Quand une étape de la Grande boucle prend son élan d'un lieu-dit Le Monastère, c'est toujours une arrivée en solitaire. La 13e station du 97e Tour de France (Rodez-Revel, 196 km) s'est donc logiquement achevée, samedi 17 juillet, par la victoire d'Alexandre Vinokourov, anachorète kazakh qui avait fui la rumeur du peloton des mécréants pour se réfugier dans la réflexion. Thème du jour: pourquoi les Ibères sont-ils rudes en général et Alberto Contador en particulier? Le malheureux n'a toujours pas digéré l'attaque de son leader, qui l'avait privé, la veille, d'un succès rédempteur après deux années de suspension pour dopage. Embrassades, mots doux, photos souvenirs n'y changent rien: son cœur saigne toujours, son cintre carbone porte encore les stigmates de sa colère et il a super mal aux guiboles.
C'est que pour tenter d'apaiser son martyre, Alexandre Vinokourov s'est immergé dans le travail. Il a pédalé pendant 189 km sans ronchonner avant d'en mettre un méchant coup sur la meule et de planter tout son monde au pied de la côte de Saint-Ferréol (6% de moyenne sur 1,9 km). L'a pas traîné. Le genre de Kazakh à réfléchir plus vite que son ombre. «On peut dire que c'était la dernière occasion pour moi d'emporter une étape, puisqu'en montagne, si tu veux te donner à 100 % pour ton leader, c'est impossible d'aller gagner. Surtout qu'on va connaître quatre jours difficiles, a-t-il confessé une fois l'ombre des platanes revelois gagnée. J'étais fatigué mais pas dans la tête. Je n'avais pas prévu d'attaquer mais je connaissais cette bosse. Alors, quand j'ai vu les autres accélérer, je me suis dit que j'allais y aller aussi.»
Un ermite puncheur. Ça existe. La preuve. Qu'il soit cycliste ou boxeur, le puncheur se distingue par son aptitude à faire la différence sur un seul coup et par son inaptitude à accepter la défaite. Notre Kazakh, par exemple, déteste prendre des vestes. Les puncheurs ne se déplacent pas en bancs contrairement aux sprinteurs ou aux baroudeurs dont ils sont, par ailleurs, les meilleurs ennemis. En vue de l'arrivée, ils sonnent généralement le glas des échappées de baroudeurs qu'ils boulotent en moins de deux avant d'abandonner les carcasses dans le fossé et désorganisent le train-train des sprinteurs en contraignant leurs équipiers à de dispendieuses poursuites. Bref, on l'aura compris: les puncheurs n'ont pas beaucoup d'amis. D'où le goût d'Alexandre Vinokourov pour la solitude et l'exercice de la métaphysique.
Pour autant, il lui arrive de perdre le sens de la modestie voire de la mesure. A la rédemption, il préfère parfois la revanche. Samedi, alors qu'il gratouillait distraitement la crinière de son lion de peluche, il a dit: «Pour moi être au départ du Tour de France était déjà une victoire. Et ces deux derniers jours, j'ai beaucoup entendu le public me soutenir. Cette étape, c'est une des très belles journées de ma carrière. «Vino» est de retour. Mais je ne veux plus parler de 2007.» Dommage. Dans la même situation, David Millar (153e au classement général) n'a jamais hésité à raconter, à témoigner, à expliquer pour le plus grand bien de son sport et pour le sien. Alexandre Vinokourov n'a rien à gagner à garder le silence, tirer le rideau et nous inviter à circuler parce qu'il n'y a rien à voir et absolument rien à comprendre. Il fait fausse route. Et c'est ainsi que le Kazakh choque.