Après l'avis du Comité consultatif national d'éthique de septembre, voici lancée la convention citoyenne et un nouveau débat national.
Une convention citoyenne de plus, un débat de plus, un rapport de plus, toujours plus pour rien ou presque sauf à justifier une loi après l'autre qui, depuis des années, ne règlent rien de la détresse, de la souffrance, physique et psychique, de la personne en fin de parcours, de ses proches. Même pas la peine d'énumérer tous ces écrits et discours qui n'ont servi qu'à enterrer ce qu'une écrasante majorité de la population, et depuis longtemps, veut : légiférer enfin sur le droit à se donner la mort soi-même ou par un intermédiaire quand vivre n'est plus vivre quand vivre est intenable comme une torture sans fin. Encore une initiative présidentielle qui ne déboucherait sur rien ou sur si peu quand tant de nos voisins, ne serait-ce qu'européens, ont déjà légiféré, ont élargi leur législation pour l'ouvrir à d'autres souffrances ? La France, volontiers donneuse de leçons, pourrait en prendre chez nos voisins.
J'ai ouvert ce blog en février 2015 avec un premier billet (Fin de vie : une (r)évolution copernicienne toujours en attente) sur cette demande de législation qui donne le droit, tout le droit et seulement le droit à euthanasie et/ou suicide assisté. J'ai publié bien d'autres billets sur ce sujet parfois repris par des associations pour ce droit. Ces politiques, tous et toutes des girouettes qui plaident le pour, tergiversent, semblent hésiter puis se contentent de ne rien faire quand cette souffrance quotidienne en mille endroits bouleverse, torture et détruit ce qu'il peut rester de dignité à ses propres yeux, pour agir contre ou faire pour ne rien avancer.
Comment refuser ?
Oui, comment encore refuser de prendre en compte que la mort n'est plus ce qu'elle était, que la vie, la vie végétative, la vie avec un corps qui s'en va, peut être prolongée longtemps y compris dans un état bien délabré, qu'elle amène à une fin terrible de maladies incurables (maladie de Charcot par exemple) ou d'accidents gravissimes malgré les soins palliatifs qui ne sont en aucune façon contradictoires avec ce droit à la fin de vie choisie et qui, impérativement, doivent être implantés au moins dans tous les départements et bien au-delà ? Les développer est une gageure dans le délabrement de l'hôpital et de la santé publique ramenées pendant des décennies à des ajustements comptables sans cesse à la baisse. Comment refuser, au nom de quelle valeur supérieure l'invisibilisation de toute cette souffrance intolérable quand elle peut être soulagée ? Comment refuser encore d'invisibiliser ces souffrances depuis longtemps évitables donc refuser la réforme de société majeure qui donnerait à la personne en fin de vie la possibilité de choisir sa fin de vie entre tout supporter, supporter avec anti-douleurs et soins palliatifs, mettre fin à sa vie et tant de variantes qui respectent la personne dans ses choix et ses convictions ?
Bien des questions seront abordées et traitées. Espérons-le et sans diabolisation. Pour la loi on verra plus tard si une fois de plus, la convention citoyenne n'est seulement que le moyen de faire semblant, de faire croire qu'une porte est ouverte, de s'octroyer une image d'ouverture sur la société. Je ne donnerai pas mon doigt à couper. Le chemin est long de la coupe aux lèvres.
La fin de vie n'est pas choisie. La façon de mourir peut l'être
La fin de vie n'est pas choisie, celle qui est avant la mort qui la clôture : on ne choisit pas d'être affecté par telle ou telle maladie, par une vieillesse extrême, par toute conséquence majeure du vieillissement ou de la maladie évolutive qu'elle affecte le psychisme et/ou le corps. Chacun voit la dignité où il la place. C'est toujours légitime à prendre où elle est mise, dans le curseur qui va de l'acceptation de toute souffrance à l'euthanasie : il est légitime de considérer qu'à poursuivre sa vie de souffrances est insoutenable (pour soi comme souvent pour l'entourage qui souffre aussi) quand celle-ci enlève à ses propres yeux, la dernière chose qui reste, sa dignité d'être humain. La dépendance fait peur et ce n'est pas les conditions de vie dans les EHPAD maltraitants dans bien des endroits pour faire du profit, qui peuvent lever cette peur. Les vieux et vieilles dépendant·es sont mis au banc de notre société pour ne pas les voir, comme la retraite et la vieillesse déjà vous éloigne du monde des vivants enfin de ceux qui produisent, des actifs comme si actif n'était que durant la vie professionnelle. La retraite, la vieillesse et la dépendance sont les trois étapes de cette marginalisation qui conduit au déni de la mort douce.
Bien évidemment, le choix personnel de fin de vie interrompue volontairement ne se résume pas à un enjeu personnel mais est un enjeu sociétal. Pour laisser s'exprimer la variabilité des choix personnels des conditions de sa propre mort, la République Française doit se doter enfin d'une législation permettant les choix, ce qui doit être un droit de chacun et chacune, un droit qui n'enlève rien à quiconque mais qui ajoute un nouveau droit : le droit ultime, le choix ultime de citoyens responsables. C'est oublier un peu vite que la fin de vie peut arriver à tout âge, par maladie ou accident.
Quelques points majeurs pour accoucher peut-être enfin, peut-être d'une loi dictée par la liberté de choisir parmi un éventail qui ne diabolise pas et légalise l'éventail complet des choix y compris ceux toujours refusés en France par des pouvoirs frileux, peureux et hypocrites.
