Le guêpier1
Pas de noisettes pour les pigeons
(L’antimirage des chaumières)
Épopée2 à suspense
née de l’imagination de
Jean-Pierre Lamargot
1 « Endroit dangereux, situation complexe et délicate dont on arrive difficilement à sortir sans dommage. Synonymes : pétrin (familier), piège, souricière, traquenard. Donner, tomber dans un guêpier. »
« Ce n'est pas la peine de nous donner tant de mal pour tirer Albert du guêpier où il s'est fourré » (François de Curel, La nouvelle idole, 1899, I, 1, p. 163), selon Le Trésor de la Langue Française informatisé (cf. http://atilf.atilf.fr/)
2 Long poème ou récit « de style élevé » où la légende se mêle à l'histoire pour « célébrer un héros ou un grand fait ». On pourrait sans doute à bon droit aussi bien parler de prétérition (« figure par laquelle on attire l'attention sur une chose en déclarant n'en pas parler »)
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La rechute des Palombe
Souvent il arrivait tant à Monique qu’à Jean-Philippe de se sentir nauséeux, plus particulièrement certains soirs d’hiver, quand le soleil ne dispensait plus ses bouffées d’optimisme1 et que le sommeil tardait pourtant à les gagner.
Un gériatre aurait probablement diagnostiqué l’effet pervers de l’irréparable outrage des ans, car près de dix années s’étaient maintenant écoulées depuis qu’ils avaient cédé aux mirages de Squirrel. La nymphose s’étant révélé chimère, les chrysalides des fringants quinquagénaires d’alors n’avaient cédé le champ qu’à des sexagénaires2 las d’avoir trop espéré et tant désespéré.
Car Squirrel les obsédait ! Leur tourment venait-il de Squirrel lui-même, ou bien des séquelles indélébiles que la banque avait laissé en chacune de ses victimes ?
Squirrel, l'unique objet de leur ressentiment !
Squirrel, à qui vient ton bras d’engendrer leur tourment !
Squirrel qui les avait vu naître et que leur cœur adorait !
Squirrel enfin qu’ils haïssaient pour les avoir spolié !
Squirrel, l’éternel adversaire, doucereux et sournois une décennie plus tôt, devenu aujourd’hui un piranha aux dents acérées, déchiquetant de ci de là, tant et plus !
Squirrel les harcelant sans relâche depuis qu’ils avaient manifesté l’irresponsable prétention de faire valoir leurs droits, directement ou par l’intermédiaire de leurs conseils, qui semblaient depuis poursuivis par la malédiction du Pharaon, pour avoir tenté de violer le sarcophage de Duplex.
Et voilà que c’était maintenant ce Tripier qui les étripait, celui en qui ils avaient placé leurs espoirs, ayant cru reconnaître en lui l’architecte de leur reconstruction !
Décidément, rien ne leur avait été épargné ; et peut-être rien ne le leur serait-il plus jamais ? Ils croyaient leurs dos affublés du M majuscule des maudits3, les désignant à la vindicte et aux piques acérées de toutes les autorités4.
Leur moral au plus bas, ils se sentaient bien près de lâcher prise et ce n’est qu’à un réflexe de fierté qu’ils devaient d’en être dissuadés. Après tout, ils avaient fait front jusqu’à maintenant, surmontant et franchissant les uns après les autres tous les obstacles qui s’étaient présentés.
Mais combien hérisseraient encore leur route ? Leurs forces ne finiraient-elles pas par les abandonner?
Ce que la fierté avait ébauché, ce fut la colère qui l’acheva. Tripier avait imaginé les plumer un à un et jusqu’au plus fin duvet. Qu’il aille au diable, désormais, formant la troupe avec ses Fassol, ses Monacau, ses Félisette, ses Olivia-Delamaison et tous ceux qu’il aurait tirés de son chapeau, si on ne s’était décidé à le lui enfoncer sur la tête !
Avec même ses Hourra, qui pour ne pas siéger dans le même camp, n’en était pas moins de la même espèce et pratiquait les mêmes manières !
Pessimistes comme ils l’étaient devenus5, ils se demandaient parfois si Rupin n’en serait pas venu à les trahir, lui aussi, si son destin n’avait pas tourné court…
Prochain épisode : Chapitre 28 – Flash back
1 « La nostalgie, c'est comme les coups de soleil : ça fait pas mal pendant, ça fait mal le soir », Pierre Desproges, in Chronique de la haine ordinaire
2 « Ce qui me console de souffler bientôt ma soixantième bougie, c'est que dans sexagénaire, il y a sexe. », Guy Bedos, in Journal d’un mégalo
3 Les rendant dignes, ainsi affublés, de se ranger fièrement dans la troupe des figurants de Fritz Lang
4 « Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu'il y a quelqu'un derrière moi. Et c'est moi-même ! […] quelquefois c'est pour moi comme si je courais moi-même derrière moi ! »
5 « L'avantage du pessimisme, c'est qu'on ne peut avoir que de bonnes surprises » Guy Bedos, in Le jour et l’heure