Le guêpier1
Pas de noisettes pour les pigeons
(L’antimirage des chaumières)
Épopée2 à suspense
née de l’imagination de
Jean-Pierre Lamargot
1 « Endroit dangereux, situation complexe et délicate dont on arrive difficilement à sortir sans dommage. Synonymes : pétrin (familier), piège, souricière, traquenard. Donner, tomber dans un guêpier. »
« Ce n'est pas la peine de nous donner tant de mal pour tirer Albert du guêpier où il s'est fourré » (François de Curel, La nouvelle idole, 1899, I, 1, p. 163), selon Le Trésor de la Langue Française informatisé (cf. http://atilf.atilf.fr/)
2 Long poème ou récit « de style élevé » où la légende se mêle à l'histoire pour « célébrer un héros ou un grand fait ». On pourrait sans doute à bon droit aussi bien parler de prétérition (« figure par laquelle on attire l'attention sur une chose en déclarant n'en pas parler »)
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E la nave va
Parce qu’ils avaient dans un passé récent amplement et intensément coopéré à la défense de clients modestes spoliés par des banques dans plusieurs affaires individuelles ou collectives ; parce qu’elle lui devait (à l’homme, autant qu’au professionnel) sa spécialisation de terrain dans ce domaine ; parce qu’elle était, enfin, d’une infaillible fidélité à la mémoire de son maître1, Henriette Cuivron-Germani accepta, sans qu’il fut besoin de la prier, de relever la chevillette qui s’était injustement2 échappée des mains de Dominique Rupin. La bobinette finirait donc par choir.
L’avocate commença par explorer méticuleusement et méthodiquement les archives laissées par Maître Rupin ! Jusqu’au moment où lui fut révélée une bien douloureuse surprise : Thanatos, tout à sa hâte, n’avait pas eu la délicatesse de laisser à sa victime le temps de mener à dû terme la tâche qu’il avait initiée. S’il avait bien préparé la plainte avec constitution de partie civile, il ne l’avait pas déposée effectivement, faute d’avoir eu le temps de répondre aux objections du Juge, qui lui avait au dernier moment opposé un argument de principe.
Maître Cuivron-Germani se trouvait donc confrontée à un cruel dilemme : devait-elle dans l’urgence la plus absolue3 poursuivre dans la voie engagée, ou bien devait-elle envisager une solution de contournement ?
Prudemment, elle opta pour la seconde branche de l’alternative et, le 20 mai 2x16, si une plainte avec constitution de partie civile fut déposée, ce fut à Lille, au nom de 12 requérants clients de l’agence locale de Squirrel, démarche entreprise dans l’urgence pour parer le risque de se voir opposer, mais à bon droit cette fois, la prescription.
A ses yeux, la juridiction lilloise était la moins débordée sur le plan national et on pouvait espérer que le procureur donnerait bien sa réponse dans les six mois, au plus, qui lui étaient impartis. S’il acceptait la plainte, on pourrait alors étendre la démarche à d’autres juridictions.
C’est le scénario qu’elle exposait dans son courriel du 19 avril 2x16 au président du CLAS :
« Cher Monsieur,
Je vous remercie de votre envoi.
Le plus gros obstacle à surmonter dans cette affaire Duplex est aujourd'hui la prescription, tant civile (largement acquise) que pénale.
Comme convenu, je ne pourrai pas aller plus loin si cette plainte adressée au Procureur de Lille est classée pour ce motif.
J'en serai navrée, bien sûr ; mais il est difficile de rattraper les conséquences d'une stratégie judiciaire dont personne ne pouvait anticiper l'échec, qui est lié aux manœuvres de Squirrel.
Bien cordialement.
Henriette Cuivron-Germani »
Bien sûr, on comprendra que plus le temps passait, plus s’exacerbait l’impatience de certains adhérents à laquelle se trouvait confronté l’exécutif du CLAS …
Plusieurs adhérents s’indignaient, à juste titre, d’avoir à constituer de nouveau leur dossier, alors que Tripier en avait indûment conservé les pièces par devers lui et se refusait catégoriquement à les restituer...
Enfin, le 15 septembre 2x16, le périodique Challenges publia, sous le titre « Affaire Duplex : BECP de nouveau dans le viseur de la justice », l’article repris ci-dessous, qui provoqua parmi les CLASsistes l’effet d’un fulgurant coup de tonnerre :
« C'est un véritable feuilleton juridique. Quinze ans après sa commercialisation, le produit financier " Duplex " pourrait valoir de nouveaux ennuis judiciaires à Squirrel, aujourd'hui intégrée au groupe BECP.
