Billet de blog 2 décembre 2013

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a.spohr

Professeur honoraire ( secondaire, supérieur, universités US; ancien journaliste de PQR.. Correspondant de presse

Abonné·e de Mediapart

Abdou Diouf a marqué souverainement le Forum de Strasbourg

Fin et suite. De l’ouverture à la fin du «In», à peine deux journées et demie, la prestation du président de la francophonie aura été de la plus haute tenue, nourrie par une vision vraiment mondiale. Le temps le plus fort de l’événement à notre avis.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fin et suite. De l’ouverture à la fin du «In», à peine deux journées et demie, la prestation du président de la francophonie aura été de la plus haute tenue, nourrie par une vision vraiment mondiale. Le temps le plus fort de l’événement à notre avis.

Bien sûr, il y avait là les maîtres de céans, T. Jagland, secrétaire général du Conseil de l’Europe, le sénateur-maire de la ville et même exceptionnellement Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée aux Français de l’'tranger – il n’ y a pas encore de ministre délégué aux  étrangers de France ou en France – annoncée au dernier moment après qu’on eut un temps espéré le président de la République ou le président du Sénat ou encore le ministre des affaires étrangères. On est tenté de croire que le maire socialiste éprouve un tant soit peu d’agacement si ce n’est de la rancœur à l’égard de ses camarades défaillants !

Un absent aussi à la tribune, le président de région Philippe Richert, pas même remplacé par son vice-président François Loos, candidat par ailleurs à la mairie : on dit qu’ils n’avaient pas été invités, ni l’un ni l’autre.

La région est pourtant partenaire du Forum. On jugera. 

Comme délégués internationaux et même mondiaux, de beaux esprits comme l’extraordinaire Abdou Diouf  et l’écrivain franco-libanais renommé et académicien Amin Malouf. Beau monde en somme sur la tribune d’un hémicycle comble et comme toujours, des discours convenus ressassant les beautés de la démocratie et  les dangers qu’elle court. Une mention spéciale, « summa cum laude », pour une véritable leçon inaugurale, prononcée par l’élégant Abdou Diouf, ancien président de la République du Sénégal (4 fois élu), successeur de Léopold Sédar Senghor dont il fut le premier ministre après en avoir été le directeur de cabinet. Nous y reviendrons avec quelques citations significatives, comme sur la prestation de la dissidente russe Irina Yasina que nous présenta ici Klaus Schumann, un ancien directeur des affaires politiques du Conseil de l’Europe.

De grands efforts, surtout par la ville, pas toujours bien suivis

Cette année, rendons à César ce qui appartient à César, le programme Off concocté par la Ville a été abondamment et intelligemment communiqué (tous médias confondus et édition de plaquettes bien réalisées) sans doute à grands frais. Sa construction et son contenu ont été abondants et variés. Malheureusement, les Strasbourgeois ne suivent pas toujours ce qu’on leur propose avec l’engouement qu'une telle manifestation mondiale devrait susciter. Lassitude, avant le marché de Noël et le grand sapin qui penche ou St-Art ? Absence de Sébastien Loeb et de ses vrombissements, un Racing au football hésitant? Quand même pas. Alors peut-être le temps  maussade, la crise morale, les municipales et les européennes qui se profilent  à l’horizon ?

Forcément quelques «  imperfections ».

La cathédrale, transformée en Zénith pour accueillir Liz Mc Comb, grande chanteuse de soul américaine et sa formation, dans le chœur du vénérable édifice avec une sono d’enfer, n’était qu’aux trois quarts pleine et les déambulations ont souvent perturbé la sérénité des lieux, si tant est que ces circonstances là le permissent.

Pire et plus profanes si l’on ose dire, des débats sur l’absence ou l’ébauche de démocratie en Iran et en Chine n’ont réuni qu’une cinquantaine de participants pour le premier et deux fois plus à peine pour le suivant: il y avait là pourtant d’éminents experts relayés par  France Culture qui diffusera en différé.

Des « stars » médiatiques comme Florence Aubenas et Edwy Plenel n’ont pas pu être présentes mais on ne les a pas pour autant excusées en temps utile, bien que dans le cas d’Edwy Plenel les organisateurs (RSF) aient été avertis de son absence pour de vraies bonnes raisons, dans une ville où il fait un tabac à chaque apparition officielle.

Au Palais de l’Europe (In), la fréquentation a été satisfaisante pour des raisons bien connues : on rééditait en les élargissant, en quelque sorte, les «universités ou les études de la démocratie». Mais le programme était très chargé, trop savant pour le démocrate de base et de bonne volonté aussi.

Abdou Diouf émerge clairement du lot des invités.

Les experts se sont donc affairés consciencieusement sur les paillasses de leurs différents labs (21), décortiquant leur sujet, en analysant le produit et tentant de construire une synthèse présentable le soir en session de clôture. Nos contributeurs ont rendu compte dans cette édition des laboratoires qui les ont attirés (revoyez l’ensemble de cette édition) mais ils avaient tous gardé à l’esprit les propos d’Abdou Diouf qu’ils citent souvent.

L’ancien président du Sénégal, aujourd’hui président de la Francophonie, dans  une large vision et même prévision, avait dans son discours d’inauguration, grosso modo, déroulé toutes les synthèses, par anticipation. Titre du discours communiqué : Il faut sauver la démocratie.

Comme Africain, il porte « un regard lucide sur les avancées démocratiques… mais aussi les signes d’essoufflement, de dérives ou de détournements voire de rupture ».

