Billet de blog 26 novembre 2010

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Sophie Calle se souvient

Rachel Monique 20/10 - 28/11

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Rachel Monique 20/10 - 28/11

Illustration 1

De Sophie Calle, j’ai quelques souvenirs de rencontres, dans une sorte de vie antérieure, une femme passionnée et vibrante, profonde et drôle.

De Sophie Calle, j’ai des livres, nombreux, des catalogues, des souvenirs d’exposition.

Illustration 2

Et samedi dernier, la dernière : «Rachel, Monique», au Palais de Tokyo. Une exposition qui rend hommage à sa mère, morte en 2006. Un travail sur la mémoire, les rituels, le deuil. Mais aussi la renaissance, à l’image du lieu choisi, en transition. Mais encore l’intime & l’invisible, malgré la surexposition, avec ce film, lourd, de longues minutes en plan fixe, «Pas pu saisir la mort», ce qui échappe, définitivement. Quand ? La mort, instant invisible, Daniel Arasse l’avait dit. Sophie Calle reprend, (dé)compose, (dé)construit. Tente de saisir celle qui donna la vie, celle qui est partie. Celle qui, toujours, échappa. Dès son nom, déjà une mise en scène :

«Elle s’est appelée successivement Rachel, Monique, Szyndler, Calle, Pagliero, Gonthier, Sindler. Ma mère aimait qu’on parle d’elle. Sa vie n’apparaît pas dans mon travail. Ça l’agaçait. Quand j’ai posé ma caméra au pied du lit dans lequel elle agonisait, parce que je craignais qu’elle n’expire en mon absence, alors que je voulais être là, entendre son dernier mot, elle s’est exclamée : «Enfin».»

Si vous voulez vous y rendre, il faut faire vite : «Rachel-Monique» se termine le 28 novembre, et mieux vaut réserver son billet en ligne : pas plus de 20 à 30 visiteurs à la fois, dans un lieu absolument exceptionnel. 9000 m2, un espace intime au sein de l’immensité, du froid, du béton. Sophie Calle a investi la Friche du Palais, comprenez les sous-sols, avec gravas, trous dans les murs, scotchs de chantier.

Illustration 3

Tout, avant même de découvrir les oeuvres exposées, fait sens : un lieu de mémoire, un espace en transit et en friche. Un lieu intime, puisque peu de visiteurs en même temps. Un silence à peine rompu par quelques accords de musique, lorsque le film de «Maman» «Pas pu saisir la mort» se termine.

Comme dans toute l’oeuvre de Sophie Calle, des photos, des objets et des textes. C’est dense, souvent drôle, franchement bouleversant.

C’est intime, fort, sans voyeurisme ou complaisance.

Illustration 4

On y découvre Monique, Rachel, qui fit graver sur sa tombe «Je m’ennuie déjà», qui se faisait appeler Ava Gardner parfois, qui aimait rire, s’amuser. Qui a eu peur de mourir. Aussi. A quitté le monde sur un «Ne vous faites pas de souci». Souci, le dernier mot, interrogé, investi, partout présent.

Sophie Calle retrace une vie en quelques traits, mêlant anecdotes – la bague, l’immeuble grenoblois –, réflexion et rituels, le voyage au Pôle, les objets dans le cercueil :

«Avant de fermer le couvercle, sa dépouille a été recouverte des objets suivants : sa robe à pois blancs et ses chaussures rouge et noir, parce qu’elle avait choisi de les porter pour sa mort. Des poignées de bonbons acidulés, parce qu’elle s’en empiffrait. Des vaches en peluche et en caoutchouc, parce qu’elle collectionnait les vaches. Le premier tome d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, dans la Pléiade, parce qu’elle connaissait par cœur la première page et qu’elle la récitait dès qu’on la laissait faire. Une carte postale représentant Marilyn Monroe en compagnie de Humphrey Bogart et de Lauren Bacall, parce que Marilyn était son idole

Illustration 5

Et, au fond à gauche, une girafe, naturalisée, et cette légende simplement écrite sur un mur qui a fait basculer pour moi l’installation vers l’intime, vers mon propre deuil.

Illustration 7

« Quand ma mère est morte, j’ai acheté une girafe naturalisée, je l’ai installée dans mon atelier et prénommée Monique. Elle me regarde de haut, avec ironie et tristesse ».

Des bleus à l’âme, oui. Un grand, grand moment.

CM

Sophie Calle Rachel, Monique Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, 75016, Paris. Du mardi au dimanche, de midi à minuit. Jusqu’au 28 novembre 2010. Entrée : 4 €

Galerie Emmanuel Perrotin