Billet de blog 25 avril 2021

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Le Guêpier, chapitre 30 : Courant alternatif - phase 1

Chapitre 30 de l’épopée à suspense inspirée des méandres de l’« affaire » DoublO

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Le guêpier1

Pas de noisettes pour les pigeons

(L’antimirage des chaumières)

Épopée2 à suspense
née de l’imagination de

Jean-Pierre Lamargot

1 « Endroit dangereux, situation complexe et délicate dont on arrive difficilement à sortir sans dommage. Synonymes : pétrin (familier), piège, souricière, traquenard. Donner, tomber dans un guêpier. »

« Ce n'est pas la peine de nous donner tant de mal pour tirer Albert du guêpier où il s'est fourré »  (François de Curel, La nouvelle idole, 1899, I, 1, p. 163), selon Le Trésor de la Langue Française informatisé (cf. http://atilf.atilf.fr/)

2 Long poème ou récit « de style élevé » où la légende se mêle à l'histoire pour « célébrer un héros ou un grand fait ». On pourrait sans doute à bon droit aussi bien parler de prétérition (« figure par laquelle on attire l'attention sur une chose en déclarant n'en pas parler »)

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Courant alternatif – phase 1

Tripier avait raison, au moins, sur un point : le carnet d’adresses du CLAS ne lui permettait guère de fantaisie quant à la sélection d’un nouveau défenseur. Le cahier des charges implicite qu’il s’était fixé nécessitait d’identifier un professionnel aguerri, d’un contact coopératif et aisément accessible. Il en était au moins un qui remplissait ces conditions et l’avait démontré sur le terrain fin 2xx8-début 2xx9 : Maître Dominique Rupin.

C’est donc tout naturellement vers lui qu’il se tourna, l’abordant avec prudence, sans faire état de ses démêlés avec Tripier. Diplomatie élémentaire, car le CLAS ne maîtrisait en aucune manière la façon dont Tripier avait présenté l’historique de l’affaire, mais à son avantage sans aucun doute, et le CLAS avait appris, aussi, à la manière de l’huître de la fable, que la confraternité n’était pas un vain mot.

Il ne fut donc pas question de reprendre le processus au point où il s’était interrompu (ce dont Rupin était informé, puisque Tripier l’avait pressenti pour prendre la suite de Monacau…)

De plus, Rupin semblait en tenir pour une stratégie sensiblement différente, selon l’exposé qu’il en fit. Il pensait plutôt mener l’affaire dossier par dossier, par négociation d’avocat à avocat ; c’était son objectif, car il ne croyait pas à un succès par voie purement judicaire, ni au civil, ni au pénal, en raison du poids de Squirrel et de celui de ses appuis politiques.

Le consultant exposant sa vision de la stratégie à son client, afin que celui-ci décide (ou non) de le suivre en lui en confiant la mission, voilà bien une démarche dont le CLAS n’avait pas eu la pratique depuis que Tripier, « seul maître à bord » selon sa propre expression, avait fait main basse sur le processus…

Vis-à-vis de Tripier, il se prononçait d’autant moins que personne ne lui demandait de le faire ; mais il conseillait de gagner du temps en lui laissant mener les dossiers au Tribunal d’Instance et au Tribunal de Grande Instance pour ne pas mettre la puce à l’oreille de Squirrel pendant six mois (« la jouer fine », selon son expression imagée).

Peu de temps avant l’Assemblée Générale du 17 décembre 2011, Maurice Tripier avait annoncé que Maitre Guillerette acceptait de prendre les dossiers (« une vieille amie avec qui je travaille régulièrement en tant que consultant… qui ne peut pas me refuser… mais qui se relève de graves problèmes familiaux… etc. »). Rien de fameux dans cette présentation !

En raison de l’avalanche des revers subits (Fassol Monacau Félisette), le Bureau faisait tout ce qui était en son pouvoir pour la rencontrer ; mais Tripier restait rigoureusement et obstinément sourd à cette demande : jamais personne ne rencontra, ni ne parla, ni ne signa un quelconque document avec ce fantôme !

Lors d’une conversation téléphonique avec Maurice Tripier, Toussaint Chapon avait résumé ainsi son sentiment : « elle avait été poussée dans l’escalier pour accepter de prendre notre défense » et ajouté que « si elle n’était pas motivée, son apport ne serait jamais performant ».

Le 15 février, Toussaint Chapon et Dominique Rupin eurent un échange téléphonique au cours duquel le second, tout en refusant une rencontre discrète avec le Bureau du CLAS (« déontologiquement, je ne peux pas vous recevoir en cachant cette entrevue à mon confrère Tripier »), laissait la porte largement ouverte à un éventuel « plan B » (« on pourra parler d’avenir après l’audience de l’AMF »).

