
Avertissement: De guerre lasse , ne pouvant accéder à l'édition "Je me souviens" depuis septembre dernier, je m'étais résigné à le publier sur mon blog , en dépit du fait qu'il semblait "coller" à cette édition. A l'invitation de grain de sel, le voici revenu à sa destination première, sur Mediapart...
En Chine, il se disait : « Avoir un mûrier devant sa maison est un signe de bonheur »…C’est vrai. Nous avions un mûrier en Provence, noueux, mafflu, protecteur, dont la ramure hirsute nous donnait l’occasion de pratiquer les tailles les plus originales, sans qu’il se rebellât. Il semblait même en être fier . « Pensez donc, avoir plus de cent ans et rester d’avant-garde ! Boudiyou !... C’est pas tous les mûriers qui peuvent se payer ça ! » avait-il coutume de répondre aux visiteurs qui le questionnaient… Eh oui, parce qu’en plus, ce mûrier parlait haut, en vieux provençal qu’il était.
Il trônait face à l’escalier de pierre pentu, au centre de la terrasse. A n’en pas douter, celle-ci avait été construite autour, en un temps bien en amont du nôtre, comme pour fixer à demeure ce gage de félicité. Son ombre était douce, fraîche, apaisante. Auprès de lui, il ne pouvait rien nous arriver, que de bonnes choses… Il était le gardien du mas, rassurant mais fier, face à la montagne bleue, de l’autre côté du vallon.
Puis , un jour de juillet, pour de bonnes raisons, nous sommes partis habiter ailleurs, loin, très loin du mûrier… Des années ont passé. De passage en haute Provence, j’ai voulu le revoir. C’était la fin de l’après-midi, les cigales stridulaient en mineur. Je montai le chemin qui allait au mas et soudain,à un détour, je le vis. Qu’il était beau !... Beau, mais un tantinet apprêté, on aurait dit un chêne de concours !
Il me reconnut d’emblée , je le sentis au frémissement de ses feuilles, mais il resta silencieux. Dame,… ça faisait si longtemps, sans nouvelle ni visite…Connaissant son caractère, il devait m’en vouloir. Aussi fis-je les premiers pas : « Dites, vous êtes resplendissant !.. » Il faut dire que je ne l’ai jamais tutoyé, sans doute en signe de respect.
La réponse ne se fit pas attendre : « Vé, tu trouves ?... » Un silence, puis de sa belle voix de mûrier à l’accent chantant, il reprit : « Têtasse de courge !…Ils ont la pissine, il leur minque plus que l’hélicoterre à ces pinnesoutes !... Tu me vois embalafouné comme ça, que c’est une honnte !... Je me croirais dans les allées du Prado, pavaner au concours agricole !.. »
Un autre silence, puis : « …Je vous regrette bien, petit, même ave vos essenticités ! Au moins je vivais, j’avais quelque chose à faire, des projets, alors que maintenant… » Subitement, il se tut… J’attendis quelques instants puis je perçus comme un léger ronflement,… cela venait du tronc : il s’était assoupi.
Sur la pointe de pieds, je pris congé du vieux mûrier. A son âge, l’ennui avait eu raison de sa vitalité. Il ne lui restait plus qu’à s’endormir à jamais…J’en ai éprouvé un profond remord, qui s’atténue au fil des années. Mais, parfois, il ressurgit inopinément , tout aussi vivace…
Aussi, ne laissons pas mourir d’ennui les vieux mûriers ; ils pourraient nous en vouloir, à la longue, d’ignorer « ce signe de bonheur »…
Pierre RATERRON
* Extraits de " Chroniques de la Folie ordinaire" 2002
Belle histoire!
19/10/2009 06:35Par F Denizot
Mûres et mûriers... Plein de souvenirs: les mains violacées, enfants, avec les mûres que l'on ramassait au bord des sentiers et qu'on entassait dans un petit panier, les lèvres barbouillées de bleu, les tartes aux mûres, avec un nuage de crème qui se colorait doucement, et un mûrissoir pour vers à soie qui trône encore quelque part chez moi, venu d'une ancienne maganerie du fin fond des Cévennes. Oui, à moi aussi, les mûres murmurent quelque chose, Pierre ! merci !
PS: quant à votre "avertissement", Pierre, il m'a carrément donné un coup au cœur. Que j'aurais aimé que ce beau billet figure en place d'honneur dans l'édition "Je me souviens" ! Combien d'échanges de messages et d'alertes pour ne finalement même pas pouvoir y accéder ! Quel scandale de laisser pourrir ces éditions participatives qui portaient une si grande partie de l'espoir pour ce Club ! Boudiou, quel gâchis !
22/10/2009 22:39Par grain de sel
Merci F. Denizot pour votre compliment.
Quant à vous, chère Fleur de Sel, cela me touche qu'encore une fois nos souvenirs se croisent. Pour nous, à Bonnieux dans la montagne bleue du Lubéron et au bord de la combe de Lourmarin, nous avions des mûres "blanches" car notre mas était une ancienne magnanerie.
Ce serait pour moi, aussi un grand plaisir de voir ce texte figurer dans votre édition "Je me souviens". Il n'est pas trop tard et si cela était possible, je supprimerais l'avertissement et ferais un renvoi à votre édition. De m^me de votre édition à mon blog, si vous en êtes d'accord...
23/10/2009 07:18Par Pierre RATERRON