Billet de blog 8 avr. 2014

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Pour une réforme territoriale globale

Philippe Noguès, député socialiste du Morbihan, propose une nouvelle architecture des territoires, des régions, des communes et communautés d'agglomération, et la fin des départements.  

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Philippe Noguès, député socialiste du Morbihan, propose une nouvelle architecture des territoires, des régions, des communes et communautés d'agglomération, et la fin des départements.  


Deux siècles après l’instauration des départements, le temps est venu d’adapter l’organisation territoriale de notre pays. Tout le monde en a conscience, mais les obstacles, souvent liés à la résistance de lobbys particuliers, s’accumulent et entretiennent un climat délétère sur lequel prospèrent les mouvements populistes. Dans ces conditions, comment faire pour rétablir la confiance, et pour que la proximité liée à la décentralisation soit vraiment un atout pour la France ?

J’ai toujours été partisan d’une république décentralisée et participative, je crois vraiment que c’est le sens de l’histoire. Mais j’estime, dans le même temps, incontournable – et ce n’est pas contradictoire – de conserver un Etat fort qui, seul, pourra assurer la nécessaire solidarité entre les différentes parties du territoire français ! Sans cette affirmation claire de l’Etat, la régionalisation créerait naturellement et inéluctablement des inégalités entre les citoyens.

Vers une décentralisation... au sein des régions !

Si la région apparaît naturellement comme l’échelon à privilégier pour mener à bien la décentralisation, comment faire pour ne pas reproduire à son niveau ce que l’on n’accepte plus du national et pour que chaque territoire soit représenté équitablement quelle que soit sa position géographique ? Le département apparaît aujourd’hui comme un espace devenu obsolète, beaucoup trop vaste, et surtout qui ne représente pas, ou plus, de véritables bassins de vie. Alors pourquoi ne pas tout simplement donner, à des communautés d’agglomérations rénovées, des pouvoirs renforcés qui en feront de véritables parties prenantes du schéma régional ? Il faudra évidemment pour cela qu’elles deviennent l’incontestable reflet du territoire, en épousant mieux qu’aujourd’hui les contours des bassins de vie... sans forcément se préoccuper des périmètres départementaux ! La région s’appuierait ainsi sur l’ensemble des « pays » qui la compose.

Mais cela ne suffira pas ! Comment faire pour que dans la gouvernance de ces communautés d’agglomérations, chaque partie du territoire, rurale ou urbaine, soit équitablement représentée ? Evidemment la désignation des conseillers communautaires par un vrai suffrage universel direct (pas simplement par fléchage) serait un premier pas important. Mais il ne résoudra pas le sentiment d’isolement et d’impuissance des petites communes vis-à-vis de la ville centre.

Des « arrondissements » au sein des communautés d’agglomérations

La France compte aujourd’hui plus de 36 000 communes pour 65 000 000 d’habitants. C’est le pays qui possède le plus de communes en Europe et 30 000 d’entre elles comptent moins de 2 000 habitants. Est-ce encore raisonnable ? Il faudra, c’est vrai, un incontestable courage politique pour aller vers un mouvement de fusion tel que celui qu’ont su mener nos voisins belges ou allemands.

Alors, en attendant de voir s’exprimer cette volonté (sans la loi rien ne bougera !), je propose de découper chaque communauté d’agglomération en « arrondissements » (1) regroupant plusieurs communes. Chaque arrondissement désignerait ses représentants au sein des instances de la communauté. On pourrait aller ainsi vers un scrutin de liste par arrondissement et vers une représentation plus équitable de chaque partie du territoire, qu’elle soit urbaine ou rurale.

Dans un contexte budgétaire contraint, la suppression des départements, et le regroupement des petites communes dans des arrondissements de communautés d’agglomérations – en attendant une hypothétique fusion à venir –, représenterait une première opportunité de supprimer une partie du millefeuille territorial. Ainsi nous rationaliserons la dépense publique tout en garantissant un niveau élevé de services.

