
Au début, c’était de simples cartes postales, gribouillées en tirant la langue pour mieux se concentrer : « Chers parants, je vous écri pour vous dire que tou
Puis peu à peu, c’est devenu plus élaboré. Missives en plusieurs pages numérotées, agrémentées de petits dessins de fleurs, de cœurs ou de soleils, qu’on échangeait avec les « grandes amies » pour leur raconter tous les épisodes de notre vie et le fond le plus intime de nos pensées dès que l’on s’éloignait un tantinet. Confidences griffonnées. Secrets de plumes murmurés par tartines à l’encre bleue mais que face-à-face on n’aurait sûrement même pas osé évoquer. Car plus encore que les autres, les premiers émois ont toujours eu besoin d’être couchés sur le papier pour devenirs vrais. Et permettre aussi au cœur de ne pas éclater.s va bien ici, la mono est gentil, on mange bien et hier on a été à la paiche avec de vrais canes à paiches ». Plus elles étaient criardes et bariolées et plus on aimait... Il y avait aussi ces lettres à plusieurs mains qu’on envoyait sagement pendant les « petites vacances » chez les grand-parents. Chacun y mettait la patte, même la grand-mère, qui pourtant essayait de se dérober, prétextant la farine dont elle avait en permanence les mains couvertes. « Kesk vous voulez, les fi, chuis pas une femme de lett’ moi ! C’est k’ elles me f’raient tourner en bourrik, ces fi ! J’f’rai ça tantôt, j’vous dis ! »
Dans un autre genre, il y a bientôt eu les laborieux échanges épistolaires avec les correspondant(e)s anglais(es) ou allemand(e)s. « Liebe Cornelia, Ich hoffe dab Du und deine Eltern… » « Dear Tom, I hope … » On s’appliquait. On suivait le guide-lignes placé en transparence sous le papier pour faire des lignes bien droites, sans dévier. Mais le vocabulaire manquant et les dictionnaires étant souvent défaillants à traduire trop de détails du quotidien, peu d’intimité passait. Plutôt une sorte d’exercice obligé, un peu comme les devoirs de vacances qu’on ne faisait qu’en rechignant. Et avec force ratures et autres pâtés. Jusqu’à ce qu’on grandisse un peu, et que se familiarisant parallèlement avec les langues étrangères, on arrive à parer ces correspondant(e)s à distance des habits d’amies de cœur ou de princes charmants. Les kilomètres ont toujours favorisé les sentiments. La tendresse sait parfaitement voyager « Airmail », et ce depuis la nuit des temps.
Bientôt arriva l’âge des missives sur papier-pelure qu’on allait cueillir à la boîte aux lettres le cœur battant et qu’on dévorait et re-dévorait en cachette à s’en brûler les yeux. De ces lettres qu’on entassait dans un tiroir secret et qu’on repliait d’une main tremblante dès que l’on entendait un pas s’approcher. Qu’on apprenait par cœur à pouvoir se les réciter la nuit. Qu’on embrassait et respirait en secret et qui, à chaque lecture, nous faisaient à nouveau chavirer. Des caresses de plumes avec mots à peine murmurés. Le nombre de brouillons qu’on noircissait puis déchirait pour les réponses avant de trouver le ton juste, les mots qu’on voulait prononcer et pas ceux d’à côté ! Ce genre de courrier-là, on le postait soi-même, à la grande poste centrale, dans l’anonymat le plus total, du moins on l’espérait.
Il y a aussi eu les lettres porteuses de mauvaises nouvelles, ou pire, ces oiseaux de mauvais augure qu’étaient les télégrammes : « Reviens vite. M. au plus mal. Te réclame. » Le ciel noircissait. On bouclait à la hâte les valises et on partait, un poignard fiché dans les valves et les tempes battant la chamade. Avec, froissé dans le fond d’une poche un chiffon de papier bleu qu’on n’osera jamais jeter tant il nous aura déchirés.
Le temps a passé. Aujourd’hui, dans nos boîtes aux lettres, on ne trouve que des factures et de la publicité. Beaucoup trop de factures et des tonnes de publicités. Ici ou là, une lettre dactylographiée : « Nous avons bien pris acte de votre candidature mais n’avons, pour le moment…. » Ou : « Votre demande a bien été enregistrée. Lors de votre prochaine correspondance, veuillez mentionner le numéro de dossier…. » Parfois une carte postale ou deux, postées par des réfractaires au tout-numérique, petits clins d’œil sur cartons glacés, tracés le plus souvent la veille du départ, mais petits gestes touchants et toujours aussi agréables à accueillir. Ou bien des cartes de vœux, pour les Fêtes ou les anniversaires, postés par les fidèles des fidèles… ou par ceux qui soignent leur carnet d’adresses au cas où.
Mais il y a les mails ou les SMS. Au début, on s’est dit qu’on ne s’y ferait jamais. Trop froids. Trop impersonnels. Trop mécaniques. Des mots hachurés, des abréviations, des phrases avalées. « Biz » pour « Baisers ». « News ? » pour « Tout va bien de ton côté ? » « @ + » pour « J'ai hâte de te voir »....Et puis, magie de l’adaptation, contre toute attente, on s’y est faits. Et on a fini par garder, empilés dans la carte-mémoire de son appareil des « Soleil, vent, amandiers en fleurs. Pensées », des « Et si on se faisait un déj’ ensemble pour papoter ? », des « Merci de ton soutien. C Kdo de te savoir », des « Pas de tes nouvelles depuis si tant. M’inquiète un peu. Tout va bene ? » Oui, on s’y est faits. On a réussi à triompher de la modernité. Et à y faire couler de la même humanité que celle qui nous a depuis toujours poussés à échanger. C’est une bonne nouvelle. La tendresse a gagné.
Mais je dois vous laisser. « Vous avez trois nouveaux messages », affiche mon ordi. L’urgence d’aller voir. On ne sait jamais !
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