Laurent Fignon, double vainqueur du Tour de France (1983, 84), lauréat du Tour d'Italie (1989) et de deux Milan-SanRemo (1988, 89), est mort, mardi 31 août, des suites d'un cancer. A la veille de l'arrivée de la Grande boucle 2010 à Paris, un article de l'édition En chasse-patate derrière le Tour lui avait été consacré. Le voici à nouveau.
Il ne lui aura pas fallu longtemps pour comprendre que, malgré tout, Alberto Contador allait conserver le maillot jaune du 97e Tour de France, samedi 24 juillet, à l'issue du contre-la-montre de la 20e étape (Bordeaux-Pauillac, 52 km). Un simple coup d'œil à la cadence de pédalage de frère Schleck, rival officiel du futur triple Maillot jaune, a suffi. Et, de sa voix de père Fouras, il a décrété: «Ouh la, 100 coups de pédale à la minute, ça n'est pas assez pour réussir une grande performance. Il faut au moins tourner à 110.» De fait, quelques minutes plus tard, le grimpeur luxembourgeois s'inclinait définitivement devant le rouleur madrilène. C'est qu'il ne faut pas la lui faire à Laurent Fignon. Deux Grandes boucles au compteur (1983, 1984), ça aide à comprendre la course. Ce n'est pas Laurent Jalabert, qui n'en a gagné aucune, qui dira la contraire.
Pendant ces trois semaines de course, Laurent Fignon aura analysé, conseillé, critiqué, tancé, admonesté sans relâche. Le benjamin des Schleck, porteur du maillot jaune, va chercher des bidons à l'arrière? Il l'engueule: «Mais c'est incroyable, ce n'est pas à lui de faire ça!» Alberto Contador fait rouler les Astana en plaine et se retrouve seul dès le premier col? Il se moque: «Ah bravo, bien joué! C'est curieux, quand même, cette tactique.» Le duo Schleck-Contador fait du surplace dans les Alpes? Il s'énerve: «Je rappelle que pour gagner le Tour de France, il faut attaquer à un moment.» Denis Menchov et Samuel Sanchez restent planqués dans les roues? Il s'emporte: «S'ils n'attaquent pas comment peuvent-ils savoir si les deux autres sont dans un bon jour ou pas. S'ils n'essayent rien, ils ne gagneront pas.»
Ça change des tartines de miel dégoulinantes servies par Gérard Holtz et des bols de soupe tiède proposés par Jean-René Godart. Enfin des commentaires aussi vigilants que ceux des lecteurs de Mediapart. Un régal. Du coup, on a fini par oublier la voix rauque et la tumeur qui l'accompagne. Car Laurent Fignon est malade, victime d'un cancer du poumon. Il a choisi d'en parler en 2009 comme il a choisi de continuer à suivre le Tour de France, loupant quelques étapes pour cause de chimiothérapie. Il a décidé qu'il n'y aurait pas de tabou et évoque l'évolution de sa maladie avec la franchise qui est sa marque. Début 2010, il confiait à Paris-Match: «Malgré un traitement de plus de sept mois, mon cancer a à peine régressé. Je ne suis pas mort, mais pas non plus en voie de guérison (...) Je n'ai pas peur de la mort, je n'en ai juste pas envie!»
Si on parle de Laurent Fignon aujourd'hui, c'est que regarder une étape du Tour de France où les deux premiers du classement général ne sont séparés que de 8 secondes, ça rajeunit. C'était en 1989, sur les Champs-Elysées, et Alberto Contador s'appelait Greg LeMond. Et puis, il faut dire que la fin du Tour approche. L'été est presque fini et les vacances avec lui. Il va falloir se quitter, se dire au revoir et attendre douze mois pour se retrouver. C'est long. Pour patienter, on piochera dans les souvenirs: les attaques grotesques de Christophe Moreau, les attaques félonnes d'Alberto III, les attaques invisibles de Cadel Evans, etc. Mais de quoi tout ça aurait l'air sans la voix-off du père Fouras? Donc, Laurent Fignon, vous avez interdiction de nous laisser tomber. On ne vous l'avait pas dit jusqu'à présent et on avait tort de n'avoir pas osé. Alors, voilà: on vous aime.