A partir de ces réflexions, la proposition d’assemblées régionales – sur le modèle évoqué par Jean-Jacques Urvoas pour la Bretagne - qui exerceraient l’ensemble des compétences actuellement dévolues aux départements et à la région pourrait sans doute constituer une première base de travail. Mais sans affirmation d’un nouvel échelon à l’échelle des bassins de vie, avec évidemment aussi des compétences spécifiques, nous remplacerons au final un jacobinisme national par un jacobinisme régional ! Et on voit bien le risque de régions en rivalité qui s’affronteraient pour mieux se développer, sans souci d’une quelconque solidarité nationale. Il faudra d’ailleurs bien clarifier la notion de « différenciation ». Jusqu’où pourrait aller cette différenciation sans créer une France à plusieurs vitesses ? On voit bien en Europe l’exemple de pays divisés et affaiblis par des querelles intestines (Belgique, Espagne), remuant des débats identitaires et historiques pour couvrir en fait des réalités plus prosaïquement économiques ! L’objectif d’une République décentralisée, ce n’est évidemment pas que les régions se retrouvent en rivalité les unes par rapport aux autres, mais bien que la France en ressorte, au final, plus forte !

Un Etat fort, garant de la solidarité nationale

Et c’est bien l’objectif des propositions que je formule, face à celles des mouvements populistes qui prospèrent actuellement dans notre pays, et qui se contentent de lancer, en permanence, des anathèmes contre l’Etat, qu’ils jugent responsable de tous les maux. Nous devons décentraliser notre République pour que son fonctionnement soit plus proche des citoyens. Cette volonté de proximité, c’est cela même ce qui m’a conduit à m’investir en politique. Mais ce que je vois aujourd’hui, notamment en Bretagne avec le mouvement des Bonnets rouges, me conduit malheureusement à exprimer une réelle inquiétude sur l’avenir de notre République.

Parce qu’il faut être lucide ! Qui donc défend le plus aujourd’hui le primat de la décentralisation mais propose surtout, en parallèle, l’affaiblissement de l’Etat ? Les partis politiques classiques ? Les tenants d’un fédéralisme qui n’a aucune assise culturelle dans notre pays ? Evidemment pas ! Ceux qui sont derrière ce combat, ce sont bien ceux, dans le monde économique, qui rêvent d’une disparition des Etats au profit d’une Europe libérale des régions dans laquelle ils pourraient agir sans se préoccuper du code du travail ou de celui de l’environnement. Tout au long de ces dernières années, et en Bretagne notamment au travers de l’institut de Locarn, ils ont travaillé pour distiller leurs idées et leurs orientations. Au final, il y aurait bien des gagnants et des perdants, mais devinez qui seraient les uns et qui seraient les autres ! Dans ce contexte, le mouvement des Bonnets rouges est évidemment une bénédiction pour ceux qui souhaitent un affaiblissement de l’Etat.

La France : une communauté de citoyens, une construction politique en évolution

Je propose une véritable république décentralisée qui rapprochera les citoyens des décideurs politiques. L’Assemblée régionale bâtira un schéma à partir des compétences qui seront les siennes et les Communautés d’agglomérations rénovées (ou « Pays ») nourriront et appliqueront ce schéma au plus proche des territoires. Une gouvernance démocratique, et équitable, renforcera la proximité et ramènera, à travers une meilleure lisibilité, la confiance des citoyens dans les politiques qui les concernent au premier chef !

Chaque pays a son histoire. La France s’est bâtie en rassemblant, en unissant ses territoires, parfois sous la contrainte il faut le reconnaître. Mais elle n’est pas un assemblage ethnique, elle est une construction politique, une communauté de citoyens. Elle est le pays des Lumières et des Droits de l’Homme. Unie, la France a su grandir et prospérer et, même si certains croient pouvoir aujourd’hui le nier, la Bretagne, comme les autres régions, en a bien évidemment bénéficié. Alors faisons en sorte de ne pas revenir 500 ans en arrière, au temps des féodalités que d’aucuns semblent regretter, et engageons-nous vraiment vers cette république décentralisée, qui gardera avec bonheur, aux frontons de nos bâtiments publics, sa devise « Liberté, égalité, fraternité » !

(1) Le terme « arrondissement » est utilisé pour une meilleure compréhension du mécanisme

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