
Je le savais pourtant : c’est toujours par les extrémités qu’on prend froid. On me l’aura assez dit et répété ! Alors bon, sortir tête nue et en sandales légères comme si ça pouvait convoquer le printemps alors même qu’il tombe des cordes et que les moyennes saisonnières ne sont plus qu’un souvenir du lointain passé…. Bref, est arrivé ce qui devait arriver. Oh, juste un rhume, trois fois rien ! Mais de quoi se trimballer quand même d’une pièce à l’autre son rouleau de Sopalin à la main. Et, comme d’habitude, nicotine oblige, ça a fini par tomber sur les bronches. « Il y en a qui ont le gosier en pente, toi, c’est le pharynx ! » avait coutume de me dire une amie. Si elle savait… Bref, en l’espace d’à peine un week-end, toux catarrheuse, voix de chanteuse réaliste, nuits déchirées de quintes… Une seule solution : les inhalations !
Il fait sombre, sous la serviette de bain taille XXL que j’ai jetée sur ma tête et qui me sert de tente. Le bol fume, les vapeurs d’eucalyptus me picotent les narines et ramonent mes poumons, je tousse, racle, m’étrangle, mais ça dégage. De l’autre côté de la yourte en éponge mauve, je devine le chat qui me fixe, sidéré et légèrement inquiet de la silhouette que ça a, de l’odeur que ça diffuse, et sûrement aussi du bruit rauque que ça fait… Le son de la télé me parvient étouffé. Je ferme les yeux. Il fait chaud, humide, là-dessous. Je ruisselle. Et soudain me reviennent des petites madeleines de parfums : le Vicks Vaporub, les pastilles Pulmoll, le sirop au goût de banane et celui au caramel….
C’est si bon. Les visages inquiets qui se penchent, la main douce qui vous palpe le front, le grain des draps encore tièdes quand on se recouche, exemptée d’école pour la journée (et plus si affinités). C’est si bon, le petit-déjeuner qu’on vous monte sur un plateau avec l’inévitable « fais attention de ne rien renverser », la carafe d’oranges pressées qu’on dépose sur la table de nuit avec votre verre préféré, celui qui est faussement craquelé, et la douceur infinie de l’oreiller dans laquelle on replonge, comme une sieste en pleine matinée, à l’heure où les autres baissent le nez pour ne surtout pas être appelées au tableau à réciter justement le truc qu’elles auront oublié de réviser…. Vous fermez les yeux, vous vous rendormez. Retrouver mon rêve d’avant ? C’était quoi, déjà ? Où j’en étais restée ?
Il y avait bien sûr les maladies « classiques ». Outre les coqueluche-rubéole-oreillons-rougeole et autres scarlatine, traditionnelles maladies infantiles qu’on a d’ailleurs eues ou pas, il y avait aussi les non moins classiques rhumes, angines, sinusites, bronchites, otites, affections, on le découvrira plus tard, non strictement réservées au jeune âge. Mais à cette époque où les crises de foie faisaient rage mais où la « gastro-entérite » n’avait pas encore été inventée (pas plus d’ailleurs que les « troubles bipolaires », qu’on se contentait la plupart du temps d’appeler « cyclothymie », ou la « dépression », simple « neurasthénie »), il existait encore des maladies pratiquement disparues depuis : la « crise d’acétone ». Elle était à elle seule une véritable fabrique à arrêts maladie. Une affection bénie !
Pour ceux et celles qui avaient la chance d’avoir une tension généralement assez basse, il existait aussi les vertiges, les nausées, et le malaise vagal sous toutes ses formes. Une véritable mine. Du moins quand ils sont simulés. Car l’enfant étant souvent un comédien-né et sachant se prendre au jeu comme personne, combien de fois après m’être prétendue « faible, avec tout qui tournait…. », me suis-je trouvée rattrapée par la réalité, les jambes flageolantes pour-du-vrai, incapable de rien avaler et parfois même, authentiquement tombée dans les pommes, jetée en vrac sur la descente de lit, livide et en nage, avec le cœur qui battait d’incrédulité ?
Il y avait aussi, bien sûr, nos diverses « astuces et recettes ». Qui n’en a pas eu ? Approcher la pointe du thermomètre de l’ampoule de la table de chevet pour feindre la fièvre. Doser habilement un cocktail de rouleaux de Zan, de pastilles Vichy et de chocolat au lait par plaques entières. Trois jours de lit assurés et un air si barbouillé que personne ne pourrait douter. Mais quelques mauvais moments à passer, il est vrai. Il en faut du courage, parfois, pour préméditer ! De quoi rendre les heures de paresse et de petits soins plus doux encore et plus mérités. De quoi, surtout, s’y complaire, et essayer de faire durer…
Moments ineffables parmi tous, ceux qui marquent la sortie des classes des autres, les bien-portants. Le frère ou la sœur qui jette un regard excédé dans la chambre et meurt de jalousie avant de se réfugier en maugréant dans la sienne avec une tonne de devoirs à faire. Les camarades qui passent prendre des nouvelles, t’apportant, qui la copie des cours du jour, qui « le Capitaine Fracasse » ou « Jane Eyre », qui encore des piles et des piles d’illustrés, du genre « à perdre son temps » pas réellement bienvenus en temps normal à la maison. Pur délice en forme de petite rançon. Et déjà, des pas lourds dans l’escalier. Déjà l’heure du goûter ? Non, juste le médecin « de famille » qui fait sa visite, pose sa mallette, échange une plaisanterie ou deux avec « sa petite malade », prend la tension, hoche la tête, puis plonge une petite cuiller dans la bouche en disant de sa grosse voix : « Allez, petiote, maintenant, fais AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA »….
« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA »