1980. Je suis au collège, Bashung en boucle, oh Gaby, qui tourne en rond sur les platines (on en est encore aux galettes), qui inonde les radios. Et je chantonne les paroles sous le préau, je ne suis pas certaine, avec le recul, que j'en comprends alors un traître mot.
Et puis je grandis, Bashung aussi. Lui plus que moi. Il marque la musique, de manière indélébile. Je n'ambitionne qu'une partie de l'adjectif.
Et ses chansons s'associent, de loin en loin, presque automatiquement, à des moments de ma vie. Des événements, des périodes. Il occupe mon espace-temps et ça me plaît.
Et puis Bashung meurt, le mois dernier. J'ai grandi, vraiment. J'ai pleuré à la mort de Gainsbourg, là je suis juste profondément bouleversée et je sais qu'il demeure. Sa voix, ses albums.
Et on repasse Oh Gaby. Comme le symbole du succès qui dépasse son interprète et manque le noyer. Définitivement.
Et là je comprends les paroles. Je me souviens...
Il parlait de moi en fait. En commençant par brouiller les pistes. Le "C'est ma dernière surprise partie", moi c'étaient plutôt les débuts. Mais il ne faut pas se laisser duper. C'est moi, Gaby.
Moi, sous le préau du collège, à fredonner bêtement...
"Gaby, j't'ai déjà dit qu't'es bien plus belle que Mauricette
Qu'est bell' comme un pétard qu'attend plus qu'une allumette
Ça fait craquer, au feu les pompiers"
... alors que les profs et les pions paniqués tentaient d'éteindre le feu qui venait de prendre dans un labo de physique-chimie du collège.
Je me souviens aussi du prof de grec qui appelait toutes les filles Mauricette. Inspecté dans ma classe, il demande à "Mauricette" de passer au tableau. Grand silence. Je vois la panique dans ses yeux. J'suis fille de prof, je me lève. Mes résultats en grec ont fait un bond. Et j'ai été la seule, après, à m'appeler Mauricette. Bizaremment, j'en étais fière.
Et le feu, c'était un vendredi.
Je crois que je vais aller lire Tubes, la philosophie dans le juke-box. Non, ce n'est pas du Nothomb. Rien de métaphysique là-dedans. Ce n'est pas Amélie, ni sa soeur, celle qui tente de concurrencer Maïté rayon cuisine. Peter Szendy y explique comment une chanson peut ainsi nous hanter, devenir la bande-son d'une vie, un véritable essai du "je me souviens" musical. Je suis sûre qu'il parle de Gaby.
Peter Szendy, Tubes, La philosophie dans le juke-box, Minuit, 2008, 13 €