Billet de blog 8 février 2012

Christophe LASTERLE (avatar)

Christophe LASTERLE

Abonné·e de Mediapart

Charonne, c'était le 8 février 1962, il y a 50 ans

Charonne, 50 ans déjà….C’était le 8 février 1962. C’était en France.Aujourd’hui, nous commémorons un bien triste anniversaire, celui de la répression sanglante et meurtrière d’une manifestation pacifique qui a fait 9 morts. C’était en France, au cœur de Paname, dans le 11° arrondissement, à la station de métropolitain Charonne.

Christophe LASTERLE (avatar)

Christophe LASTERLE

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Charonne, 50 ans déjà….C’était le 8 février 1962. C’était en France.

Aujourd’hui, nous commémorons un bien triste anniversaire, celui de la répression sanglante et meurtrière d’une manifestation pacifique qui a fait 9 morts. C’était en France, au cœur de Paname, dans le 11° arrondissement, à la station de métropolitain Charonne.

Charonne était jadis un village des environs de Paris, rattaché à la capitale en 1860, sous Napoléon III.  C’était au cœur de l’hiver et à l’automne de la Guerre d’Algérie qui ne disait pas son nom. Tandis que cette satanée « guerre » d’Algérie tirait péniblement à sa fin, que les sherpas du  général de Gaulle et les leaders du FLN négociaient ferme à Evian, une terrible guerre franco-française entre un pouvoir ayant choisi le pragmatisme de la négociation avec son ennemi et l’OAS (= Organisation de l’Armée Secrète fondée en 1961 par le général Salan, Pierre  Lagaillarde  et Jean-Jacques Susini) qui lui reprochait sa politique d’abandon allait faire du 8 février 1962, une date douloureuse pour la mémoire de la « Gauche » française et au delà.  L’OAS crée par les fanatiques de « l’Algérie française » sait ne plus pouvoir compter sur un fléchissement de la position d’un exécutif (De Gaulle)  qui  a fait le choix de l’autodétermination et de la négociation avec le FLN. Un pouvoir gaulliste qui doit beaucoup à la crise du 13 mai 1958, déclenchée depuis Alger par les militaires et les partisans de l’Algérie française. En mai 1958, le « général » était alors le sauveur. Quatre ans plus tard, c’est un homme à abattre. Car voici que se sentant trahis, les membres de l’OAS se sont lancés dans une politique de « terre brûlée » et de déchainement de violence à la fois en Métropole et en Algérie.

Aux expéditions sanglantes contre les algériens musulmans en Algérie s’ajoutent des attentats au plastic en Métropole au début de l’année 1962. Les cibles sont parfois célèbres. C’est ainsi qu’avant que de Gaulle (au Petit Clamart) soit la cible de l’OAS, les attentats toucheront André Malraux (et la jeune Delphine Renard qui du haut de ses 4 ans perdra un œil), le sénateur communiste Raymond Guyot, le professeur de droit Georges Vedel ou Albert Camus. Tous seront visés par les membres de l’OAS, dont on ne sait au juste si ils veulent une Algérie française ou une Algérie dans les mains des seuls Pieds-Noirs sur le modèle (raciste) de l’Afrique du Sud ?

Alors le raz le bol en métropole se traduit  dans la rue. En ce 8 février 1962, à l’appel des principaux syndicats (CGT, UNEF, FEN, CFTC, SGEN), des partis politiques de « Gauche », tels le PCF et le PSU, de la JOC, des Jeunesses socialistes et communistes et du Mouvement pour la Paix, une grande manifestation pacifique anti-OAS se met en branle en direction de la Place de la Bastille.  Il n'y a ni pancartes ni banderoles, tout juste des petits calicots, qu'on plie dans la poche, qu'on se passe et porte à bout de bras. On peut y lire : " OAS assassin ! ", " Union contre le fascisme ", " Paix en Algérie ".

