La volée de marches qu’on dévale, la porte battante qu'on tire quand il y a écrit «poussez» ou qu’on pousse lorsqu’il y a écrit «tirez». Le métro est un des seuls lieux où l’on a coutume de « s’engouffrer » — à croire que ce mot aurait été inventé exprès pour la RATP. Et l’entrée de quel autre édifice a-t-elle la particularité de s’appeler une «bouche»? Oui, le métro est le lieu quotidien par excellence pour des milliers et milliers de Parisiens qui, le nez plongé dans leur journal, leur sudoku ou leurs pensées, y effectuent, plus ou moins tassés selon les heures, plus ou moins lavés de frais et plus ou moins de bonne humeur, près de 4 millions de voyages/jour, et la plupart du temps sans y penser.
Une ville sous la ville, un monde sous le monde, des kilomètres (214 exactement en ne comptant que le réseau intra-muros) de tunnels, de boyaux, 16 lignes, plus de 300 stations, un nombre incalculable de quais, de correspondances, de couloirs. Un ventre. Les entrailles de la capitale. Son double. Ses coulisses. Son cœur souterrain. Son appareil digestif. Et son système circulatoire : flux, reflux, pouls, sans lequel tout le métabolisme s’engorgerait... Un lieu qui m’a toujours fascinée, et auquel, il y a tout juste 30 ans, j’ai consacré mon tout premier reportage, publié dans un magazine aujourd’hui disparu, (puis bizarrement racheté et republié par un magazine étranger probablement pour le folklore), mais un lieu qui quoiqu’il en soit aura sûrement un peu décidé de ce que je suis devenue. Presque un lieu fétiche. Le tourniquet de ma vie à moi... Son créateur ne s'appelait-il pas justement Bienvenue ?
Deux mois durant, avec un collègue qui m’avait « mis le pied à l’étrier » et portait l’appareil en bandoulière, nous avions exploré les recoins cachés de cette capitale souterraine. Ce n’est pas si souvent qu’une enquête « sur le terrain » s’effectue plusieurs pieds sous terre. Là où il était écrit « Interdit au public » ou « Danger, chantier », là où était apposé « Privé » ou « Interdit de descendre sans y avoir été invités par les agents de la RATP », bref, là où on ne va jamais, nous avions enfin eu la chance de pénétrer…
Des stations devenues « fantômes » au chantier du creusement du RER reliant Gare du Nord à Châtelet, du Poste de Commande et de Contrôle Centralisés (PCC) du boulevard Bourdon, aux terminus où les conducteurs tapent le carton en attendant la relève, des vendeurs ou chanteurs à la sauvette aux anciens poinçonneurs, des « manchards » ou des clochards redoutant les descentes de « la bleue » de Nanterre au « balai » (dernier métro) ou aux « Ateliers de grande révision », sortes de cliniques pour métros de Fontenay, Choisy, Saint-Ouen ou Vaugirard, nous avions tout visité… Et Bonneuil, le cimetère des « S-T »
À compter de 1908 étaient apparues les rames Sprague-Thomson, dont les dernières n’ont été totalement retirées du service qu’en 1983. Ces rames, dont les plus connues étaient composées de voitures vertes (seconde classe) et d’une voiture rouge (première classe) ont longtemps symbolisé le métro de Paris, ont figuré dans pas mal de films…. et ont aussi marqué au moins trois générations de Parisiens, avant de finir leur carrière. Fin des années 70 et tout début des années 1980, c’est à Bonneuil, dans le Val-de Marne, au « Casse des vieux métros » qu’étaient « dessoudées » ces vieilles rames.
Intégralement détruites et découpées au chalumeau. Puis, une fois totalement dézinguées, les vieilles « S-T » de notre enfance étaient refondues et réutilisées à la fabrication de nouveaux rails. Quant aux ornements, banquettes, plaques, phares, porte-bagages, etc., ils rejoignirent vite les fonds de collectionneurs, les allées des musées du transport…. ou les boutiques prohibitives des professionnels de la nostalgie. Car inutile de dire que « métro » a toujours bien rimé avec « rétro ».
En juillet prochain, le 19 très exactement, à 13 heures, lorsque sa ligne 1 avait ouvert au public, notre bon vieux métropolitain fêtera ses 110 ans de bons et loyaux services… L’occasion où jamais de se souvenir des portillons automatiques, disparus depuis des années, des wattmans ou des poinçonneurs des Lilas (ou d’ailleurs) qui ont depuis des décennies laissé place à des tourniquets, des plaques émaillées portant encore en vestige du passé les lettres CMP (pour Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris) ou NS (pour Nord-Sud) élégamment entrelacées, des « Dubo-Dubon-Dubonnet » scandés tout au long des tunnels obscurs ou des sièges de bois surmontés de porte-bagages métalliques de l’époque où ni la Carte Orange ni le Passe-Navigo n’avaient encore été inventés…, et des bonnes vieilles Sprague-Thomson qui ont depuis été remplacées par des générations de MP, de MF, et autres irréfutables progrès.
Le métro de Papa. Celui de Louis Malle ou de Gainsbourg, celui de Carné, de Melville ou de Queneau. Le nôtre aussi, pas encore complètement disparu de nos mémoires. Juste un hommage. Que je clôturerai comme j’avais clôturé le précédent, il y a tout juste 30 ans : « Terminus, lecteur, on est arrivé au bout de la ligne ! »
© Images: L'œil de Balthazar (rame entrant à quai), Saint-Sulpice et François Lichtenberg (rames Sprague-Thomson), L'œil de Balthazar (banquettes), Danbizet (tickets), Boreally (souterrain, station abandonnée), Direct-Atpic /WillyNan (autobus) et archives patrimoine RATP
Voir aussi un diaporama très compet là:
http://societe.fluctuat.net/diaporamas/ratp-60-ans-d-histoire-en-photos/
Et le passionnant blog hyper-documenté et superbement illustré qu'un fils de conducteur de rames, François Lichtenberg, a dédié à son père, là:
http://www.sprague-thomson.com/
Sans compter bien sûr les onglets "patrimoine" du site de la RATP et Wikipédia, assez largement documentés sur le sujet...
TERMINUS !!!!!! VOUS AVEZ VOTRE CORRESPONDANCE A NE PAS LOUPER !!!!
IL FAUDRAIT VOUS REVEILLER !!!!