Rupin savait que la Commission des sanctions de l’AMF avait obtenu de consacrer le 30 mars 2x12 une audience au cas Duplex. Il s’agissait, selon lui, d’y être représenté, d’y faire la démonstration du caractère délictuel des pratiques qui avaient été celles de Squirrel et d’y obtenir sa condamnation, afin de capitaliser ultérieurement sur cet acquis, en menant des négociations en vue de conclure un accord amiable.

C’était en quelque sorte un retour vers le futur, avec une légère nuance, toutefois : il s’agirait de se présenter à la négociation en position de force et non pas en toute ingénuité. L’expérience vécue par Rupin avec la Mostale lui valait un considérable avantage …

Une convention valant Lettre de Mission fut préparée par le CLAS ; revenu de sa candeur première, il y décrivait le but visé et les moyens qu’il considérait acceptables.

Autre nouveauté dans les relations avocat-client : c’est le CLAS qui rédigea le rapport récapitulatif1 qui serait soumis à la Commission des sanctions et sur lequel s’appuierait la plaidoirie de l’avocat. Un pavé de 88 pages, joufflu à souhait, dont le but ultime était de démontrer qu’un tel montage financier dans son essence, sa finalité, sa forme, sa présentation aux consommateurs par la publicité, avait toutes les caractéristiques d’un marché de dupes contraire à l’éthique, à la morale et à la loi.

Un temps fort de l’audience fut la discussion de l’application stricte ou non de la prescription (3 ans). Si elle était retenue, cela aurait signifié que pour être recevable, une plainte relative à la publicité afférente au produit Duplex aurait dû être déposée entre 2xx3 et 2xx5, au plus tard, pour des produits dont on n’aurait pu juger des résultats effectifs qu’entre 2xx7 et 2xx82.

Un autre soubresaut survint lorsque la Présidente de la Commission, revenant sur le système de commercialisation, créait un incident en citant le rapport de la DGCCRF qui concluait à la publicité trompeuse. Maître Hourra (ce cher avocat conseil de Squirrel lors des procédures intentées par le CLAS) avait répondu avec force que ce document venant du pénal et d’une affaire en cours de jugement, ne pouvait en aucun cas être cité dans une instance administrative comme celle de l’AMF… et qu’il venait d’une part d’un Monsieur rigoureusement inconnu du Conseil National des Barreaux, et non pas un avocat3, dont le nom est Tripier, et d’autre part de Maître Rupin.

Madame T…, rapporteur de la Commission et son assistant précisaient alors que Maître Rupin avait cité ce rapport lors de son audition, alors que Monsieur Tripier en avait communiqué une copie4, et qu’ils avaient estimé équitable de verser cette pièce aux débats afin que tous puissent apprécier son contenu d’un point de vue critique, dans un sens comme dans l’autre.

La Présidente, tenant compte de la remarque de Maître Hourra, disait vouloir retirer le document (qui resterait cependant annexé au dossier à charge car étant objet de l’enquête de l’AMF). Un document certes soustrait au débat du jour ; mais on pouvait imaginer sans trop de craintes de se tromper que ce qui avait été dit aux membres de la Commission leur serait resté en mémoire…

En conclusion, rapportait le compte-rendu du Président Chapon :

  • « la rapporteur dont l’intervention fut techniquement sans reproche tant sur la description des produits Duplex que sur leur commercialisation (documents internes et externes), s’est retranchée derrière le délai de prescription jadis de référence…
  • le représentant du Collège a été implacable sur la responsabilité de Squirrel
  • la Présidente et deux membres de la Commission ont été assez incisifs
  • les avocats des diverses entités de Squirrel se sont abrités derrière des arguments vagues, voire peu crédibles, puisque les agences d’hier sont (même agrégées) les branches d’aujourd’hui ! Aucun argument de poids n’a été avancé par ces Messieurs…
  • enfin, si le jugement devait être défavorable aux épargnants, il ne ferait pas jurisprudence pour les actions en cours (au pénal comme au civil)… En revanche, s’il était positif, il constituerait un sacré coup de pouce pour notre attaque !!!!

En conclusion : aucun pronostic5 ! Rendez-vous dans un mois… » 

Le 2 mai, Le Canard Enchaîné faisait état de cette audience, sous le titre : « Des clients de Squirrel doublement gâtés. Le placement Duplex, garanti en or, a fini en toc. La justice s’en moque » avec un article qui concluait « Depuis quatre ans, le Parquet de Paris roupille. Il vient seulement de rouvrir un œil : « Il est très fortement envisagé une poursuite devant le tribunal correctionnel » annonce-t-il au Canard. Il y a bien eu quelques procès civils contre les agences locales. Certains gagnés, d’autres perdus. Mais les concepteurs de Duplex n’ont jamais été inquiétés » » 

 « Rendez-vous dans un mois » avait pronostiqué Toussaint Chapon. Une fois n’est pas coutume, les juristes devancèrent le calendrier : dès le 19 avril 2x12, la Commission des sanctions rendait sa décision, dont la substantifique moelle était ainsi libellée :

« DECIDE DE :

  • constater que les faits objet de la poursuite sont atteints par la prescription ;
  • publier la présente décision, sous une forme préservant l’anonymat de la société X, sur le site Internet de l’AMF »

Prescription ! ! !  En matière de gifle, celle-ci ne devait rien à celle que Maître Hourra avait infligée à Monsieur Tripier !

