Le 8 mai 1945 jour de l’armistice marque la victoire sur l’Allemagne nazie vaincue après une guerre mondiale qui a duré de 1939 à 1945 et fait 70 millions de morts. A ce conflit participèrent des centaines de milliers d’algériens incorporés au sein de l’Armée d’Afrique(1). Ils étaient sur les fronts en France et en Belgique quand l’armée d’Hitler, puissante, modernisée et sur-équipée, déclencha la guerre. En Afrique du Nord ils restèrent mobilisés sous le régime de Vichy. Après le débarquement américain en novembre 1942 et l’installation à Alger du Gouvernement Provisoire de la France Libre. Les soldats algériens de l’Armée d’Afrique vont poursuivre le combat en Afrique et en Italie. Ils étaient parmi les vainqueurs contre les troupes du Reich en Tunisie et encore présents au sein du Corps Expéditionnaire Français en Italie. Ils entrèrent dans Rome libérée en juin 1944 après de terribles batailles face aux soldats de l’Axe, à Monte Cassino, au Belvédère et au Garigliano. Ces hommes aguerris (dont entre autres les futurs chefs nationalistes du FLN algérien Ben Bella, Boudiaf) constituèrent le fer de lance de la Première Armée française qui débarqua le 15 août 1944 en Provence libérant Toulon, Marseille, la vallée du Rhône, la Franche-Comté et l’Alsace où ils feront la jonction avec les armées alliées qui avaient débarqué le 6 juin 1944 en Normandie. Les soldats musulmans des régiments de tirailleurs, de zouaves, de spahis, de goumiers, de tabors, des chasseurs d’Afrique poursuivront les combats en Allemagne. Ils traverseront les rives du Rhin et du Danube et continueront à se sacrifier et à mourir pendant qu’à l’arrière, dans les villes libérées, les foules en liesse dansaient et chantaient.
Mais il y a un autre 8 mai 45 celui du massacre de Sétif. En ce même jour de victoire, la mort va frapper en Algérie des dizaines de milliers de familles dont celles de soldats algériens encore en métropole après avoir libéré la France.
En effet, pour fêter le 8 mai 45, des manifestations, dans la prolongation de celles du 1er mai avec des slogans nationalistes du PPA(2) et du parti AML(3) vont avoir lieu dans un climat de tension dans une dizaine de villes surtout de l’Est dans le Constantinois. A Sétif la manifestation de 5 à 7000 personnes qui se voulait pacifiste va tourner à l’émeute lorsqu’un commissaire de police abat un très jeune garçon. Il s’agit du scout Saal Bouzid qui en tête du cortège à Sétif portait le drapeau nationaliste vert et blanc frappé en son milieu du croissant et de l’étoile rouges. (Témoignage de Germaine Tillon).
C’est aussi ce que l’on peut lire dans le rapport de la commission Tubert du nom du colonel qui la présida. Elle était chargée de procéder à une enquête administrative sur ces événements qui se sont déroulés le 8 mai 45 et les jours suivants.
Extrait : « À Sétif, le 8 mai, alors que la population s’apprêtait à fêter la fin des hostilités, de sanglants incidents se déroulaient… Des émeutes éclataient par la suite dans le département du Constantinois, prenant le caractère, dans certaines régions, d’un véritable soulèvement. De nombreuses victimes étaient sauvagement massacrées… »
Lors de ces violences commises par les manifestants (assassinats, viols, incendies de fermes et écoles) on parle de 103 morts civils européens. La communauté juive nombreuse dans le Constantinois et dont la présence remonte à plusieurs siècles a été épargnée.
En réaction, une terrible répression totalement disproportionnée va s’abattre sur la région de Sétif à Guelma menée par l’armée française (terre, air, mer) et par des milices de colons qui s’étaient constituées dans un premier temps pour appuyer des policiers et des gendarmes largement en sous effectifs. Pour ces milices, tout musulman était considéré comme suspect et risquait d’être abattu. C’est ce qu’a précisé P. Fayet membre de l’Assemblée consultative le 11 juillet 1945 selon le Journal Officiel qui rapporte ses propos :
« A l’assassinat des Européens ont succédé en grand nombre des exécutions sommaires de musulmans simplement douteux… L’Europeen possédait, en fait, le droit de vie et de mort sur les musulmans. ».
Un autre membre de cette Assemblée consultative E. Fajon précise le 11 juillet 1945 : « le sous préfet Achiari avoue plusieurs centaines d’exécutions sommaires dans le secteur de Guelma ».
Quant à la répression militaire ce sont des opérations de ratissage qui sont organisées par l’armée de terre appuyée par l’aviation et par la marine. Selon le rapport Tubert : « Les troupes, sous le commandement du général Duval, qui est à la tête de la Division Territorial de Constantine, ont dû intervenir. ».
Les bombardements par l’aviation de dizaines de villages et les canonnades de la marine de guerre vont créer la désolation et la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans toute la région du Constantinois jusqu’au village de Kherrata.
Les chiffres du nombre de victimes musulmanes varient énormément : de 1340 morts musulmans selon la commission Tubert à 45000 selon les nationalistes algériens. Plus communément, on admet celui de 15 à 20000 selon différentes sources. Germaine Tillon dans son livre « Les Ennemis Complémentaires » retient le chiffre de 15 à 45000 morts.
En métropole en pleine festivités de la Libération, peu de réactions ou de commentaires sur ce drame.
Le futur prix Nobel de littérature l’algérien Albert Camus, meurtri par cette nouvelle fracture entre les populations d’Algérie, sera l’un des rares à avoir exposé lucidement le problème politique majeur qui se posait par les événements dramatiques de Sétif. Dans une série d’articles parus dans le journal de la résistance « Combat » dont il était rédacteur, il demande pour les algériens autochtones le « régime démocratique dont jouissent les français ». Il précise que le « peuple arabe existe » et qu’il « n’est pas inférieur sinon par les conditions où il se trouve ». Camus qui depuis ses articles de 1939 sur « Misère en Kabylie » dénonce la misère, le dénuement, la famine, écrit « la crise la plus apparente dont souffre l’Algérie est d’ordre économique ». Pour lui « l’Algérie et ses habitants sont à conquérir une seconde fois par la force infinie de la Justice » en accordant l’accession aux droits civils et politiques. Il veut une égalité sociale effective. De leur côté, les nationalistes algériens demandent une autonomie.
Le général Duval commandant la répression du 8 mai 45 à Sétif écrit à ses supérieurs : « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable. »
Mais les réformes et les mesures d’égalité entre tous les citoyens en Algérie ne viennent pas et dix ans après le massacre de Sétif un déclenchement armé mené par le FLN (Front de Libération Nationale) se produit le 1er novembre 1954. Il aboutira à l’indépendance du pays le 5 juillet 1962.
En 2005 l’ambassadeur de France à Alger reconnaît « une tragédie inexcusable » et en 2015 le Secrétaire d’Etat français aux anciens combattant ira déposer une gerbe au pied du mausolée du jeune scout Saal Bouzid tué par un policier ce qui avait déclenché les émeutes de Sétif.
1) voir article sur mon blog :
Le 8 mai, se souvenir de l'Armée d'Afrique |
https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/070514/le-8-mai-se-souvenir-de-larmee-dafrique
2) PPA : Parti du Peuple Algérien de Messali Hadj. Celui-ci était en prison au moment de ces manifestations du Constantinois.
3) AMIL : les Amis du Manifesté et de la Liberté du leader modéré Ferhat Abbas.