Billet de blog 10 juillet 2009

Michel Dalloni (avatar)

Michel Dalloni

Génie civil

Journaliste à Mediapart

Dans les lacets de la Grande Boucle (6). Au nom de la loi

Depuis un moment, à la télévision, la caméra n’explore plus le temps. Présentateurs et consultants itou. L’étrange lucarne ne se souvient plus très bien.

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Journaliste à Mediapart

Depuis un moment, à la télévision, la caméra n’explore plus le temps. Présentateurs et consultants itou. L’étrange lucarne ne se souvient plus très bien.

Résultat des courses: jeudi 9 juillet, les commentateurs accrédités de la 6e étape du 96e Tour de France, Gérone-Barcelone (181,5 km), dévouée à l’Espagne, ont tenté de nous faire croire jusqu’au bout que David Millar, échappé au long cours, pouvait s’imposer face à un peloton plutôt décidé à ce que l’affaire se règle au sprint, histoire de justifier les émoluments des lévriers du macadam. A force de références techniques modernes ("Il est bien en ligne"), d’analyses tactiques de pointe ("Oh, la, la, on ne s’organise pas derrière…") et de considérations topographiques d’Etat-major ("Attention, à la fin, ça grimpe!"), les hérauts du petit écran ont oublié les propositions du théorème de Chapatte.

Robert Chapatte. Né en 1922. Coureur cycliste des années 50. Surnommé "Chapatte-de-velours". Chef du service des sports d’Antenne 2 (toute une époque). Mort en 1997. Son théorème, qui rappelle celui d'Archimède ("Tout corps cycliste plongé dans le Tour de France subit la pression et ressort rincé") mais pas celui de Pier Paolo Pasolini, un poil plus épicé, est formel: en plaine, un échappé solitaire qui ne possède pas au moins une minute d’avance sur ses poursuivants à 10 km de l’arrivée n’a aucune chance d’embrasser les hôtesses du Crédit Lyonnais. Si la faculté demeure muette, l’histoire du sport, elle, a vérifié la pertinence de cette loi vélocipédique. Il n’y a pas d’exception. David Millar savait. Il l’a confessé une fois la ligne passée (en 20e position): "J’habite dans la région. Je connais les routes. J’ai couru à l’affectif." L’affectif et la logique: vaste sujet.

© Garmin

On a donc cherché à nous faire rêver et on nous a menti car nous savons depuis Dino Buzzati et son rapport du Giro 1949 que songe et cyclisme ne roulent pas de conserve. Alors pourquoi insister? Qu’a-t-on voulu nous vendre? Une chimère. Passons. Il suffisait pourtant de nous raconter l’histoire de David Millar, athlète précoce, tatillon, exigeant, rouleur surdoué, écossais frappadingue, perdu dans la nuit, engoncé dans les produits, capable du meilleur et du pire, sa vautrant dans le pire, pris sur le fait, suspendu, désintoxiqué, repenti, en selle à nouveau, en mission. Comme un Marco Pantani qui aurait su dire non. Le vélo étrange machine à remonter le temps, à fabriquer des héros, à produire du mythe (Sisyphe, le progrès, l’éternel retour). N’est-ce pas Lance Armstrong?

Comme quoi s’intéresser à la bicyclette ne doit pas dispenser de réviser ses classiques. Sinon… Exemple: Denis Menchov. Prétendant sérieux au maillot jaune au départ de Monaco, nonobstant la présence des Astana poly musclés, le Russe s’est retrouvé dans la bordure entre Marseille et La Grande-Motte (3e étape), dans la pampa lors du contre-la-montre par équipes de Montpellier (4e étape) et aux fraises (hors sol) le long de la Costa Brava. Il oublie systématiquement de terminer dans le paquet de tête comme tous les ambitieux pédalant de la Grande Boucle doivent s’y résoudre au terme de l’axiome de Merckx. Il préfère flâner. Un cancre. Denis, Denis, tu nous déçois. Il y avait déjà un boulot dingue avec le passeport biologique, si maintenant, en plus, il faut éplucher les bulletins scolaires…