Comme secrétaire général de la Francophonie, il a toujours soutenu « le retour au pluralisme et la réaffirmation de l’Etat de droit engagés tant en Afrique qu’en Europe Centrale et Orientale… déclaration de Bamako en 2000 et celle de Saint Boniface en 2006. »

Comme citoyen du monde, il craint « que le désenchantement ne soit à la mesure des promesses portées par la vague de démocratisation et le triomphe de l’économie de marché, …comme la perte de confiance grandissante de la démocratie à résoudre les crises économiques, politiques, sociales, culturelles… » et suit cette crainte, encore plus précise face à l’abstention, au populisme, aux extrémismes repus du désespoir et de l’espoir en vain « que ne soit oublié que l’inachevé est consubstantiel de l’idéal démocratique et que les concepts et les pratiques qui le sous-tendent doivent être sans cesse repensés et revivifiés ». Le vrai sujet.

D’où l’intérêt d’un bon usage de l’Internet car « les technologies nouvelles peuvent incontestablement contribuer à sauvegarder l’essence même de la démocratie », car, citant le philosophe Alain, « elle est le contrôle continu et efficace des gouvernés sur les gouvernants »….

Pourtant, même en tenant compte de la disparité des moyens techniques et des formations requises pour l’usage de l’internet, « cet outil peut renforcer la démocratie comme il peut l’affaiblir », il faut donc « mettre en place à l’échelon international, des régulations et des normes ». Mais « la démocratie n’a pas urgemment besoin d’outils nouveaux mais bien davantage d’une mentalité nouvelle. »

On en dirait encore tant et tant et ces extraits ne sont que des aperçus des larges visions de ce grand « humain » comme on dirait aujourd’hui pour éviter de retourner de quelques siècles en arrière vers le terme aujourd’hui tant galvaudé d’humaniste.

Pour Yrina Yasina, la dissidente  russe, Klaus Schumann a la parole :

Les deux Russie, grâce à Internet

La dernière intervenante à l’ouverture du  2e Forum Mondial de la Démocratie (un millier de participants en provenance de 100 pays) fut, sans aucun doute, la plus plébiscitée dans un hémicycle archi-comble. Irina Yasina, journaliste et représentante de la société civile, voix dissidente dans la Russie de nos jours, rappelait la réalité d’une Russie divisée en deux : la Russie officielle redevenue « monopolistique » et la nouvelle Russie « génération Internet ». La première marquée par la mainmise sur la politique, l’économie et un système d’information responsable et patriotique accessible à l’ensemble de la population. La « génération Internet », par contre, encore limitée par le nombre d’utilisateurs, dispose du pluralisme d’information permettant aux citoyens de suivre la réalité politique et sociétale dans le pays et dans le monde. Un seul « clic » permet la circulation immédiate de telles informations et l’organisation d’une réaction publique, le cas échéant à des dizaines de milliers de personnes, sans tarder. La répression par les forces de l’ordre de telles manifestations spontanées et les poursuites judiciaires contre les « bloggers instigateurs » sont des réactions officielles, mais sans véritables lendemain. Le « bouche à l’oreille d’Internet » avec ses multiples réseaux sociaux est en marche et avec eux une génération moins conformiste et avec une sensibilité démocratique accrue.

Si la réponse à la question,  le Forum Mondial de la Démocratie à Strasbourg est-il sur la bonne voie pour  devenir  le « Davos de la Démocratie », reste ouverte, l’hémicycle de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a, une fois de plus, joué son rôle traditionnel de plateforme de l’expression libre et de la démocratie en progrès. KS

Fin et suite…

Et alors, l’année prochaine ? On poursuit ? Si oui, sous quelle forme, la première de 2012 plus basique et générale ou dans celle qui se termine, plus technique, plus ciblée, plus experte ?

Les maîtres de céans ne seront peut-être plus les mêmes.

Le secrétaire général du Conseil de l’Europe aura achevé son mandat et on parle ouvertement d’un favori pour le remplacer en la personne de Jean-Claude Mignon, actuel président très apprécié par l’Assemblée Parlementaire dont les élus (318 parlementaires nationaux) désignent le nouveau « patron ». Ce sont les gouvernements qui présentent les candidats lorsqu’ils en ont un et ici, l’Elysée ne s’est pas montré sectaire puisque la France propose un député UMP. Réalisme oblige. Bravo.

Pour ce qui est de la région, les élections sont plus lointaines que le prochain Forum. Le  président Richert a toutes les chances d’être encore solidement en place.

Il n’en est pas de même pour la mairie de Strasbourg : Roland Ries y est très sérieusement menacé si la droite (UMP) et le Centre (UDI)  font bloc et réduisent le Front National. Pas grand’chose à voir avec le Forum, dira-t-on. Qu’on se détrompe, le Off assez réussi cette année mais encore perfectible, surtout en le rendant plus festif pour les visiteurs, dépend du bon vouloir du maire et de son équipe animée par Nawel Rafik-Elmrini, très dévouée dans cette affaire.

En tout cas, abandonner  cette manifestation « mondiale » encore balbutiante serait une grave erreur. Le Conseil de l'Europe, comme la ville et la région, auraient à en souffrir en perdant de leur notoriété pour quelques économies dérisoires et des oppositions feintes à des fins électorales. La démocratie est un sujet sérieux, comme l’analyse Abdou Diouf.

Antoine Spohr.

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