Mais les manifestants se heurtent à un impressionnant cordon de forces de l’ordre. Le Ministère de l’Intérieur Roger Frey a rappelé dans la matinée que toute manifestation était interdite sur la voie publique en vertu du décret du 23 avril 1961 qui date du Putsch des généraux « félons »(Zeller, Challe, Jouhaud et Salan), du « quarteron de généraux en retraite », selon la célèbre expression de général de Gaulle.  Les forces de l’ordre, composées de 11 compagnies d’intervention, de 13 escadrons de gendarmes mobiles,  de 3 compagnies  de CRS et de gardiens de la paix, sont dirigées par le Préfet de police de Paris, le sinistre Maurice Papon. Celui-ci était déjà à l’oeuvre lors de la gigantesque « ratonnade » du 17 octobre 1961, cette autre tâche indélébile de la V° République. Les consignes sont claires « être particulièrement actifs et faire preuve d’énergie » pour disperser les manifestants. Les acteurs qui mènent le bal tragique sont mauvais, mais la « pièce » va à nouveau se jouer dans les rues de la capitale. La méthode Papon a déjà fait ses preuves. Les pavés rouges sang d’octobre 1961 seront remplacés par le sang de la bouche de Métro Charonne en ce mois de février 1962. Le temps pour les pandores de nettoyer leurs matraques à grandes eaux et à la Seine de retrouver son cours paisible et serpenter à travers Paname.

Ce soir-là, à la différence d’octobre 1961, la foule est composée de métropolitains, de français non musulmans. Les forces de l’ordre mobilisées  quant à elles sont armées des célèbres " bidules ", ces longs bâtons en bois de 85 cm, casquées et drapées dans des cirés noirs. Elles barrent l'accès de la place. Les manifestants sont nombreux, peut-être soixante mille. La foule imposante envahie la chaussée, son territoire de liberté, son arène, elle ne sait pas que le « torero » Papon veut un triomphe complet. Soudain l’affrontement inévitable a lieu. Pourtant, Les consignes des organisateurs sont strictes : pas de provocations et éviter tout contact avec les forces de l'ordre. Mais les coups de matraques pleuvent au moment où les manifestants se dispersent. Alors  fuyant la répression, les manifestants qui s’étaient regroupés Boulevard Voltaire s’engouffrent  dans la station de métro Charonne… suivis par les forces de l’ordre, matraques à la main.  La course poursuite fatale mène jusqu’à l’entrée. Aucune grille ne bloque l’entrée (version officielle du pouvoir) et l’accès de la station de métro Charonne. Nombreux sont les manifestants  qui trébuchent viennent butter contre ceux qui les précèdent.  Leur engagement pour les libertés fondamentales et leur idéal les aura menés dans un traquenard. Et là en plein 11° arrondissement, « cernés de près par les pandores aux ordres de Papon », la « camarde » et son « zèle imbécile » les a fauchés. Sur le corps à terre des manifestants, les forces de l’ordre se déchaînent à grands coups de matraques, mais aussi en jetant des grilles d’arbres en fer et des grilles d’aération du métropolitain.  Ce sont entre 25 et 40 kg de fer qui s’abattent sur les corps des manifestants. Certains sont même pourchassés dans des halls d’immeubles, jusque dans les étages. La lente et douloureuse agonie  de quelques uns commence. On relèvera 8 morts. Le plus jeune avait 16 ans, une neuvième victime expirera 3 mois après la terrible soirée des suites de ses blessures.

Ils se nommaient Daniel FERY (16 ans), Jean-Pierre BERNARD (30 ans), Anne-Claude GODEAU (24 ans), Fanny DEWERPE (31 ans), Edouard LEMARCHAND (41 ans), Suzanne MARTORELL (36 ans), Hyppolite PINA (58 ans); Raymond WINTGENS (44 ans)  et Maurice POCHARD (48 ans) et en bons citoyens, manifestants leur  raz le bol, ils ont payé au prix fort et injuste leur engagement. Toutes les victimes étaient syndiqués à la CGT, à une exception près. L’exception était membre du PCF. Suzanne Martorell était employée au quotidien l’Humanité. Ce soir là, c’est le Peuple de Paris qui est tombé sous les coups. Maçon, dessinateur, menuisier, typographe, employé des PTT, jeune apprenti…

Alors c’est pour toi Daniel, pour toi Jean-Pierre, pour toi Anne-Claude, pour toi Fanny, pour toi Edouard, pour toi Suzanne, pour toi Hyppolite, pour toi Raymond et pour toi Maurice, qu’il faut se souvenir et honorer votre engagement au prix du sacrifice de votre vie. C’est pour vous qu’il faut aussi exiger que justice soit faîte et que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité.

