Parlons cyclisme. Qu’est-ce qu’un échappé? Un échappé, c’est un misérable petit tas de secrets que la victoire ne suffit jamais à lever, un coureur dont on ne voit que le dos pendant des heures, un héros dont vous oublierez le nom aussi vite que vous aviez appris le prénom.
L’échappé est seul par nature mais pas solitaire pour autant. Souvent, il est belge ou néerlandais. Ne me demandez pas pourquoi. Il y en eut d’exotiques, aussi. Mais parfois, c’est tout simplement un gars qui s’appelle Thomas comme ce Voeckler de derrière les fagots (10 jours en jaune en 2004), qui s’est imposé, mercredi 8 juillet, lors de la 5e étape du 96e Tour de France après 184,5 km de baroud entre Le Cap-d’Agde (Hérault) et Perpignan (Pyrénées-Orientales). Nous ne saurons pas à quoi il a pensé pendant tout ce temps. A rien, peut-être, ou à autre chose.
On connaît les grimpeurs: rédempteurs voire doloristes; pessimistes, si ce n’est dépressifs; timides et orgueilleux; convaincu de la faute et du malheur. Il y a des Marco comme Pantani, des Federico comme Bahamontès ou des René comme Vietto. Ils auraient lu Georges Bernanos que ça ne nous étonnerait pas. On connaît les sprinteurs: rigolos comme tout; prompts sans être irréfléchis; menant grand train; un tantinet dragueurs mais pas dupes. Chez eux, on trouve des Mario (Cippolini), des Sean (Kelly) et des Marcel (Wüst). Paul Morand a sans doute leurs faveurs mais plus sûrement Hunter Thomson. De sa condition, l’échappé, lui, ne fait pas tout un roman. C’est un genre de poète nostalgique. Partir? Revenir? Disons que les vers de Louis Brauquier ne le laissent pas insensible et n’en parlons plus.
Une précision: on ne naît pas échappé, on le devient. Et on ne le reste jamais longtemps. Richard Virenque, vous vous souvenez de Richard Virenque? Un pur grimpeur made in Festina. Une idole peroxydée. Seulement voilà: dopage; descente de douaniers; affaire; procès; aveux; suspension. Son retour dans les cœurs, il l’a signé grâce à une des plus belles vadrouilles de l’histoire du vélo avec de vrais morceaux de légende dedans. Paris-Tours 2001. Un bidon, deux tranches de pain d’épices et, zou, c’est parti! 252 km en compagnie de Jacky Durand, sans jamais lever la tête, sans jamais se retourner, vent dans la gueule, peloton aux trousses. Ils ont tenu. Une victoire comme on n’en fera plus. C’était beau. Après, Richard Virenque est redevenu grimpeur. Ca nous intéressait moins.
Il y a aussi des échappées malheureuses mais d’échappé malheureux, point. Un peu déçu, sans plus. Battu, il affirmera que, de toute façon, il n’y croyait pas. Et il recommencera, le lendemain, sous les vivats, mais pas seulement pour faire plaisir à sa maman ou à son sponsor. Quel être singulier! Il a un petit côté Luke-la-main-froide, cet évadé de cinéma au sourire narquois et aux yeux bleus que les geôliers à pit-bulls ne cessent de ramener au bagne à chaque fois plus meurtri mais qui toujours récidive. Inutile de chercher ce qui motive l’échappé. C’est indicible. D’ailleurs, il ne le dira pas. L’espoir n’a rien à voir dans tout ça, bien sûr, parce qu’il a compris depuis le début qu’on peut échapper à tout et même à son destin et même à son percepteur mais jamais à ses fantômes.