Ça peut être soudain le motif du papier peint dans une chambre d'hôtel. Déjà vu quelque part, mais où ? Lors d'une visite à des grands-parents lorsqu'on était enfant ? Dans une autre chambre de passage ? Pourtant, ces volutes, ces médaillons, ces fleurs, on les connaît par cœur. On se souvient même avoir passé des heures à en suivre les sinuosités, à guetter les ombres de la nuit qui s'allongeaient dessus ou l'auréole dorée de la lampe de chevet qui s'y projetait... On en jurerait.
Ça peut être un paysage entraperçu par la vitre passager de la voiture : ce champ, au loin ce bosquet, le chemin creux qui file vers une ferme dont la silhouette imposante se devine là-bas, un peu en contrebas. Plus loin ce carrefour avec la barrière de bois, les bornes kilométriques, le crucifix à demi recouvert par les branches d'un noisetier. Tout cela est trop familier. On a marché sur ce chemin. On a appuyé sa bicyclette sur le chapeau jaune de la borne. On a grappillé des fruits encore verts dans le noisetier. On en mettrait sa main à couper. Mais on a beau chercher, jamais on n'est passé par cette contrée.
Parfois, c'est une musique, déjà entendue. Une ritournelle qui charrie avec elle des souvenirs enfuis dont on ne se souvient plus lesquels. Sol do mi, sol do mi, fa fa sol. Un parfum depuis longtemps disparu et qui soudain nous rappelle... Mais qui donc, bon sang ? On l'a sur le bout de la langue, sur le bout des narines, sur le bout de la mémoire, on ferme les yeux pour mieux se souvenir, mais rien. Ou alors c'est un geste, ô trois fois rien, un semblant de mouvement, à peine un simple frémissement de la main mais qui nous revient en plein parce qu'on l'a tant de fois vu faire. C'est une voix connue par cœur, jusque dans le velouté rauque de sa matière, jusqu'à son grain, mais de l'autre côté du combiné, le nom du correspondant ne nous évoque rien.
Parfois, pire encore, c'est une silhouette, un visage, une façon de rire ou de sourire. Parfois, en somme, c'est carrément quelqu'un. Une sorte de choc, et c'est là que la magie intervient, parfois même réciproque : « On se connaît, non ? » « Voyons, où avons-nous déjà pu nous rencontrer ? » On se met à chercher, en vain. On n'y arrivera jamais. Pourtant, on en est sûrs, on se connaît, on est le contraire de ce qu'on pourrait appeler des étrangers. Des proches. Des familiers. On s'est déjà parlé. Il y a forcément des moments qu'on a déjà partagés. On ne saura jamais lesquels. Ni où ni quand ni comment. Trop tard. La suite nous attend. On aura beau jouer au jeu du "Toi aussi ?" "Moi aussi...", on sera déjà pris par le présent.
Juste se dire que c'est sûrement à cause de vies antérieures qu'on s'offre parfois le plaisir de retrouvailles imaginaires. D'enfance ou d'avant-enfance, de la préhistoire de notre mémoire, d'une période qu'il est inutile de se torturer à rechercher. Juste l'accepter. Et le célébrer comme il se mérite. Car si le présent est toujours tissé de passé, c'est d'abord le présent qu'il est urgent de vivre. Pour qu'il devienne un jour plus-que-parfait.
*Ce billet est dédié à Jean-Michel, Bérangère, Gérard, Jean, Dominique, Anne, et quelques autres, toutes personnes que j'avais eu l'impression de connaître déjà depuis toujours, le jour où je les ai rencontrés « pour la première fois »....