Alors que l'Espagne fêtait bruyamment le premier titre de champion du monde de football de son histoire et que l'Inspection générale des finances publiait en fanfare le rapport le plus grotesque de son existence, Lance Armstrong, qu'on a connu plus expansif, s'est fait tout petit pour célébrer son 1.000e anniversaire.
C'était, dimanche 11 juillet, à l'arrivée de la 8e étape du 97e Tour de France (Les Rousses-Morzine-Avoriaz, 189 km), où il s'est pointé avec 11 min 45 sec de retard sur le vainqueur du jour, le frère Schleck n°1, c'est à dire Andy. La montagne, qui ne fait que commencer (trois cols de pas grand chose), a rendu son verdict: notre septuple ami américain commence faire son âge. Faut dire qu'avant de s'écrouler tout à fait, il est tombé à trois reprises de sa bicyclette dont deux fois pour de bon. Ca à l'air sérieux.
On l'avait vu dans le Pelvoux tracer à travers champs, dans le sillage de Joseba Beloki qui avait oublié de retirer ses jantes carbone avant d'attaquer la descente du col de la Rochette (Tour de France 2003, étape Bourg-d'Oisans-Gap). Chasseur de musette sur les flancs des Pyrénées (Tour de France 2003, étape Bagnère-de-Bigorre-Luz-Ardiden). Assurer le train à travers la plaine. Dimanche, on a vu qu'un vieux cycliste pris dans une chute après seulement sept kilomètres de course, ramasser une nouvelle gaufrette vers Saint-Jeoire (Haute-Savoie) à cause d'une pédale défaillante et mettre pied à terre devant un Basque qui avait coincé le cordon de sa musette dans les galets de son dérailleur au sommet de la montée vers Les Gets. N'importe quoi. «Un champion ne tombe jamais par hasard», disait le Portugais Joaquim Agostinho, qui a fini par en mourir.
«J'ai heurté le sol assez fort. Pas facile de se remettre d'une chute comme ça. Après, c'est allé en empirant. Cela va mal, c'est une mauvaise journée. Mon Tour est fini mais je reste quand même», a dit Lance Armstrong, une fois rendu. «C'en est fini des espoirs de victoire de Lance. Tout s'est mal passé. C'est triste à voir mais c'est la course. Il a été battu par la malchance. Une fois qu'il a vu qu'il ne reviendrait pas, il a baissé les bras», a expliqué Johan Bruyneel, le directeur sportif qui lui sert de complice. «Il a eu plus de malchance aujourd'hui que dans ses sept Tours gagnés», a jugé Frankie Andreu, un de ses anciens coéquipiers. Voilà, c'est fini. Des années de sacrifices et de secrets pour finir tel un pinpin sur le bas-côté de la nocturne du Champ-Blanchard à Distré (Maine-et-Loire), le dossard à la main, les pieds en canard.
Fallait-il croire à son retour? Le problème, c'est qu'il n'y croyait sans doute pas lui-même. Alors? A-t-il succombé à ceux qui brossent sa légende dans le sens du poil depuis des lustres, fatals flatteurs, funestes gazetiers de l'erreur, qui ont fait de son retour la valeur refuge de leur plan épargne retraite? Ou bien a-t-il oublié que le temps n'est pas le meilleur ami du champion, que l'éternité n'existe pas et que l'appât du gain conduit à la faillite? Allez savoir. On préférait Lance Armstrong retiré du peloton au faîte de l'ambiguïté, chargé du poids terrible de son mystère, que looser pathétique et chenu, coudes pansés, genoux bleuis de méthylène, casque de guingois, voix serrée. Encore un peu et on versait une larme. On s'est repris à temps. A part ça, le maillot jaune est revenu à Cadel Evans. C'est autre chose.