Pourtant, Maître Rupin ne jetait pas l’éponge ; de sorte que le 19 juin 2x12, le Président de l’AMF formait un recours devant le Conseil d’État6 à l’encontre de cette décision de la Commission des sanctions, vigoureusement dénoncée par les avocats des souscripteurs. Mais il faudrait compter environ une année avant que le Conseil d'Etat statue…

En réalité, il en fallut presque deux : ce n’est en effet que le 28 mars 2x14 que le Conseil rendit son avis, par lequel il confirmait la décision de la Commission des sanctions de l'AMF, qui avait écarté toute sanction pour promesse trompeuse en raison de la prescription des faits.

Il considérait que c'était « à bon droit que la Commission des sanctions avait estimé que les faits dont elle avait été saisie étaient prescrits ». Mais il relevait aussi que les fonds Duplex et suivants « étaient destinés à une clientèle « grand public » et ce alors que la formule de rémunération du capital investi dans les fonds était particulièrement complexe ; que ces fonds avaient été commercialisés dans le réseau de Squirrel où ils avaient fait l'objet d'une promotion commerciale de grande ampleur ».

Selon l'analyse du Conseil d’État, ces conditions de commercialisation « justifiaient une vigilance particulière de la COB, puis de l’AMF dans l'exercice de leur mission de contrôle ». Les autorités de contrôle avaient eu la possibilité de relever les manquements allégués dès la période de commercialisation, qui s'était achevée en avril 2xx2.

Dans ce contexte, il validait le fait que le délai de prescription de trois ans était expiré lorsque les procédures de contrôle avaient été ouvertes en octobre 2xx87. Les manquements constatés concernant les documents de commercialisation des fonds à formule concernés ne pouvaient dès lors donner lieu à aucune sanction.

Un pétard mouillé qui exaspérait Maître Rupin autant que les requérants qu’il représentait. Mais le guerrier avait de la ressource.

Prochain épisode : Chapitre 31 – Courant alternatif-phase 2

1 « Rapport récapitulatif sur les produits Duplex de Squirrel commercialisés en 2xx1 et 2xx2 ». Cette coopération avait été proposée par le CLAS (et acceptée par Rupin) pour alléger autant que faire se pouvait le temps passé par l’avocat à l’instruction du dossier, et par voie de conséquence, la charge de ses honoraires

2 Comme le disait en aparté Maître Rupin, la conséquence aurait été que si demain vous achetiez un produit financier dans une banque, vous devriez aussitôt déposer une plainte pour vous prémunir si l’échéance était lointaine … Mais au risque de vous exposer à un retour de bâton pour plainte abusive !

C’est afin de sortir de cette absurdité que la notion de prescription fut aménagée plus tard, afin que son début coïncide non plus avec la commission des faits, mais avec leur découverte…

3 Une véritable gifle verbale ! Mais Tripier était avocat « émérite »  (« qui a pris sa retraite et jouit des honneurs de son titre ») et non pas « honoraire »  (« titre honorifique accordé sous certaines conditions à un avocat qui, sans être omis du barreau, ne peut plus exercer son activité ») ; en l’occurrence, d’ailleurs, on aurait été admis à se demander si « avocat honoraire »  n’aurait pas été une simple forme de redondance pléonastique … (on trouvera en annexe la réponse que Maurice Tripier fit à Madame la Présidente de la Commission des sanctions de l’AMF. )

4 L’audience avait également été l’occasion pour le CLAS de constater que Tripier n’hésitait pas à prendre des initiatives personnelles (ce qui était son droit), mais en impliquant le nom de l’association (ce qui l’était beaucoup moins, car étant de nature à entretenir un doute chez les destinataires de ses correspondances).

5 Toussaint Chapon commençait à s’entourer de prudence en matière de calendrier judiciaire (« chat échaudé craint l’eau froide »)

6 Le Collège de l'AMF, lors de sa séance du 24 avril 2x12, avait donné son accord pour permettre à son Président de former un tel recours devant le Conseil d'Etat ; il n'avait jusqu'à présent jamais usé de ce pouvoir, pourtant rendu possible par un décret du 16 août 2011.

Maître Dominique Rupin l’avait énergiquement incité à en user …

7 Par une subtile variante de lecture, on aurait tout aussi bien pu comprendre que le Conseil d’Etat faisait grief à l’AMF de n’avoir pas procédé aux contrôles appropriés en temps voulu, dès l’origine (une forme de non assistance à épargnant en danger ?)… 

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