Il était une fois…Bien sûr, vous vous attendez à un conte. Eh bien non, ce « il était une fois » veut bien dire que cette histoire est « véridiquement vraie », comme le dirait l’Alcide, le chasseur de cauchemars qui habite juste derrière le cimetière, là où surgit la source De la Belle Eau. Les gens du pays l’appellent ainsi parce que son eau pétille au soleil et vous revigore.
Voici donc l’histoire qui est arrivée, un soir de décembre, prés d’un hameau au pays du soleil dru qui fait craqueler les grains de lavande au point qu’ils vous embaument le reste de la journée. La vie y est aussi rude qu’ailleurs, mais ici, l’air que vous respirez vous rend meilleur. Il se trouve qu’en ces temps de Noël, dans ce hameau dont les habitants étaient pieux, les jours étaient rythmés, toutes les heures, par le son des cloches de l’église, petiote, tout en haut de la combe. Il y avait bien la carriole du vétérinaire qui, parfois, rayait le silence ou les clochettes des chevrettes qui tintinnabulaient,… mais c’était tout.
A l’autre bout du hameau, sur la route qui mène à Empaignes, vivait une famille modeste, certains n’hésitaient pas à la traiter de « pauvre ». Le père, le Roumiade, c’est comme cela qu’on l’appelait, était sourcier et la mère, Augusta, rempaillait les chaises que l’on voulait bien lui confier à réparer. Bien sûr, cela ne suffisait pas à nourrir la maisonnée, car ils avaient quatre enfants. Mais comme le Roumiade ne rechignait pas à la tâche, il allait se louer à la journée dans les bastides alentour. Pendant ce temps, Augusta chantait en entrecroisant ses joncs torsadés. Cette famille était gaie et le bonheur n’oubliait pas de s’y arrêter - comme pour fuir, soit la fournaise, soit la froidure de la garrigue – et de s’y installer pour durer, paisiblement…
Ce soir là, pour une fois la maison était silencieuse. Toute la famille vivait un drame , surtout les parents : Fanny, l’aînée qui allait sur ses dix-sept ans,ne pouvait plus cacher qu’elle avait « fauté » . Le matin même, en allant livrer des chaises à Monsieur Pornille le boulanger, on avait jasé sur son passage « Vous avez vu la Fanny comme elle est grosse ?... Boudiou ! … c’est pas d’indigestion qu’elle souffre , … c’est d’avoir trop regardé les feuilles à l’envers et à présent la Fanny, elle est "gros-ventre comme devant"! » Suivaient des rires gras, épais, des rires bêtes de gens jaloux du bonheur des autres…Parce que pour elle, Fanny, c’était un bonheur d’avoir ce petiot ou cette petiote …C’était pour bientôt… Et puis, peut-être que ses parents finiraient par l’accepter…
Elle se disait cela, au soir tombant, en prenant le frais non loin de la maison, sur la route d’Empaignes. Elle savait que son père et sa mère étaient assis à la table du bas, silencieux et seuls. Les frères et sœurs avaient été envoyés se coucher,… ses parents l’attendaient mais elle appréhendait ce moment . Soudain, les douleurs la prirent, violentes, répétées… Déjà cette après-midi, elle avait eu plusieurs alertes mais n’avait pas osé en parler. Le souffle coupé, les jambes flageolantes, elle s’assit sur le talus, en contrebas de la route, puis elle s’étendit. Le ciel était à présent constellé d’étoiles comme l’aurait été un manteau d’apparat. Et là, elle ressentit comme un coup de poignard qui la déchirait … Oh Mon Dieu, que cela faisait mal ! Elle poussa un long cri de détresse, puis hors d’haleine, s’évanouit…
Lorsqu’elle reprit connaissance, elle vit tout d’abord ses parents. Ils l’avaient entendu de la maison et étaient accourus. L’Alcide les avait rejoints, en compagnie de la mère Cagarille, rebouteuse qui, à l’occasion faisait office de sage-femme : elle avait mis au monde plus de la moitié des enfants du hameau. Le vétérinaire, de retour d’une visite, s’était arrêté. Tout ce petit monde tournait le dos à Fanny et parlait à voix basse.
Elle appela : « Maman, Il faut m’emmener à la maison,… je vais avoir le petit !.. » L’Alcide se retourna et lui présentant un petit bout de chou tout barbouillé, emmitouflé dans une couverture « Eh Beh, Il t’a pas attendu, le petit et puis tu sais, Fanny, il va falloir le nourrir , parce que pour réclamer, il réclame ! C’est tout son grand-père Roumiade ! " Ignorant l’allusion, Roumiade s’agenouilla auprès de sa fille et lui demanda d’un voix grave : - « Fanny, le petiot, comment veux-tu l’appeler ?... » - « Noël, Papa, Noël… »
Roumiade fit silence, puis d’une voix posée :
- « Tu as raison ma fille, Noël… c’est le bienvenu ! "
Cela se passait un soir de décembre, sur la route d’Empaignes, là où l’air que vous respirez vous rend meilleur..