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Billet de blog 14 février 2022

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Je me souviens de leurs Saint-Valentin

Je me souviens de leurs Saint-Valentin. Elles avaient le parfum des sourires complices, fidèles et solides. En ces moments plus encore, mes parents rejoignaient une sorte de temple antique où flottaient en bannière leurs années d’amoureux parisiens.

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Je me souviens de leurs Saint-Valentin. Elles avaient le parfum des sourires complices, fidèles et solides. En ces moments plus encore, mes parents rejoignaient une sorte de temple antique où flottaient en bannière leurs années d’amoureux parisiens.

Illustration 1
Mauricette et James

Mon père ne manquait jamais d’arriver avec un bouquet choisi de leurs fleurs préférées. Ma mère l’embrassait tendrement sur la joue et cherchait dans le buffet quel vase accueillerait le mieux ce délicat hommage. J’aimais quand elle choisissait celui qui ressemblait à l’une de ses robes, ceintré, avec des appliques dorées de roses, sur un corps rouge. Ou bien lorsque les fleurs étaient des œillets disséminés dans un feuillage de gypsophiles. Je ne me souviens pas de repas extraordinaires, ni de soirées d’enfant solitaire pendant un restaurant, tout au plus d’un apéritif dans le salon, et du liquide doré d’un verre de Pineau, avec son odeur sucrée qui me rendait abeille, pendant que mes doigts plongeaient dans le bol de cacahuètes.

Parfois, lorsque c’était un dimanche, j’accompagnais mon père chez la fleuriste et j’attendais avec lui dans la file. Il y avait ce vieux monsieur aux souliers cirés, courbé sur une cane de bois, très élégant avec sa moustache blanche, qui demandait un bouquet de roses rouges. Sans doute aurait-il modifié son choix s’il avait su ce qu’elles coûtaient de désamour à la planète… peut-être à ce moment-là les fleurs n’étaient-elles pas produites aussi loin, dans de telles conditions désastreuses, mais cultivées avec soin. 

Illustration 2
Rose de janvier © Cl.R

En grandissant, j’obtins le privilège de porter le bouquet, bruissant dans son film transparent, décoré de rubans rouges et blancs, que l’on posait délicatement, une main dessus, une main dessous, sur le siège arrière de la voiture. Mon père refusait chaque fois les messages de déclarations préfabriquées à coller sur le paquet ficelé. Il n’en prononçait pas non plus. Il offrait son bouquet. Ce n’était pas  un rituel vide, encore moins une formalité accomplie. Sans doute à cause du petit mot gentil et de la pointe d’humour qu’il glissait dans le feuillage du bouquet.

Enfant, je vivais leur histoire à leur côté sans savoir. Je n’imaginais pas que deux êtres puissent former un couple sans naturellement bien s’entendre ni qu’ils se lassent l’un de l’autre avec le temps. Leurs amis leur ressemblaient.  Heureux, joyeux, amoureux, malgré le temps, déchirés d’être un jour séparés de leur compagne ou de leur compagnon. 

Leur façon de célébrer la Saint-Valentin était à leur image. Sans se mettre à l’écart, ils ne surconsommaient pas, acceptait le bon côté du rite et restaient fidèles à leurs promesses. 

Même si la première place dans leur cœur était évidemment prise par quelqu’un d’autre qu’un enfant, leur inaliénable entente est une icône belle et fortifiante. Chaque année je pense à eux le 14 février. Avec gratitude. 

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