Billet de blog 16 octobre 2008

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La presse, citadelle de la précarité

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En finir avec la gangrène de la précarisation galopante
Les employeurs de presse sont gâtés. Ils constituent un des seuls secteurs d’activité où on ne leur demande pratiquement jamais de comptes sur leur façon de gérer leurs effectifs. D’où le recours massif à des pigistes ou des CDD. La presse est une véritable fabrique de précarité.
Certes, il y a le BTP, l’agriculture, le spectacle qui recourent à des contrats ponctuels ou saisonniers. Les vendanges ne durent qu’un temps. Un chantier ne s’étale généralement que sur quelques semaines ou mois. Et par définition, une pièce, un concert, une exposition ne sont que temporaires et ne tiennent pas l’affiche à l’année. C’est pourquoi il existe des statuts particuliers : CDD, intermittent du spectacle, saisonnier… déjà souvent remis en cause et pas toujours faciles à faire respecter.
Mais un journal, lui, qu’il soit quotidien, hebdomadaire, mensuel, bi ou trimestriel, bref quelle que soit sa périodicité, sort toute l’année.
Or, les CDD ne sont normalement autorisés par la loi que dans certains types de cas bien répertoriés : remplacement, surcroît de travail, etc. et être dûment « motivé ». Surtout, un CDD, qui doit être un acte écrit, ne peut permettre de pourvoir durablement un emploi lié à une activité normale et permanente de l’entreprise. Se reporter à :
http://www.travail-solidarite.gouv.fr/informations-pratiques/fiches-pratiques/contrats-travail/contrat-travail-duree-determinee-cdd.html
Or, les employeurs de presse multiplient les CDD, et ceux-ci ne sont que rarement « motivés », et les « enchaînent » parfois illégalement, faisant juste observer une « carence » de quelques jours au salarié pour « contourner » le droit.


Les pigistes, maintenant. Ils sont une exception dans le droit du travail et en ce sens… un véritable cadeau fait aux employeurs de presse : des précaires, sans contrat, sans obligation de motivation… et la plupart de temps, avantage non négligeable, taillables et corvéables à merci. Certes, un « statut » du pigiste existe puisque la loi 74-630 du 4 juillet 1974, dite loi Cressard concernant les contrats de travail des journalistes stipulait en clair : « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources. » Seulement voilà, si cette loi existe depuis 1974, ses décrets d'applications, eux, n'ont toujours pas été publiés... D'où les dérives auxquelles on continue d'assister...

Aux termes de la loi, pourtant:

les pigistes sont donc des journalistes comme les autres et ils ont des droits. Ils sont salariés, et comme il n'y a pas de CDD de signé, par défaut, ils sont considérés comme CDI au bout de trois collaborations d'affilée. Et ont comme tout autre salarié le droit de bénéficier de congés payés, du 13e mois, des élections dans l'entreprise et dans la profession (auxquels il doivent être convoqués), d'arrêts maladie, de congés maternité... et d'indemnités de licenciement si on leur cesse les commandes ou si on réduit notablement le volume des piges, ce qui constitue une "modification unilatérale du contrat". De plus, ils ont le droit aux Assedic en déclarant le montant des piges qu'ils arrivent quand même à décrocher. Les tribunaux des prud'hommes ont eu à trancher beaucoup d'affaires de ce type et la jurisprudence est assez importante. A tout pigiste, on ne peut que recommander de se mettre en contact avec les syndicats (CFDT, CGT, SNJ, peu importe), ils se sont tous dotés de consultations juridiques spécialisées "Pigistes et précarité".


Pour en savoir plus :

http://www.ccijp.net/

http://www.cyberjournalisme.net/index.php/organismes-medias/775/voir-details

http://profession.pigiste.free.fr/pgp/pigiste.htm
http://comfmpro.com/deliaGo/advancedSearch/26642.html
http://www.snj.fr/rubrique.php3?id_rubrique=10
http://www.snj.fr/article.php3?id_article=249
http://www.homme-moderne.org/societe/media/balbastr/textes/acrimed271098.html
http://www.democratie-socialisme.org/spip.php?article932

Seulement voilà, pour faire reconnaître ses droits dans l’entreprise, le journaliste pigiste doit souvent s’appuyer sur les syndicats, voire recourir aux Prud’hommes… ce qui risque de lui faire perdre sa collaboration … voire craint-il souvent, nuire à sa réputation. De plus, la procédure est souvent longue, il est parfois nécessaire d’aller jusqu’en appel, et certains tribunaux de prud’hommes, connaissant mal ce statut particulier, ont parfois tendance à botter en touche, voire à faire un total contresens sur le contenu réel de la loi Cressard :
http://www.mediasinfos.com/arrets/ccc-08031995.htm

De plus, certains employeurs, ne se contentent pas de ne pas appliquer cette loi et de refuser de traiter les pigistes comme leurs salariés régulier. Ainsi voit-on de plus en plus souvent, notamment dans la presse magazine et périodique, grosse utilisatrice de pigistes, des articles commandés mais non publiés… et non payés, parfois même, il peut arriver à un pigiste venu proposer une idée de papier, de trouver ce sujet traité dans le journal, par quelqu’un d’autre… quand ce n’est 3 ou 4 pigistes qu’on fait « courir » ensemble sur un même sujet…. pour ne garder que le meilleur à l’arrivée. Et, bien sûr ne payer que ce dernier, et bien souvent encore seulement un mois après parution !

Et cela, sans même évoquer les photographes, souvent indûment payés en droits d'auteur (donc avec pratiquement aucune cotisation retraite de la part de leur employeur) qui se retrouvent un jour en reportage, avec tout leur matériel volé, quand ce n'est pas victimes d'un accident corporel, avec aucune prise en charge puisque n'étant pas couverts par le statut de salarié !

Tout cela est bien sûr proprement scandaleux en termes de droit du travail, bien sûr. Mais cela a aussi une incidence non négligeable sur l’exercice même du métier et de la déontologie inhérente à ce métier.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de prétendre ici que les pigistes seraient de « moins bons journalistes » que les journalistes en pied dans une rédaction, ni qu’ils ne respectent a priori moins bien la charte et les principes de leur métier. Mais une chose est sûre : ils sont plus fragiles, plus corvéables, plus dépendants… donc aussi souvent plus exposés à ne pas savoir refuser un article de complaisance, demandé par tel ou tel membre de leur hiérarchie, à ne pas refuser de tomber dans le sensationnalisme si cela doit leur attirer d’autres commandes, voire de meilleures appréciations, à ne pas prendre le temps de croiser et recroiser les informations avant de les valider parce que c’est toujours l’avant-veille qu’ils doivent rendre leur papier...

C'est pourquoi, avant même de mettre sur la table des sujets comme la déontologie, l'éthique, le professionnalisme, il faut avant tout exiger que la profession, et en l'espèce les employeurs de presse, commencent par moraliser leurs propres pratiques en matière d'emploi et de précarité. Que les décrets d'application de la loi Cressard soient enfin publiés. Que les tribunaux des prud'hommes et les inspections du travail soient enfin réellement saisis de ce dossier. Que les règles du jeu soient clairement édictées par les chambres patronalesà tous leurs adhérents. Et que prennent une fois pour toutes fin certaines pratiques dignes de véritables négriers.

C'est la condition sine qua non pour qu'un réel débat sur les règles et le devenir de ce métier puisse être... ne serait-ce qu'envisagé !

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