petit nuage (avatar)

petit nuage

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Je me souviens....

Suivi par 289 abonnés

Billet de blog 4 mars 2015

petit nuage (avatar)

petit nuage

Abonné·e de Mediapart

La soupière

Après les œufs, restons dans l'alimentaire, obsession ancestrale des animaux et des humains (faisons quand même la distinction).

petit nuage (avatar)

petit nuage

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© DR

Après les œufs, restons dans l'alimentaire, obsession ancestrale des animaux et des humains (faisons quand même la distinction).

Nous les vieux, avons sur la jeunesse cet avantage indiscutable d'avoir des souvenirs plus nombreux, enfin jusqu'à un certain âge car ils ont une fâcheuse tendance à s'estomper. Il en est de merveilleux, de tristes, honteux, poignants ou douloureux. Quelques-uns, que nous jugeons aujourd'hui insignifiants restent pourtant indélébiles dans leurs petites cases ; je vais entr'ouvrir l'une d'entre elles.

Le ciel radieux des vacances s'assombrissait de quelques nuages qui s'accumulaient aussi dans ma tête à la pensée de ce monde inconnu que moi, petit bonhomme de 12 ans allais devoir affronter. Le train qui m'emmenait loin de mes parents pour un internat que j'imaginais déjà peu accueillant, était mon premier adversaire, impossible de lutter. Le premier soir, premier repas, première grosse soupière métallique au mitan d'une table de huit, dans un réfectoire bondé dont le vacarme annihilait toute pensée. Le plus autoritaire des cinq « anciens » sert le potage à ses quatre collègues puis crache dans la soupière, goguenard, imité par ses copains. Pour les trois bizuths, cette première humiliation eut pourtant l'effet bénéfique de les sortir de leur isolement en leur révélant mutuellement leurs deux autres compagnons d'infortune dans cet environnement hostile. Mais sans moral, pas d'appétit, ce repas manqué ne me manqua pas mais il augurait mal de la suite de la villégiature. Un dortoir de 75 lits qui plus tard, fut le champ d'homériques batailles de polochons mais ce premier soir, non, pas vraiment envie... lever à 6 heures du matin puis une heure d'étude avant le petit déjeuner, bref la vie de château ! Pourtant, j'aimais bien l'uniforme du dimanche, costume à boutons dorés et casquette d'amiral, en rang par deux nous défilions fièrement dans la ville pour une séance de cinéma, enfin pour ceux qui avaient les sous, les autres allaient à la campagne jouer au foot. Moi j'aimais bien ne pas avoir les sous mais hélas on n'y allait pas avec le beau costume. 

Mathieu Rosaz Les boutons dorés © Mathieu Rosaz

A chaque heure de cours, le prof faisait l'appel pour s'assurer la présence de tous, comme si nous pouvions nous évader de cette ancienne caserne, cernée de hauts murs et dont la seule entrée, lourde porte de chêne, était surveillée par de féroces gardiens. 58 ans après je pourrais encore lister le nom de tous ces élèves dont la tronche a disparu de ma mémoire. Beaucoup plus tard, je fis nuitamment le mur d'un autre internat avec des potes, en grimpant une fortification du théâtre romain de Fourvière ; César dans sa grande bonté nous laissa dévaler les gradins, il nous fallut ensuite escalader les grilles ; nous avions bien mérité un week-end confortable avec copains et copines et tant pis pour les futures sanctions... mais ça c'est une autre histoire !

Aujourd'hui, notre soupière collective est un peu à marée basse, ne surnagent que des grosses légumes (zut, je ne trouve pas l'écumoire!) alors que je goûte davantage les petits pois du fond. Fort d'une leçon de jeunesse, bien apprise celle là, j'évite d'y cracher mes ressentiments.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.