L'une des raisons de l'opposition de Mediapart aux Etats généraux (présidentiels) de la presse est l'absence de publicité des débats, totalement contraire aux principes qui fondent la liberté de la presse et légitiment la profession de journaliste. La stupéfiante mésaventure vécue par nos confrères d'@rrêt sur images prouve que c'est encore pire que nous ne l'imaginions.
En voici le récit par Daniel Schneidermann, le fondateur d'@si (en lien ici et en accès libre):
"Nous ne fonctionnons pas en vase clos. D'ailleurs, si @rrêt sur images a envie de venir raconter comment tout ça se passe, vous êtes les bienvenus." Vous voulez "assister à une séance de travail" ? "Pas de souci".
Cette aimable invitation était lancée par Bruno Patino, patron de France Culture, un des manitous des "Etats généraux de la presse". Elle a été formulée lors d'une interview téléphonique de Patino par Dan Israel, le 28 octobre.
Nous l'avons écrit. Plusieurs d'entre vous, dans le forum, nous ont aussitôt répliqué: "chiche" ! Il ne fallait pas nous pousser beaucoup. Nous avons donc repris contact avec Patino, mercredi 29 octobre, pour lui demander une accréditation pour la réunion du 30 (à 15 heures), à la "salle de la chapelle", qui appartient à la Direction générale de l'administration et de la fonction publique. Soucieux de la bonne présentation de ce reportage, Dan a même pensé à apporter un petit appareil photo...
Mercredi en début d'après-midi, Dan rappelle Patino, à son bureau de France Culture (dont il est le nouveau directeur). Sa secrétaire conseille de lui envoyer un mail (il est en déplacement). Chose faite, à 14h38.
Tout l'après-midi, nous attendons un "ok", qui n'arrive pas. Le lendemain matin (jeudi 30), Dan laisse à Patino un message sur son téléphone portable, lui rappelant notre demande.
Il éteint ensuite son portable, pour enregistrer l'émission de la semaine, justement consacrée... aux états généraux. Lorsqu'il le rallume, vers 10h30, un message l'attend. Mais il n'est pas de Bruno Patino. C'est Nicolas Princen, l'œil de l'Elysée sur l'Internet (et rapporteur de la commission Patino) qui lui demande de le rappeler.
Nous rappelons immédiatement. Et c'est non. Pour Princen, donc, "venir raconter" comment se passent les états généraux n'inclut pas l'option "reportage intégral". "Le mieux, c'est d'interroger les participants avant et après les réunions. Cela ne pose évidemment aucun problème, chacun est libre de s'exprimer comme il l'entend et auprès de qui il le veut. Mais on n'a pas de journalistes dans les débats." Pourtant, Patino avait accepté ! "Peut-être chacun a-t-il entendu ce qu'il voulait entendre. Quand il vous a dit que vous pouviez venir raconter, il parlait sans doute d'interroger les participants hors des séances..."
Pour l'Elysée, le problème de fond est le suivant : "Nous voulons garantir aux participants la possibilité de s'exprimer très librement, en toute sérénité et sans avoir peur des répercussions médiatiques." En clair, si le patron d'un journal a envie de dire que sa publication est en train de couler, faute de pub, il doit pouvoir le dire sans que ses propos ne soient répercutés. "Parler devant des journalistes, ça transforme l'exercice, et donnerait une conférence insipide, qui ne servirait donc à rien, ni à personne", assure Princen.
Parfait. Au moins, désormais, les choses sont claires. La presse et l'Elysée débattent, mais à l'écart de la presse. C'est à la Bastille, qu'ils ont choisi de se réunir.