Selon nos informations, le Parquet de Paris a finalement ouvert, fin avril 2x16, une information judiciaire, confiée à la juge A… B… Dans le viseur : les dépliants publicitaires très optimistes de "Duplex" et "Duplex 2", des produits conçus par la Société Particulière. Leur devise : " Doublez votre capital en toute sérénité. Bonne pioche garantie ". Non seulement les 267.000 épargnants, qui ont souscrit pour 2,13 milliards d'euros, sont loin d'avoir doublé leur capital en six ans, comme promis. Mais, en plus, Squirrel leur a facturé près de 30 millions de droits d'entrée.
Une première condamnation à Saint-Étienne
En 2xx8, l’avocat Dominique Rupin, représentant le Comité de Lutte contre les Attentats de Squirrel (CLAS), dépose une première plainte contre X auprès du Parquet de Paris pour publicité mensongère et escroquerie. Dans le même temps, des plaintes individuelles sont aussi déposées au niveau local, en particulier à l’encontre de Squirrel Loire Drôme Ardèche. Ces plaintes individuelles, également portées par Dominique Rupin ainsi que sa consœur Henriette Cuivron-Germani, débouchent, fin 2x12, sur une condamnation de l’agence régionale pour publicité mensongère. Une première concernant un produit d’épargne vendu par une banque.
Dans le jugement, qui sera confirmé en appel, le Tribunal de Saint-Étienne précise qu’au lieu d'une rentabilité annuelle de 12,25 %, les performances de Duplex 2 ont été comprises entre 0,5 % et 1,9 % hors frais d'entrée et de gestion. Surtout, les juges ont estimé que le dépliant ne comprenait pas d'élément permettant d'informer clairement le consommateur que le doublement n'était qu'une simple possibilité et pas une certitude. Pire, le texte principal renvoyait à plusieurs reprises à des mentions complémentaires imprimées dans des caractères de moins d'un millimètre ! Du coup, la banque a dû payer une amende portée en appel à 100.000 euros et verser aux victimes des indemnités comprises entre 15 et 25 % du capital investi.
Un énième rebondissement judiciaire
En revanche, la plainte du CLAS déposée au niveau national, à laquelle s’étaient joints de nombreux plaignants, a été classée sans suite en 2014. Motif invoqué par le Parquet : le groupe BECP, issue de la fusion en 2x10 de Squirrel et des Banques Communes, ne saurait être considéré comme responsable d’une infraction commise auparavant par une société qu’il a absorbée. Dominique Rupin dénonce alors dans Le Parisien un " enterrement de première classe " mais ne se décourage pas. L’une des victimes dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile début 2x15. C’est cette plainte, reprise par l’avocate Henriette Cuivron-Germani après le décès de son confrère, qui va aujourd’hui donner lieu à une enquête pénale.
La Juge vise notamment les responsabilités de l'ex-filiale de Squirrel, Squirrel Gestion, devenue Squirrel Asset Management, aujourd'hui intégrée à BECP. Contacté par Challenges, le Groupe Squirrel affirmait n’avoir pas encore été mis au courant de l’ouverture de cette information judiciaire. »
Ouverture d’une enquête pénale par le Parquet de Paris (information reprise par Le Figaro) ! Enfin !
Maître Cuivron-Germani se précipitait aussitôt dans la brèche entrouverte et invitait les CLASsistes à se constituer partie civile dans la procédure ouverte par le Parquet de Paris.
Tant et si bien que le 31 décembre 2x16, le Président du CLAS dressait le bilan des opérations : 153 dossiers avaient été envoyés à Maître Cuivron-Germani, qui estimait que la procédure durerait environ deux ans… Elle en avait reçu 148 ; puis, le 25 janvier 2x17, il fut confirmé que quatre seulement manquaient encore.
Le 24 juin 2x17, le Président en exercice du CLAS, P… T…, remarquant que l’été était peu propice à l’avancement des procédures, estimait peu vraisemblable que quoi que ce soit de tangible intervienne avant septembre. Il rappelait aux adhérents le douloureusement réaliste pronostic de Maître Cuivron-Germani : « probablement pas de résultats avant 2 ans »…
Ainsi passa l’été 2x17, qui ne fut pas celui de la canicule !
