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Je me souviens....

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Billet de blog 23 janvier 2016

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La main du Général

Comment ne pas s'en souvenir ? Sa grande et lourde main, que par respect je n'ose nommer paluche, effleura furtivement la mimine d'un petit garçon de treize ans planté là non par hasard, mais par un enchaînement de minuscules événements sans grand intérêt qui vont garnir malgré tout l'essentiel de ce billet.

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Comment ne pas s'en souvenir ? Sa grande et lourde main, que par respect je n'ose nommer paluche, effleura furtivement la mimine d'un petit garçon de treize ans planté là non par hasard, mais par un enchaînement de minuscules événements sans grand intérêt qui vont garnir malgré tout l'essentiel de ce billet. Pour donner du poids à l'image, je disais toujours à mes copains (et à mes copines, ça aidait un peu...), avec une assurance qui interdisait le doute et qui me donnait avantageusement l'initiative du geste : j'ai serré la main du Général De Gaulle. Dans quelles circonstances ? Plantons d'abord le décor.

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  1957, pour l'orientation scolaire des enfants le must consistait à passer des tests psychotechniques. Le dessin de l'arbre et l'interprétation de la tache d'encre ont sans faillir, décelé chez moi des aptitudes manuelles qui ont scellé ma destinée. Ayant été reçu haut la main, c'est quand même la moindre des choses, au concours d'entrée, j'intégrais l'année suivante l'internat de l’École Nationale Professionnelle de Tarbes, bâtisse imposante à l'allure militaire bien à l'image de la discipline à laquelle nous allions devoir nous soumettre. L'événement à venir étant approximativement localisé, il convient de s'intéresser un peu à la vie des acteurs ou au moins du plus minuscule, c'est inhabituel mais pourquoi pas ? 

Plusieurs articles de cette édition ont déjà décrit en détail la vie d'internat, mais tant pis pour vous, si vous voulez connaître la vérité sur cet épisode glorieux, il vous faudra aussi subir le mien. Il est étonnant que les deux années les plus malheureuses de ma vie sont aussi celles qui ont laissé le plus de traces dans ma mémoire. Alors pour vous faire patienter, en attendant le Général encore sur la route entre Auch et Tarbes, voici, après « La soupière », quelques anecdotes supplémentaires :

Mes codétenus et moi ne rentrions à la maison qu'une fois par trimestre, le temps s'écoulait lentement, alors tout au long de chaque semaine, le dimanche de repos tant attendu restait dans nos esprits, l'objet d'une savante stratégie. Je vous explique : ce jour béni était consacré à trois activités au choix :

Le cinéma où nous allions en troupeau, costumés de nos uniformes à galons, entourés de quelques pions, pour des films d'adulte auxquels je ne comprenais rien (mon seul souvenir : Le miroir à deux faces, Bourvil et Michelle Morgan, trop abscons pour mon petit cerveau).

Le rugby où, accoutrés pareil, flanqués sur les à-côtés boueux du Stadoceste tarbais nous devions encourager l'équipe locale.

L'Echez, endroit bucolique de la campagne tarbaise, que j'adorais pour la liberté retrouvée et pour les parties de foot, sport dans lequel j'avais la chance d'exceller et qui me faisait exister un peu.

Pour cette joyeuse escapade, l'uniforme à galons était déconseillé et pourtant … Sur le trajet de trois kilomètres, nous étions doublés régulièrement par un groupe de militaires, sans doute une section de parachutistes, nombreux dans cette ville de garnison, qui chantaient à tue-tête (que les chastes oreilles détournent le regard !) : En revenant de Paris chez ma tante, Oh la la, oh lalalalala … en revenant de Paris chez ma tante, tiens voilà mon zobzobzob tiens voilà mon zob zobi. Nous qui avions bien des difficultés à mémoriser en classe le moindre petit poème, étions capables, dès la troisième sortie de les accompagner dans leur mélodieuse romance en tentant nous aussi le pas cadencé. Certains d'entre nous, prévoyants, avaient même chaussé leurs casquettes d'amiral. Nous étions tout fiers, nous, petits gamins de 13 ans de présenter ainsi nos hommages aux passantes horrifiées.

Mais pour bénéficier de cette faveur, il fallait être collé, punition qui se gagnait au cours de la semaine par l'accumulation de mauvais points dont l'obtention, parfois méritée ne pouvait se compléter que par la ruse. Parmi les nombreux stratagèmes inventés depuis des années, en voici quelques uns qui m'ont bien aidé à améliorer mon jeu de dribbles et reprises de volée :

De tous les professeurs que nous subissions huit heures par jour, samedi compris, je ne me souviens que d'un seul (faut-il être un salaud pour rester dans l'histoire, la petite, la mienne ?), il s'appelait Dassaut, il nous faisait (enseignait n'est pas le mot approprié) Français, Histoire Géo. C'était une peau-de-vache qui, dès la première séance, m'avait choisi comme souffre-douleur, j'étais le plus petit, petit poucet perdu dans un monde inconnu, il n'avait à craindre aucune rébellion. S'il avait plaisir à m'accabler de mauvais points, je savourais l'idée, tête basse et mine contrite, qu'à l'insu de sa notoire méchanceté, il me rendait service. Mais un jour de pénurie, pour atteindre le seuil de la félicité et donc forcer le destin, j'improvisai le coup de l'harmonica. Il arrivait toujours du fond du couloir d'un pas lourd et sonore en exigeant de nous, à son arrivée dans la classe, un silence religieux. Ce jour là, au signal d'un copain, je soufflai fortement dans mon instrument avec quand même la peur au ventre car les gifles faisaient aussi partie de son arsenal répressif. Mon compteur de mauvais points en engrangea au moins pour trois dimanche de rêve, mais cruelle injustice, il était remis à zéro tous les lundi. 

