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Je me souviens....

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Billet de blog 21 octobre 2010

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Je me souviens,...le Livre de lecture, la mercerie et la gare...*

Je me souviens du Livre de lecture des « petites classes »... L'histoire se passait dans un de ces recoins de France où il faisait bon vivre, jour après jour, comme dans les illustrations de notre scolaire enfance...

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Je me souviens du Livre de lecture des « petites classes »... L'histoire se passait dans un de ces recoins de France où il faisait bon vivre, jour après jour, comme dans les illustrations de notre scolaire enfance...

On pouvait y voir toute une communauté heureuse d'être là, figée mais heureuse, entre la mairie, l'école, la boulangerie et la mercerie. Pourquoi la mercerie ?... je le suppose, pour la beauté de l'image : les différentes couleurs de fils, de laines, de cotons à broder, permettaient une irisation de la composition dans la vitrine qui, patriotisme oblige, était à dominante tricolore...

Il ne s'agissait pas d'une France profonde, non,... c'était une France sereine, quelque peu stéréotypée, mais tellement attendrissante dans sa volonté de personnifier le bonheur d'être Français aux yeux des jeunes écoliers qui, alors, ne cachaient pas leur impatience à partager ce bonheur et à figurer sur l'illustration entre la mairie, l'école, la boulangerie et la mercerie....Bien sûr il existait des cancres, au fond de la classe, près du radiateur , mais qu'ils aient été garnements ou rêveurs, ils n'avaient rien contre ces images. C'étaient les textes qui les rebutaient...

Je vois encore mes deux camarades de rangée, Fetnat et Ossin, deux petits Français qui s'amusaient à colorier les visages des personnages de l'illustration « Un village de France ». Fetnat, dont le prénom complet était Fête Nationale avait la peau brune : il coloriait les visages en brun. Ossin, lui, dont le prénom originel était Hossine avait la peau mate. Il coloriait les visages en terre de sienne.

Quant à moi, je m'amusais à colorier les visages, tantôt en brun, tantôt en terre de sienne et bien évidemment aussi en rose.... Notre rangée était animée ce qui provoqua l'intervention de l'institutrice : « Mais qu'est-ce que vous fabriquez tous les trois ?... » C'est Ossin qui répondit : « Nous dessinons notre village, Madame... » - « Mais vous n'avez pas le droit de dessiner sur le Livre de lecture !...Pour demain matin, vous me copierez cent lignes : Je ne dois pas dessiner sur le Livre de lecture.... Et que je ne vous y reprenne plus !... »

Ah, j'allais oublier la gare, dans le coin supérieur droit de l'lllustration... Très importante, avec le Chef de gare, son drapeau rouge et le cantonnier campé en une posture hiératique, les mains bien à plat sur le bout du manche de pelle, attendant que le train en gare veuille bien démarrer pour lui permettre de reprendre sa tâche, remblayer les ballasts...

Voyez-vous, tout en évoquant ce village de France, je vous ai amené à l'une de ces gares échappées de notre Livre de lecture... Elle est désaffectée depuis des années, les herbes folles disputent les abords du quai N° 1 aux ronces qui ont envahi le ballast de la voie unique, vide de traverses et de rails...

En fermant les yeux, je peux entendre le grésillement aigrelet de la cloche qui annonce l'arrivée imminente de l'omnibus de 8 heures 57, qui doit être dérivé sur la voie N° 2 pour laisser passer, en sens inverse, la Micheline de 9 heures 03 qui ne s'arrête pas. Sur voie unique, les trains ne se croisent qu'en gare...

A 8 heures 45, c'est le branle-bas : le cheminot de service sort précipitamment du local interdit au public. Il est préposé à l'aiguillage, les trois étoiles de laine rouge cousues sur sa casquette en sont la preuve. Il manœuvre, alors, « l'aiguille » en basculant d'avant en arrière, avec un « Han !... » significatif, l'imposant levier à poignée jusqu'à ce qu'un claquement sourd de mâchoires l'avertisse que la dérivation est effective.

Enfin, le Chef de gare - casquette à coiffe blanche, rutilante de ses trois étoiles en métal doré - traverse en courant le quai N° 1, franchit les voies et saute sur le quai N°2 pour venir se placer à l'endroit stratégique d'où il fera virevolter son drapeau rouge pour inciter, prévenir, stopper le mécanicien de la locomotive qui doit soumettre sa machine aux ordres du maître de cérémonie. Cela consiste à arrêter la loco afin que son marchepied soit , pile, à hauteur du chef de gare qui apprécie, par un sourire connaisseur ou un froncement de sourcils, l'adresse ou le manque de maîtrise du mécanicien...

La machine, alors piaffant d'impatience, exhale des effluves mêlées de vapeur moite au goût acide qui vous enveloppent d'exotisme et vous incitent aux grands départs...Voilà, je vous avais promis de vous amener à cette petite gare. C'est fait . A présent je vous quitte...

Je suis sur la petite plateforme qui relie la locomotive au tender, là où je gêne le moins , derrière le chauffeur qui charge le foyer... Nous partons loin, très loin, vers ce coin de France où les casquettes de chefs de gare sont rutilantes et où, entre la mairie, l'école, la boulangerie et la mercerie aux si belles couleurs, vivent des écoliers aux visages terre de sienne, rose ou brun, heureux d'être Français...

Illustration 3

* Chroniques de la vie ordinaire

© Juranville / le Bateau-Livre © Mercerie de la Vieille Ville / Imgres et © Locomotive à vapeur/ La Bête humaine

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