour. Journalistes, écrivains, commentateurs, ex-sportifs s'en donnent à cœur joie. Le cliché abonde.

Épopée : Si le Tour aime ce genre, les commentateurs en raffolent.

Doppelgänger : Le coureur est toujours devancé par son double (maléfique).

Héros: Il y a les héros d'un jour, les héros tragiques, et les héros éternels (ou presque)

Anti-héros : Le passage de héros à anti-héros est très rapide.

Personnages secondaires : Les sans-grade, les porteurs d'eau, les fidèles équipiers, les oubliés. Ils nourrissent l'intrigue. Certains fétichistes s'en font les exégètes.

Personnages principaux : Une poignée d'irréductibles. Souvent les mêmes. Se renouvellent aussi vite que la classe politique. Pas toujours les plus passionnants.

Les gentils ; les méchants : Le Tour, en bonne tragédie, préfère évidemment les méchants.

Epilogue : Il intervient souvent plusieurs semaines après la fin du Tour. Souvent peu glorieux.

Temps : Le temps du Tour est passionnant. Pendant la course, le lecteur est plongé dans un hors temps délicieux, une torpeur magique. Les commentateurs multiplient les analepses glorieuses ou anecdotiques. Les prolepses sont l'apanage des impatients (nombreuses également).

Espace : Consubstantiel au temps. Son digne écho. Est aussi le pré-texte de digressions multiples visant à faire oublier le temps qui passe.

Style : Epique. What else ?

Rythme : Le Tour est rythme. Rythme des souffles, rythme des jambes qui tournent, du sang qui cogne les tempes moites, des bassins qui ondulent, des têtes qui dodelinent... Nerveux, ample, poétique parfois.

Théâtralité : Le théâtre se prête bien au Tour, qui exacerbe les passions. La tragédie. L'hubris des héros, leur chute tragique, la Némésis des dieux...

Réalisme magique : Le surnaturel n'est jamais bien loin dans le Tour...

Figure (de style) : Comme ailleurs, la métaphore règne en maître.

Dopage : Les écrivains aiment le laudanum, le café, le whisky, la benzédrine, le haschich, la cocaïne, l'héroïne etc. Les cyclistes aussi.

Epigraphe : Exemple :

"Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force.


Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C'est un roman, rien qu'une histoire active. Littré le dit, qui ne se trompe jamais.


Et puis d'abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux.


C'est de l'autre côté de la vie"

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