Lors de vos obsèques le 13 février, près de 500 000 à 1 million de parisiens salueront votre sacrifice et témoigneront du profond dégoût des méthodes fascistes (et ordinaires ?) de la police française du général de Gaulle. La veille, le Premier ministre Michel Debré avait rendu hommage aux forces de l’ordre et plus tard témoignera de son estime à Maurice Papon pour ses qualités d’organisateur. Pour être organisé, il l’était…car pour que le bilan soit aussi lourd, il fallait que les consignes soient claires.

Vos tombes sont au cimetière du Père Lachaise, près du Mur des Fédérés. Tout un symbole…

Le pouvoir quant à lui a cherché des responsables, mais pas dans ses rangs bien entendu. C’est ainsi que le Ministre de  l’Intérieur Georges Frey s’est défaussé et a inventé une version officielle en la personne  de pseudo «  groupes organisés de véritables émeutiers, armés de manche de pioche, de boulons, de morceaux de grille, de pavés [d'avoir] attaqué le service d'ordre ». La version a bon dos. Le mensonge d’Etat utile. Alors on agite le danger communiste… Et en 1966, pour occulter de la Mémoire collective, pour « laver plus blanc les tâches rouges sang de Charonne », les parlementaires gaullistes ont fait voter une loi d’amnistie couvrant les manifestations de 1961 et 1962… Une spécialité française la loi d’amnistie…. C’est fort utile quand un dossier encombrant vient ternir l’action du pouvoir en place. On soulève le tapis de la mémoire et on pousse les horreurs avec le balai de l’hypocrisie, du mensonge d’Etat. La « vérité » attendra… Pas belle à voir !!!


En faisant 9 martyrs, la répression de Métro Charonne est entrée par la petite porte de l’Histoire et dans l’inconscient collectif de la Gauche française et de tous ceux qui de « Droite », de « Gauche » luttent pour les valeurs de notre République, V° du nom.  Après le 17 octobre 1961, le 8 février 1962 est accueilli par Clio. Bientôt, ce sera au tour du 19 mars 1962 (date de la signature des Accords d’Evian). Les policiers français ont tué des manifestants qui s’opposaient à la guerre civile dans laquelle le pouvoir (de Droite) était engagé contre des activistes de l’OAS dont nombreux sont ceux qui rejoindront l’Extrême Droite plus tard…

L’Algérie est devenue indépendante au début de l’été 1962 et son peuple est tombé dans les griffes du FLN divisé. Les harkis seront lâchement et honteusement  abandonnés à leur (triste) sort, à leurs « frères » musulmans du FLN qui n’ont vus en eux que des traitres. Quant aux rapatriés d’Algérie, les Pieds-Noirs préférant la valise au cercueil, ils  découvriront en Métropole qu’on peut se sentir « étrangers » chez soi.  Maurice Papon quant à lui a poursuivi son chemin sous les ors de la République qu’il semble servir à merveille. Quel parcours !!!! Quel itinéraire !!!!  Voir celui-ci en fin de billet…

 Un rassemblement est prévu mercredi 8 février à 12h. Le cortège partira du Métro  Charonne jusqu’au cimetière du Père Lachaise.  Ce coup-ci, les pandores oublieront leurs matraques. Voir ici : http://www.demosphere.eu/node/27910  L’affiche éditée pour l’occasion est magnifique et émouvante. Tirée du site Je me permets de mettre le lien ici http://www.demosphere.eu/files/document-conversion/f-8fd8d18dec-doc.pdf  

