J'avais 18 printemps lorsque tu es sorti de prison. je m'en souviens encore. Tu te battais encore comme un lion, comme tu l’as fait toute ta vie durant, mais si j’en crois les gazettes et les articles de journaux, les forces t’ont abandonnées. Un comble pour un « monstre » comme toi. Ces derniers mois on te disait « au seuil de la mort ». On savait que « ta famille prie ». Alors comme ça, 20 ans après ton Prix Nobel de la paix partagé avec Frederik De Klerk, ton libérateur blanc, de ton Afrique du Sud multi raciale, tu nous quittes. Qui donc va pouvoir prendre la parole pour porter le pardon, la paix, la réconciliation entre les peuples dans ce monde à moitié fou à présent ? Depuis 1948, le monde est orphelin de la grande âme de Gandhi, depuis 1968, c’est celle de Martin Luther King qui est partie assassinée elle aussi. Depuis 1986, nous pleurons l’humoriste Coluche. Depuis 2007, la France l’est de l’Abbé Pierre et c’est à ton tour….
Toi qui a lutté toute ta vie durant pour « une société démocratique et libre » dans ton pays sous l’Apartheid, qui a lutté pour cet idéal « pour lequel tu voulais vivre, mais aussi pour lequel tu te disais prêt à mourir ». C’était ainsi que 2 ans après ton arrestation en 1962, tu te défendais lors d’un procès inique qui en 1964 allait te condamner, avec 7 co-accusés compagnons de lutte, à la prison à perpétuité. Mais pourquoi au juste avais-tu été condamné ?
Dans ton pays, l’Afrique du sud, ancienne colonie britannique indépendante depuis 1910, la population est majoritairement « noire ». Toutefois, depuis 1652 et la fondation d’un comptoir au Cap par des marchands et des agents de la VOC, grande compagnie de commerce hollandaise, des colons hollandais et scandinaves calvinistes se sont implantés. On les nomme les « boers », ou « afrikaners ». Après une longue série de guerres contre les populations noires (Xhosa, Zoulous), l’arrivée des britanniques en 1830 poussent les 1° colons afrikaners chassés à s’installer dans le nord du pays. C’est le « grand Trek » qui marque une opposition féroce entre Boers et britanniques. En 1867, c’est la découverte du diamant qui va rendre fous les colons européens, suivi de celle de l’or en 1885 dans la République boers du Transvaal. Bien entendu ces richesses vont créer des tensions entre Boers et britanniques au point que la guerre dite des Boers éclate en 1899. Les britanniques envahissent le Transvaal orifère. La guerre durera jusqu’en 1902. Mais elle laissera une haine terrible entre Boers et britanniques. Et elle est tristement célèbre pour être le siège de l’invention des fils barbelés et, pire des camps de concentration. Les britanniques ont bel et bien devancé Hitler de près de 30 ans. Les Boers désormais contraints de travailler dans les mines, deviennent des travailleurs pauvres, prolétarisés et cultivent la haine des anglais. Mais ils sont blancs…
En 1910, c’est la naissance de l’Union Sud-Africaine ancienne colonie britannique devenue indépendante, mais rattachée au Commonwealth. L’Etat est anglophone et dirigé par les « blancs » (Afrikaners et Anglais). Très vite la ségrégation raciale (dirigée contre les noirs et les métis) est instituée. Ainsi dès 1912, le parti auquel tu vas adhérer très vite va naître. C’est l’ANC, l’Afrikan National Congrès qui milite pour une société égalitaire et non raciale. Il est proche du Parti communiste.
Dans les années 30, le modèle des Afrikaners se trouve en Allemagne. C’est l’Allemagne nazie d’ Hitler sa « race des seigneurs » et son idéologie raciste. On déteste, les noirs, les anglais et les juifs. D’ailleurs comme le dit la Bible, on ne mélange pas les races dans une société parfaite… Et il faut protéger la culture afrikaner, alors… En 1948, la victoire aux élections générales du pasteur Daniel Malan, leader du parti nationaliste, permet à son 1° Ministre le Docteur Voerwoerd en véritable père de la politique d’Apartheid d’instaurer officiellement la ségrégation, sociale, raciale et spatiale, appelée « politique de bon voisinage »… Et c’est une pluie de lois ségrégationnistes qui tombe sur les non blancs. Interdiction des mariages entre blancs et non blancs ; classement des populations par groupes ethniques et raciaux ; zones d’habitations séparées entre blancs (21%) et non blancs (79%) ; des réserves pour les noirs appelées « bantoustans » qui à terme doivent devenir indépendantes et quitter l’Afrique du sud désormais « blanche »… L’accès aux zones blanches n’est accessible qu’avec un passeport ; séparation raciale dans les lieux publics et les services publics ; éducation au rabais pour les non blancs ; multiplication des cités dortoirs aux périphéries des villes industrielles réservées aux noirs : ce sont les townships….
En 1960, le massacre de Sharpeville qui fait 70 morts dans les rangs des manifestants noirs qui s’opposent aux passeports obligatoire a dû comme toutes les lois d’Apartheid te serrer l’estomac et les poings de rage. Mais c’est la Guerre froide et l’Afrique du sud a pour mission de tenir le sud du continent contre la menace communiste. Du coup, américains et européens (britanniques et français) continuent à fermer les yeux. Tandis que le mouvement de décolonisation traverse toute le continent africain, les Afrikaners sont inquiets et la rupture avec la tutelle londonienne est marquée lorsque ton pays quitte le Commonwealth.
Tu es alors devenu avocat, suivant l’exemple de ton maître indien Gandhi et est un leader de la communauté noire. Tu vis dans la clandestinité et décide de passer de la non violence de ton maître à la lutte armée. Ainsi née la branche armée de l’ANC. Te voilà ennemi public n°1. Malgré le soutien de la chanteuse de Sophiatown, Myriam Makeba, des Blacks Sachs (mouvement de protestation des femmes blanches) et de nombreuses marches silencieuses, te voilà arrêté en 1962 et condamné à la prison à perpétuité. Tu passes alors l’essentiel de ta peine dans le bagne de Robben Island. Ta femme Winnie est assignée à résidence surveillée à Soweto.
Pendant ce temps, les afrikaners s’adonnent à leur plaisir favoris : le rugby, le barbecue et conduisent des Chevrolet… Mais pas question de donner le droit de vote aux noirs et aux métis.
Et si ton pays est exclu de l’Assemblée générale de l’ONU en 1974, il poursuit sa répression sanglante comme en ce triste jour du 16 juin 1976 à Soweto, où des milliers de jeunes manifestent contre l’obligation de l’enseignement en langue afrikaner. 23 jeunes ne se relèveront pas et tombent ce jour-là sous les balles des policiers blancs racistes. Parallèlement les militants anti-Apartheid qui ne sont pas en Exil (Oliver Tambo) ou en prison), tombent les uns après les autres tels Steve Biko en 1977, Neil Aggett en 1982.
On te proposera même de te libérer de prison, mais tu refuseras, car « ta liberté est inséparable de tous les militants noirs !!! ». Le pouvoir va tout faire pour discréditer la cause des noirs en attisant la rivalité entre l’ethnie Xhosa (à laquelle tu appartiens) et celle des Zoulous de l’Inkhata du chef Bouthelezi. L’Evêque Desmond Tutu dénoncera avec le souffle et la rage qui l’animent cette guerre civile entre noirs. Ton pays est alors à feu et à sang, entre Etat d’urgence, lois d’exceptions, censure. Les extrémistes de l’AWB crée en 1980 par l’ex policier Eugène Terre’Blanche (mort en 2010) continue à promouvoir une Apartheid absolue, le racisme et la haine. Les nationalistes au pouvoir gardent le cap. Tandis que les blancs qui votent se déchirent entre partisans des réformes, partisans de la fin de l’Apartheid et ultra racistes de l’AWB, les noirs eux, ne votent toujours pas. Le pouvoir dirigé par Piet Botha dit Piet la gâchette, s’enfonce dans la violence (avec les escadrons de la mort), la Guerre froide touche à sa fin, le Mur de Berlin s’apprête à tomber en 1989, année de la libération de son compagnon de lutte Walter Sisulu. Ta libération approche car Frederik De Klerk successeur de Piet La gâchette a décidé ta libération à condition d’en être le grand organisateur. Le 10 février 1990, il donne à la presse la photo officielle de lui à tes côtés et annonce ta libération pour le lendemain. Le 11 février 1990, te voilà enfin libre après 28 ans de prison… le soir même tu prononces un discours à l’Hôtel de ville du cap, dans lequel tu te comportes déjà en homme d’Etat d’une Afrique du Sud libre et démocratique : « J’ai combattu la domination blanche et la domination noire. J’ai rêvé d’une société libre et démocratique où tout le monde vivrait en harmonie avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel je veux vivre et que je veux réaliser. Mais s’il le faut, c’est aussi un idéal pour lequel je suis prêt à mourir…. ». En 1993, tu es honoré du Prix Nobel de la paix, avant que de devenir le 10 mai 1994, le 1° président noir d’Afrique du Sud. Près de 20 ans après, tu restes une sorte de grand sage, une lumière, un espoir pour ton humanisme.
Te voilà au soir de ta vie et si ta nation arc en ciel est loin d’avoir réglé ses problèmes sociaux et économiques, y compris sous ta présidence, ton message de paix, ton charisme et ta sagesse, ton pardon et cette main tendue à tes geôliers d’hier pour bâtir un pays réconcilié font de toi Madiba un des grands hommes du XX° siècle. On a dit de toi que tu étais un « « colosse moral », « une icône mondiale de la réconciliation », « une conscience planétaire » et tant d’autres noms ronflants. Et si tu étais au fond un exemple à suivre, mais le meilleur de tous… Si tu étais l’incarnation de l’homme bon. Combien de frontières repoussées ? Combien de bras désarmés ? Nous nous souviendrons longtemps de ton message universel, de ton point levé et de ton éternel sourire.
Tiens à cette heure tardive me reviennent en mémoire les images de ta sortie de prison, celles des mélodies du groupe de rock écossais Simple Minds chantant – Mandela day – mais aussi celle d’un petit concert donné dans une petite salle de spectacle, à Muret, dans une petite sous-préfecture par celui qu’on nomme le « zoulou blanc », Johnny Clegg, ton « disciple » qui lutte à son tour à mettre la paix dans les cœurs pour chanter Asinbonanga… A écouter ici en guise d’hommage. http://www.youtube.com/watch?v=BGS7SpI7obY
Goodbye Bafana. Merci et longue vie à ton humanisme. Pour que le si long et douloureux chemin pour la liberté ne s’arrête jamais.