J’ai mal dormi... Mais le soir suivant, 24 mars 1979, sur la scène de l’Olympia, ce fut superbe ! Dans le camion de régie, Eric (2) , l’ingénieur du son, est aux anges. Moi, j’ai les larmes aux yeux. On se tope la main en hurlant de joie… Lorsque le disque LIVE A L’OLYMPIA (RCA-label Planète Carrée- PL 32275) est sorti, préfacé par André FRANCIS, j’en ai fait porter un exemplaire à Claude NOUGARO.
Quelques moisplus tard, je le revois à Angoulême, lors du Festival Jazz et Musiques Métisses : il se souvient de ce fameux soir à l’Olympia. Je demande ; « Alors, le disque, qu’en penses-tu ?... » - « Superbe !... Je te l’avais bien dit…La galère, cette courge, coquille de Cendrillon, est devenue carrosse… » Surpris et amusé, je demande : « Un carrosse qui largue ses amarres ?... » Claude redevient grave : « Là, tu chipotes !... » puis il éclate de rire…Ou que tu sois, Claude, " on se revoit....sûr!..." Pierre RATERRON * Chroniques de la Folie ordinaire ________________________________(1) D’après un ensemble d’œuvres plastiques, d’installations, de scénographies, d’éphémères que j’avais intitulé « L’Aventure de la Planète Carrée » (de 1972 à 1988)(2) Eric CAUSSARIEU, mon gendre, pour qui c’était le tout premier « grand coup ». Depuis, il devint un ingénieur du son réputé ( disque et télévision ). Disparu tragiquement en décembre 2003, je lui rends hommage pour son superbe travail et son sens musical, avec toute mon affection.Billet de blog 21 avril 2010
"La galère, cette courge, coquille de Cendrillon..." *
A Claude NOUGARO, ce soir là, à l’Olympia…Ce fut un moment d'exception, tellement dense, que 30 ans plus tard je me le rappelle dans ses moindres détails :
A la fin des années 70, j’avais créé avec Jean-Pierre Debarbat ( compositeur et saxophoniste de jazz ) un collectif « d’interventions et de recherches artistiques », dénommé COLLECTIF de la Planète Carrée (1), qui regroupait des plasticiens et des musiciens de jazz comme Olivier HUTMAN, Frédéric SYLVESTRE , Henri VIDAL, Umberto PAGNINI, qui tous, actuellement, comptent dans le Jazz contemporain… Il y eut même un des premiers concerts d’un certain Michel PETRUCCIANI … Nous collaborions avec Martial SOLAL, mais aussi avec des musiciens Américains comme Donny DONABLE, Glenn FERRIS. .. J’avais rencontré plusieurs fois Claude NOUGARO au hasard d’interviews chez Jean-Louis FOULQUIER , André FRANCIS à la Radio ou à l’occasion de passages dans l’émission CHORUS d’Antoine DE CAUNES, à la télévision. Il s’intéressait à la vie du Collectif, m’interrogeait sur la Planète Carrée, curieux de tout : le mariage de l’expression plastique et du Jazz l’enthousiasmait Ces quelques minutes entre deux portes, volées à des emplois du temps chargés, se terminaient immanquablement par ma question : « On se revoit quand ?... » et sa réponse, l’index pointé vers moi : « On se revoit,… sûr !... » C’était presque devenu un rituel… Ayant créé le label Planète Carrée chez RCA, il fallait que le premier disque soit un évènement. L’Olympia venait d’instituer ses « Concerts de Minuit » réservés au Jazz . Les premiers à passer : Herbie HANCOCK et Dizzy Gillespie. Il serait trop long de raconter la négociation serrée, avec l’Olympia d’une part et RCA d’autre part, qui n’aurait pu aboutir sans l’aide bienveillante de ces deux géants du Jazz. Résultat : nous faisons la première partie du concert de Dizzie GILLESPIE, deux soirs de suite, à minuit, les 23 et 24 mars 1979. Nous sommes au septième ciel,… vite redescendus sur terre : nous n’avons que 15 jours pour nous préparer !... A l’issue de notre prestation du 23, à une heure du matin, je sors du camion de régie, démoralisé : aucune des « prises » n’est valable pour figurer sur un disque !...Ce n’est pas une question technique, c’est un ensemble de facteurs, mise en place, chorus mal inspirés… Insensible à la trompette de Dizzy qui entame son concert, je m’engouffre dans le bar des coulisses, là où les artistes conjurent leurs angoisses, leurs doutes ou leur trac soit en silence, soit en des parlotes volubiles. Je choisis le silence et m’installe à une table dans un coin retiré, la mine défaite… A peine suis-je installé que je sens une présence. Je relève la tête ; NOUGARO s’est approché de sa démarche chaloupée : « Salut toi,… mais tu te caches ? »-«Ah, Claude!.. Tu n’es pas dans la salle ? » – « J’aime bien écouter des coulisses, c’est un peu assourdi comme venant d’ailleurs… Demain je l’écouterai plein pot !... Ca ne va pas ? » - « Je suis en pleine galère ! » Il s’assied : « Explique… » Alors je lui raconte toute l’histoire, la pression énorme, notre dernière et seule chance le lendemain pour faire le disque etc… Il écoute attentivement, puis il me met la main sur l’épaule, son regard par-dessus les lunettes est affectueux…Et martelant les mots à la Nougaro, il murmure : « La galère, cette courge, Coquille de Cendrillon… Elle tiraille sur son aire,Mais c’est elle, à minuit, Qui largue ses amarres Et t’emmène voguer Sur la mer de tes rêves ... » J’esquisse un sourire : « C’est beau !... » -«… Ouais, mais ça ne rime pas ! » - « En tous cas, ça balance ! » … - « Ecoute-moi bien, Pierre, fils de ton père,… Ce qu’il t’arrive, c’est banal … D’accord, c’est toi qui réalises le disque ,… alors fais leur écouter la bande , tout de suite ! Ce sont d’excellents musiciens, ils sauront ce qu’il faut faire. » Sur ce, Jean-Pierre arrive : il est en nage, a « tout donné » mais lui, il sait déjà…Il m’interroge du regard…Claude, alors se lève et s’adressant à nous deux : « Allez, je me sauve…Pour vous deux, la nuit sera brève mais fructueuse !... » puis, avec une pression amicale sur mon épaule, il lance ; « Tu verras, ça va aller du tonnerre de Dieu !... ». Les autres sont dans la salle à écouter Dizzy, le moral dans les chaussettes…. A l’issue du concert, on se réunit tous chez l’un d’eux et nous écoutons la bande jusqu’à 4 heures du matin. Puis chacun rentre chez soi.
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