Une autre ficelle, grossière mais efficace consistait à attendre dans les latrines extérieures le passage du pion de service qui faisait ses rondes dans la vaste cour de l'établissement et puis, sur le signal sonore d'un complice, lâcher des nuages de fumée de cigarette par l'interstice du haut de la porte. Le vigile débonnaire qui n'était pas dupe concédait quelques mauvais points pour tabagisme interdit, sans pouvoir, au regard de la hiérarchie faire bénéficier toujours aux mêmes des effets de sa sévérité. Il fallait donc trouver d'autres astuces en ciblant les profs distributeurs impénitents de ce qu'on appelait aussi des dragées. A l'atelier de forge, par exemple, laisser trop longtemps son fer au feu présentait le double avantage d'être reposant et de faire grossir sa récolte. Autre réussite hélas unique dans le genre : circulait dans l'internat, un livre licencieux qui passait de main en main. Pisté par ceux qui n'en avaient pas encore eu la primeur, il atterrit un jour dans notre classe de dessin puis sur ma grande planche où, délaissant plume et encre de chine, je me mis à lire ébahi, une page puis deux sans vraiment comprendre, l'auteur n'ayant pas jugé utile d'expliciter par quelques illustrations. La saisie de ce chef-d’œuvre me valut un dimanche à la campagne et la rancune tenace de mes copains soucieux d'améliorer leurs connaissances des choses de la vie.

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Mais il faut bien en arriver à l'objet principal de ce billet. Ce lundi 16 février 1959, les établissement scolaires de la ville reçurent pour mission d'accueillir dignement le Général. Dispensés de cours, appréciant ce jour de presque-vacances, indifférents à l'aspect historique de cette visite, il fallait quand même se préparer. Soyez dignes et présentables, c'était la consigne. Alors, après la douche obligatoire et le cirage des chaussures, nous devions présenter nos uniformes à la lingerie pour un éventuel ravaudage. Et ensuite pas question d'aller dans la cour, le risque de salissure avait été jugé rédhibitoire. D'ailleurs il faisait froid, nombre d'entre nous, assez mal en point se rendirent à l'infirmerie pour les soins de dernière minute. Pour ma part, j'eus droit au gargarisme, liquide d'une belle couleur fuchsia, servi dans un gobelet en carton que, m'écartant de la file des souffreteux, j'avalai d'un trait. Après cette médication que l'infirmière me proposa plusieurs jours de suite, je pissais rose-bonbon, persuadé qu'une couleur aussi chatoyante ne pouvait augurer d'aucun danger pour ma santé. Bref, de ces petits soucis particuliers, revenons au Général. 

Dès l'heure venue, c'est à dire très longtemps avant son arrivée présumée, fiers et graves, conscients de l'importance de notre rôle, nous partîmes 200 mais par un prompt renfort des autres groupes scolaires, nous nous vîmes 3000 en arrivant au port, mais plutôt rigolards, de larges bribes de dignité échouées le long du parcours. Positionnés en larges cercles sur une place dont le nom m'échappe, nous attendîmes … longtemps longtemps. Et puis il apparut Mon Général ; il avait déjà beaucoup parlé à la préfecture, aux haras et à la mairie. Ici point de discours. Dès qu'il me vit dans la foule des écoliers, il mit ses grandes échasses en mouvement, me serra longuement la main comme pour honorer tous les écoliers de France, avenir d'un pays qu'il voulait grand et indépendant, me regarda droit dans les yeux et me dit de sa grosse voix chevrotante : « vous êtes le sang neuf de la Nation », sang neuf qui dut me rosir le visage de fierté contenue. Je me retins de lui chanter « Allons enfants ... », l'état de mes cordes vocales m'interdisant cet exercice. Puis il s'éloigna, digne et majestueux. 

J'aurais pu vous laisser croire qu'il en fut ainsi, mais hélas ce ne furent que des frôlements de pogne buste courbé et air absent, lui qui habituellement sondait l'horizon tête haute. Mais qu'importe, en rejoignant harassés notre internat, nous apparûmes aux yeux des habitants comme une escouade revenue d'une glorieuse mission.

Voilà, chères toutes et tous qui m'avez fait l'honneur en passant, de lire cette illustre épopée, je vous serre virtuellement une main malgré tout chaleureuse. Pour votre gloriole personnelle, vous pourrez dire dans votre entourage : j'ai serré la main d'un mec qui a serré la main du Général. Ne me remerciez pas !

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