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Billet de blog 2 juillet 2009

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Concerto pour un voyage en Cévennes

Je me souviens d’un long voyage en voiture que nous avions fait ensemble. C’était dans la vieille Renault qui brinquebalait et s’essoufflait dans les côtes. C’était toi qui conduisais. Tu conduisais comme un chef. Tu avais toujours conduit comme un chef, d’ailleurs. Ton permis, tu l’avais décroché du premier coup haut la main, alors que moi… Tu conduisais comme un chef et tu adorais ça.

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Illustration 1
cevennes

Je me souviens d’un long voyage en voiture que nous avions fait ensemble. C’était dans la vieille Renault qui brinquebalait et s’essoufflait dans les côtes. C’était toi qui conduisais. Tu conduisais comme un chef. Tu avais toujours conduit comme un chef, d’ailleurs. Ton permis, tu l’avais décroché du premier coup haut la main, alors que moi… Tu conduisais comme un chef et tu adorais ça. Tu savais même monter et démonter le moteur d’une voiture. Ou fixer des chaînes à une camionnette en cinq secs lorsque le verglas menaçait. Je t’avais toujours dit que tu aurais pu être pilote de ligne. Tu répondais en riant que la maçonnerie te tentait davantage. Ou vétérinaire à la campagne. Je voulais être acrobate ou concierge. Nous n’avions pas encore de soucis d’avenir. Nous avions largement le temps.

 J’étais assise à la place passager et j’allumais deux à deux les cigarettes. Ou bien je dépiautais les bonbecs que je te tendais. C’est fou, quand j’y repense, ce que tu pouvais avaler comme bonbecs ! Lorsque tu t’apprêtais à doubler un camion, j’avais pour mission de prendre mon regard de sorcière et de fixer très fort le rétroviseur du chauffeur du poids-lourd pour le dissuader de déboîter. Ça marchait. On riait. Il faisait beau. Cela devait être un mois d’avril, quand le ciel commence à se faire clair et que l’air devient plus transparent. Des vacances de Pâques, peut-être. Derrière, ta chienne dormait. Elle rêvait doucement. Il n’y a que lors des arrêts, aux feux rouges ou aux péages, qu’elle se réveillait. Elle se hissait alors sur ses pattes sur la banquette arrière et venait tendrement fourrer sa truffe humide dans notre cou, à l’une, à l’autre, à nouveau à l’une, puis à l’autre. Puis elle se recouchait, rassurée.

 Sur l’autoradio, passait une chanson qu’on entendait beaucoup ces années-là. Rien de renversant, non, plutôt quelque chose de décoratif, pur, mélodieux, presque uniquement vocal. Mais ça habillait formidablement le silence. Ça donnait l’impression de vivre une séquence de cinéma. Et peut-être est-ce finalement grâce à cette mélodie que je me souviens si bien de ce moment-là. Cela s’appelait « Concerto pour une voix », de Saint-Preux, et c’était quelqu’un qui s’appelait Danielle Licari qui chantait cela. Qui était Danielle Licari ? A–t-elle chanté autre chose ? Qu’est-elle devenue depuis toutes ces décennies ? Nous nous étions mises à chanter avec elle, là, dans la vieille Renault : lalala, lalala, tilala, la, lalala…. Avec nos voix de fumeuses de Gauloises bleues, à plein poumons, sur l’autoroute, alors que déjà Bollène se profilait à l’horizon. Eclats de rire. Des folles. Bonheur. Ne pas louper la sortie 19. Et là l’embranchement. Alès. Presque destination.

Illustration 2
licari

 Cévennes. Couleurs. Végétation. Les pierres sèches de la vieille maison. Le jardin envahi par les herbes. Le tilleul. Les lauzes sur le toit. Le cadenas un peu rouillé depuis la dernière fois. Descendre à la cave rebrancher le compteur. Mettre l’eau en route. Ouvrir en grand les fenêtres enchassées de feuilles et de toiles d’araignées. Se servir le verre de l’arrivée et le boire affalées sur la terrasse sur les vieux fauteuils de jardin rouillés. Demain, nous irions dire bonjour à la Cèze. Demain, nous irions déguster l’omelette aux asperges, la brandade de Nîmes et les Pélardons. Demain, il faudrait mettre la débroussailleuse en marche, sortir les balais, desherber l’escalier de pierre, redonner vie à la vieille magnanerie qui jouait les belles endormies sous le soleil couchant. Demain serait un autre jour, Madame Sca’lett. Pour le moment, l’urgent, c’était de descendre au Shopi de Saint-Ambroix pour le ravitaillement.

Concerto pour une voix. Pour une seule voix.

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