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Je me souviens....

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Billet de blog 2 novembre 2009

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Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

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" Salut, je m'appelle Maurice" *

 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avertissement: Dieu soit loué, comme dirait Michel Onfray, j'ai réussi à poster mon billet.. Et merci à Fleur de sel , à toutes celles et tous ceux( dont je fais partie)qui ont alerté avec une remarquable persistance l'équipe de Mediapart .

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Je m’en souviens, c’était à l’automne 1966 dans les studios du Point du Jour, à Boulogne sur Seine. J’étais , alors, assistant décorateur. Il est 13 heures 30 : à la cantine, je savoure mon café avant d’aller reprendre la construction d’un décor qui ne m’enthousiasme pas outre mesure.

De l’autre côté de la longue table, style pensionnat, un homme dans mes âges, latin , col roulé et casquette de cheminot. Devant lui un café, aussi...

Je croise son regard, il cligne des yeux et dans un sourire triste : « Ca va ?... » - « Ca va … » Il me tend la main « Salut, je m’appelle Maurice,… oui, Maurice comme d’autres s’appellent Raymond.. » Je réplique : « Moi c’est Pierre, comme le Saint… » C'est nul mais c'est tout ce que j'ai en rayon... Le sourire se fait plus large, découvrant de splendides dents carnassières qui ne vont pas du tout avec sa voix, douce, voilée, presque neutre. Mais surtout, il y a ce regard « long », pénétrant…, un regard qui doit rarement sourire, me dis-je.

« Tu fais quoi ici ? » Le tutoiement est amical – « Je construis un décor,... pas marrant ! » - « Ah bon ?... tu es déco. ? » -« Oui,…enfin, assistant mais en réalité je suis peintre ». – « Artiste peintre ?... » J’acquiesce. Son visage s’éclaire : « Moi aussi j’étais peintre. » - « Pourquoi j’étais ? »

Il se recule sur sa chaise, relève sa casquette et répond d’une voix plus vive : « Parce que j’ai arrêté… Tu sais, je suis du Puy de Dôme… » J’interviens : « Moi aussi, je suis de là-bas et du Limousin » Il ne m’entend pas, son regard est au loin, il poursuit « Alors, je suis monté à Paris, je ne connaissais personne, j’ai fait les Arts Déco, puis les Beaux Arts… » Un silence, puis, avec douceur : « C’est dur d’être peintre, créer seul c’est très dur, et puis ça revient cher !... Tu ne trouves pas ? » J’élude la question : « Et que fais-tu maintenant ? »

Surpris, il boit une gorgée, s’essuie les lèvres et : « j’essaie de faire des films… » Enthousiaste, je demande –« Tu es metteur en scène ?.. » - « On peut dire ça ,.. je travaille actuellement sur un film. » - « Il parle de quoi ? » - « D’un sujet qui n’intéressera sûrement pas grand monde,… il s’agit des enfants de l’Assistance Publique qui sont placés dans des familles du Nord. »

Je tombe des nues : faire la connaissance d’un metteur en scène qui s’intéresse aux enfants de l’Assistance Publique dans un studio où se tournent La Marquise des Anges, Le Soleil Noir ou la Grande Vadrouille, c’est vraiment une rencontre du troisième type !... Je m’enquiers « Il va sortir ? » - « Je l’espère, … c ’est mon premier long métrage. » - « Et son titre ? » - « J’aimerais bien L’Enfance Nue mais on n’en est pas encore là, il y a les distributeurs et puis… »

Je l’interromps :« Toi qui dis que la peinture revient cher, tu dois être servi ! » - « Ce n’est pas pareil : le peintre est seul, irrémédiablement seul, alors qu’au cinéma c’est une équipe. C’est vrai, il y a des moments pénibles, comme la course aux financements… » Un silence, puis il reprend : « Mais au- delà, ton rôle est polymorphe, tu dois coordonner, tirer le meilleur de chacun, tout en ne perdant jamais de vue le vrai … » - « Le vrai?... C’est la vérité ? »

- « Pas tout à fait : Il existe une nuance sensible entre le vrai et la vérité, car le vrai est humain, alors que la vérité ne l’est pas toujours, humaine. Et puis, tu ne peux compter que sur toi, et toi seul pour insuffler ce vrai … » Encore un silence, puis : « …Je me dis parfois que je suis trop en dehors du système, de la normalité ,… on ne va peut-être pas me laisser continuer… »

Mathias, de la Régie, me tape sur l’épaule : « Tu devrais faire fissa, le Déco frise le feu de cheminée,… t’as intérêt à t’armer d’un bon extincteur ! » - « J’arrive, j’arrive ! » Je me tourne vers Maurice : « Tu connais Robert Enrico ? » - « Oui, c’est bien ce qu’il fait... » Je me lève , Mathias me fait, de la porte, des signes désespérés. Je prends congé de Maurice, sa poignée de main est vraie, comme son regard qui pour la première fois « se plisse » dans un large sourire : « J’ai été content de parler avec toi, Pierre… -« Moi aussi, Maurice.. » - « Files, sinon tu vas te faire engueuler. » me dit-il de sa voix égale...

Bien plus tard, j’ai revu Maurice, plusieurs fois. Nous nous abordions toujours de la même manière : « Salut, je m’appelle Maurice, comme d’autres s’appellent Raymond . » Et nous éclations de rire avant que je ne fasse référence à Saint Pierre… Aujourd’hui, alors qu’il nous a quitté, il me manque,… il nous manque. Comme je souhaiterais le rencontrer au détour d’un avenir et qu’il nous dise d’un ton neutre:

« Salut, je m’appelle Maurice,…oui, Maurice comme PIALAT. »

Pierre RATERRON

* Chroniques de la vie ordinaire ( 1995/2001)

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