Une BD incontournable de Désirée et Alain Frappier, Dans l’ombre de Charonne  permet de plonger dans ces sombres heures. A lire la préface de Benjamin Stora. En historien de référence, il  a fait il y a peu un excellent billet à ce sujet ici : http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-stora/140112/charonne-50-ans-apres

Il n’y a pas que l’immense Leny Escudero qui attend à Charonne, c’est la vérité et la justice aussi qui ont rendez-vous… Quelle est belle sa chanson hommage !!! A écouter sans attendre ici : http://www.youtube.com/watch?v=GQP7I-uzSkM

Plus tard en 1975, dans son 1° album, Amoureux de Paname, c’est Renaud, tout jeune titi parisien qui, entrant dans la carrière, rappelle ce tragique évènement avec son titre – Hexagone – A écouter ici : http://www.youtube.com/watch?v=98DHprMTHUE Il était colère Renaud, mais quel avait raison de l'être !!!

Et comme souvent, la France remercie ses « grands serviteurs » zélés. J’en veux pour preuve l’itinéraire d’un haut-fonctionnaire maculé de sang. Lui, c'est Maurice PAPON…

1936-1938 : Sous Secrétaire d’Etat dans Gouvernement  Léon Blum du Front Populaire

→ Fonctionnaire du Régime de Vichy…

Mai 1942 : Secrétaire général de la Préfecture de Gironde et complice dans la Déportation de 1 690 juifs à Drancy

→ Jamais inquiété à la Libération, il poursuit sa carrière

Août 1944 : Directeur de cabinet du Commissaire de la République Gaston Cusin à Bordeaux,  nommé par le GPRF…. Drôle d’épuration !!!

1947 : Préfet de Corse

1948 : Préfet de Constantine en Algérie

1958-1967 : Préfet de police de Paris

1968 : Député gaulliste du Cher et Trésorier du parti gaulliste

1978 : Ministre du Budget du Gouvernement Barre

→ Puis (heureusement) Les ennuis commencent…

Mai 1981 : Article dans le Canard Enchaîné qui le rattrape…

Décembre 1981 : 1ère plainte de complicité de Crime l’humanité

1983 : Début de l’instruction pour complicité de crimes…

1987 : Annulation de l’instruction pour vice de forme.

1992 : 2nd inculpation

1997 : Ouverture du Procès

1998 : Condamnation à 10 ans de réclusion

2002 : Remise en liberté pour raisons de santé…

2007 : Mort à 96 ans dans son lit dans une clinique parisienne

Alors pour ne pas oublier que cela peut arriver à tous les manifestants, dans tous les pays, dans les « démocraties », comme hier en France ou  dans les dictatures, comme aujourd’hui en Syrie, j’espère que ce cinquantième anniversaire de notre histoire commune ne passera pas inaperçu….  

Et 24 ans après, Charonne a-t-il disparu de la Mémoire collective et de celles des services d’ordre quand les pandores laisseront un autre jeune sur le carreau. Il se nommait Malik Oussekine, avait à peine 22 ans. Il est tombé sous les coups des « voltigeurs » (Equipe de deux policiers en moto, crées par Robert Pandraud) en charge de nettoyer les rues après une manifestation contre le projet Devaquet. Il est mort des suites d’un tabassage en règle subi dans un hall d’immeuble sous les yeux d’un fonctionnaire des finances. Le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua était aussi un gaulliste… Etrange, non ?

On ne sait jamais, le « ventre est peut-être encore fécond, d’où a surgi la bête immonde… ».

Ce modeste billet est une maigre participation pour que la Mémoire ne laisse pas la place à l’oubli et pour que la vérité et la justice donnent enfin à ce jour sombre, son vrai nom : Un crime d’Etat.

Qui s’en souvient ???

A lire le témoignage d'Alain Dewerpe - Charonne, 8 février 1962, Anthropologie historique d'un massacre d'Etat - Edition Gallimard, collection Folio-Histoire, 2006

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.