« Un coup de force »: François Asensi, député de Seine-Saint-Denis (Front de Gauche) et sa suppléante, Clémentine Autain, s'élèvent farouchement contre le projet de loi de décentralisation en cours d'examen au Sénat. « Si cette loi était confirmée, affirment-ils, elle organiserait une spécialisation spatiale et sociale avec des métropoles actives et des zones de relégation partout ailleurs. C’est tout à fait contraire au pacte républicain. »
Au cœur de l’été, le 23 juillet, l’Assemblée nationale a voté un projet de loi qui réorganise substantiellement les territoires en créant des métropoles dans 14 grandes villes dont Paris, Lyon et Marseille. Nommé sans rire Acte III de la décentralisation, ce texte aboutira à un éloignement des habitants de la décision publique. Car en réalité, c’est la concentration des responsabilités autour des métropoles, la création d’un monstre technocratique et l’instauration d’un Etat PS qui se préparent. Ce projet transforme le cœur de notre République et ses institutions. Il ne peut advenir en catimini, sans que les citoyens ne soient consultés par référendum.
Ce projet de loi affirme dès ses attendus une volonté : créer des métropoles d’échelle européenne qui soient compétitives. Nous ne contestons pas que le territoire soit une échelle pertinente pour développer des projets attractifs et innovants pour les populations, pour le développement économique. Mais nous tenons à l’égalité et sommes opposés à la sélection des territoires. L’Ile-de-France ne sera attractive que lorsque cesseront les discriminations territoriales, le précariat, le mal-vivre, et que la promotion de chaque citoyenne, citoyen constituera la finalité de cette métropole.
Si cette loi était confirmée, elle organiserait une spécialisation spatiale et sociale avec des métropoles actives et des zones de relégation partout ailleurs. C’est tout à fait contraire au pacte républicain qui pose, dans ses fondements, l’égalité entre les citoyens et entre les territoires.
Engagés en Seine-Saint-Denis, nous savons que les inégalités sont très fortes entre les territoires et qu’elles remontent à la façon dont s’est construite la banlieue après-guerre. Nous ne voulons pas le retour du mode de gestion qui a créé ces écarts entre territoires. A l’époque, le pouvoir central avait la main sur l’aménagement et a décidé seul la construction des grands ensembles dans d’immenses ZUP, sans concertation avec les populations et les élus de ces territoires, le plus souvent populaires. A Paris, Lyon ou Marseille, nous devons, cinquante ans après, réparer encore cet urbanisme sans équipements, ni espaces publics, ni transports publics corrects.
Ce qui nous est préparé n’est ni plus ni moins qu’un retour à ce pilotage dirigiste. Hier comme aujourd’hui, la crise du logement est le prétexte de cette concentration des pouvoirs. Et aujourd’hui comme hier, on construira les logements manquants sur des terrains pas chers, loin des équipements et des transports, dans le périurbain aux franges de la métropole. Nous savons où cela nous a conduit et où cela nous conduira. Aux ghettos sociaux, aux vies abîmées, à l’étalement urbain.
Est-ce à dire que nous voulons le statu quo ? Evidemment non ! Nous sommes bien placés pour savoir qu’il n’est ni acceptable, ni soutenable. Notre territoire connaît un fort chômage et des inégalités criantes, malgré un développement économique exceptionnel autour de l’aéroport de Roissy et l’enkystement de poches de pauvreté : nous savons qu’il faut une autre métropole parisienne. Elle doit être démocratique, redistributive, polycentrique. Ce n’est pas ce qui est proposé. Aucune réforme de la fiscalité locale, fondamentalement injuste, n’est engagée : comment accepter que les habitants de Sevran paient une taxe d’habitation quatre fois plus élevée que celle des paradis fiscaux de Courbevoie ou Puteaux ? Aucune véritable péréquation n’est prévue : les droits de mutation, gigantesque manne spéculative de 1,2 milliard d’euros pour les Hauts-de-Seine et Paris, ne sont pas dirigés vers la solidarité pour les villes en difficulté. Et l’engagement financier de l’Etat recule sous le coup des politiques d’austérité. Cette loi dessine un pilotage bureaucratique infernal. C’est l’administration qui va prendre le pouvoir. Le projet de loi veut nous consoler en instituant une réunion annuelle des maires. C’est une plaisanterie. Il faut dire les choses comme elles sont : il s’agit d’une loi de centralisation des pouvoirs, loin des habitants et de leurs élus de proximité. Les maires et les communautés d’agglomérations seront dans les faits dessaisis de leur capacité de décisions.
Enfin, nous ne pouvons pas plus aujourd’hui qu’hier accepter que l’Etat soit organisé en fonction d’intérêts partisans. Or, il faut bien voir que ce projet entend organiser tout le pouvoir autour des élus socialistes des grandes agglomérations. C’est inacceptable. Il est urgent de démystifier cette loi qui n’est rien d’autre qu’un coup de force.
François Asensi, député de Seine Saint Denis (Front de Gauche) et Président de la communauté d’agglomération Terres de France
Clémentine Autain, suppléante du député et membre de la coordination du Front de Gauche