Il fallait légiférer et ce fut fait
Il fallait légiférer pour la contraception, il fallait légiférer pour l'IVG, Il fallait abolir la peine de mort. Il fallait légiférer pour le mariage pour toutes les orientations sexuelles, il fallait légiférer pour la PMA, légiférer le viol en le qualifiant de crime. Les débats parlementaires n'étaient pas gagnés d'avance pour la loi finalement adoptée. Après ces lois, ses adversaires n'ont pas souvent désarmés.
Chacun·e peut remarquer que ce sont toutes des avancées en début de vie d'adulte surtout. Et oui, les jeunes adultes se font entendre en manifestation et par tous les moyens de communications et de pression qui peuvent être employés. On ne verra jamais dans la rue des milliers de personnes souffrantes en fin de vie pour réclamer ce droit. Tout être humain à un moment peut être concerné individuellement à une fin de vie terrible. Le temps passe et nous passons, jeunes et moins jeunes, l'heure vient ou viendra. Raison de se bouger. A la fin c'est trop tard, maladie ou accident. Le long fleuve tranquille finit par la chute, autant choisir ce qui peut l'être.
Mais qui ne se souvient de Chantal Sébire, d'Anne Bert, de Vincent Humbert, du docteur Bonnemaison et l'acharnement judiciaire qui a failli l'emporter, d'Anne Ratier qui a offert la mort à son fils polyhandicapé, de tant d'autres qui ont défrayé la chronique dans un dernier espoir de légalisation de l'euthanasie et se sont heurtés à la froideur des politiques et de courageux présidents dont celui, le dernier dit de gauche ? Ces partis et organisations dits de gauche qui ont souvent été bien tièdes pour ne pas dire hostiles à ce droit ne voyant pas la filiation avec ces droits sociétaux gagnés au début de la vie.
Ne pas légiférer
Ne pas légiférer en ce sens c'est encore une fois laisser ceux qui ont la possibilité de le faire à l'étranger, de ceux qui ont les relations en France pour le faire ici comme ces puissants qui savent trouver ce contre lequel ils ont lutté au temps de leurs années de vivacité ou un proche.
Ne pas légiférer en ce sens c'est favoriser une zone grise où des doses létales peuvent circuler dans la relative clandestinité. On peut s'étonner que certaines mafias n'aient pas encore investi ce marché noir ou... je suis encore naïf, pas informé de cela.
Ne pas légiférer en laissant le seul choix du suicide violent sous un train, dans la rivière, sous un pont, en avalant n'importe quoi de toxique... est abominable et barbare. La société se rassure facilement en se disant que beaucoup ne sauteront pas.
Il est urgent que la loi encadre une procédure d'euthanasie ou de mort assistée tout en développant les soins palliatifs qui sont souvent cités quand il manque tant de lits, tant de services, tant de soignants pour répondre à ce besoin. Ces soins palliatifs répondent à une période avant la fin de vie mais non pas à la toute fin de la vie quand seule la mort est désirée comme libération de ce qui n'est plus vivre mais seulement souffrir dans un corps-carcan. Ils ne répondent, quand ils existent, qu'à une partie de la question de la fin de vie.
Quelques points majeurs à entendre
Quelques points majeurs pour avancer vraiment et ne pas se retrouver encore dans quelques courtes années avec une loi qui ne règle rien et à refaire.
- La souffrance psychique peut être tout aussi intense et insupportable que la souffrance physique. N'y a-t-il pas d'ailleurs l'un sans l'autre ? L'un comme l'autre doivent trouver une même réponse législative.
- Il est essentiel de ne pas ramener tout aux derniers stades de la maladie incurable comme si seul ce dernier stade et la seule maladie incurable autorisaient une vie à interrompre. Cette vision est encore une vision méritocratique ou judéo-chrétienne : vous en avez bien bavé, maintenant vous pouvez avoir le droit de mourir bien abîmé avant la toute fin. Attendre les derniers stades de la maladie d'Alzeimer pour ne plus pouvoir prendre une décision ? Il est bien des affections qui nécessitent de prendre une décision de fin de vie à interrompre avant ses derniers stades sauf à se retrouver dans l'impossibilité de choisir.
- Le pouvoir médical ne doit pas s'emparer, ne peut pas s'emparer de ce pouvoir de mort. Bien des résistances du corps médical sont à comprendre dans cette charge que beaucoup ne peuvent accepter. C'est bien pourquoi un service public de la fin de vie doit être distinct de l'hôpital et pour une large part des médecins. Pour la maternité, des maisons de la maternité tentent de démédicaliser la naissance. La fin de vie a d'abord besoin d'attentions et d'empathie, d'acceptation bienveillante de cette demande d'en finir, sans jugement. L'action de médecins peut être plus judicieuse dans la vérification avec d'autres non soignants de l'authenticité de la demande et de la souffrance. A l'instar de ce qui se passe en Suisse, des associations sans but lucratif - c'est essentiel - en réseau doivent se charger de l'acte de fin de vie dans un environnement le plus proche et le plus humain possible. Humaniser.
- La demande d'euthanasie n'est pas un symptôme dépressif comme celle-ci est la plupart du temps interprétée en milieu palliatif. A l'inverse, l'absence de possibilité légale de mettre fin à sa vie, se heurter à un mur d'indifférence dans le dénuement de son corps décharné peut entraîner le refus de s'alimenter et une mort lente...belle « solution » humaine. Cette demande est au contraire une demande en toute responsabilité, en toute lucidité de quelques personnes, quelques petits pourcentages qui veulent mourir comme ils ont voulu vivre malgré les chutes : debout.