En septembre, la Juge fit savoir à Maître Cuivron-Germani qu’elle avait été très sollicitée par l'affaire "F…4"... Les CLASistes, probablement, s’étaient réjouis de se savoir traités en si auguste voisinage !
Fin octobre, la situation était telle que l’instruction nécessiterait encore plusieurs mois ; de sorte que rien ne devait être espéré avant le début de l’année suivante.
En avril 2x18, l’enquêteur nommé par la Juge confirmait qu’il avait bien reçu le dossier demandé à l’avocate début mars ; il disait avoir l’intention d’envoyer sous peu son rapport à la Juge.
Le 24 octobre 2x18, il s’avérait que rien ne s’était encore passé et que la procédure n'avait pas avancé, la Juge n'ayant pas encore reçu les conclusions de l’enquête qu'elle avait ordonnée, et qui semblait pourtant terminée.
Nouvel état des lieux, le 5 avril 2x19 : la direction de la DGCCRF avait appelé l'avocate, lui disant qu’à la suite d’un entretien avec la Juge, elle avait nommé un nouvel enquêteur5, et que l’enquête devrait être terminée avant l'été ! On pouvait donc constater quelques timides frémissements…
Une mise à jour parvenait au Président du CLAS, par un courriel en date du 11 juillet 2x19 :
« Cher Monsieur,
Je reviens vers vous concernant l’affaire en référence.
Pour répondre à votre question, je vous confirme avoir envoyé un nouveau courriel à la responsable de la DGCCRF sur la question de l’avancement de l’enquête ce jour. Je vous informe que cette dernière m’avait annoncé une clôture de l’enquête avant l’été 2x19.
Je m’apprête également à adresser un nouveau courrier à la Juge d’Instruction, compte tenu du retard considérable pris par la DGCCRF dans cette enquête.
Je ne manquerai pas de vous tenir informé.
Vous souhaitant bonne réception de la présente,
Je vous prie d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués et dévoués.
Henriette Cuivron-Germani »
Puis à nouveau, le 6 septembre 2x19 :
« Cher Monsieur,
Je reviens vers vous concernant l’affaire en référence.
Je vous informe avoir sollicité la copie du dossier en référence tel qu’il est entre les mains de la Juge d’Instruction afin d’en connaitre l’avancée ces derniers mois.
Je crains malheureusement qu’il n’y ait rien de nouveau mais je ne pourrai m’en plaindre auprès de la Juge d’Instruction qu’après en avoir fait le constat.
Je ne manquerai pas de vous tenir informé.
Vous souhaitant bonne réception de la présente,
Je vous prie d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués et dévoués.
Henriette Cuivron-Germani »
Et il fut « bientôt » démontré que le cher Jean (qui s’en alla comme il était venu) avait eu raison en proclamant comme il l’avait fait que « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », car à la Saint Léger6, le 2 octobre 2x19, le Président put annoncer :
« Bonjour,
Notre dossier avance. L'avocate a pris connaissance du rapport enfin envoyé à la Juge par la DGCCRF, rapport qui nous est favorable7.
Elle a également rencontré la Juge, qui envisage de demander une transaction à Squirrel, plutôt que de poursuivre en direction d’un procès.
La Juge me demande, via l'avocate, un tableau dressant la liste de tous les plaignants et les agences locales de Squirrel lors de la souscription. »
Pourtant, la messe n’était pas encore tout à fait dite, car, comme on le sait, il y a parfois loin du calice aux lèvres… Ainsi en était-il donné révélation le 11 mars 2x20 :
« Notre avocate m'indique que les avocats de Squirrel vérifient actuellement la liste de tous les plaignants, afin de vérifier si tous sont bien des souscripteurs Duplex.
Vu l'état de certaines archives de Squirrel, cela va prendre … un certain temps ! ! ! »
Dont acte, car au jour où est écrite cette page, dernier du mois de mars 2x208, le suspens persistait.
Mais il est vrai que les activités de Squirrel et de ses conseils étaient vraisemblablement suspendues en ces temps de confinement9 !
Pourtant, si « tel qui rit vendredi, dimanche pleurera », celui-là même qui connaissait un début d’impatience au printemps s’en trouvera délivré à l’automne.
Après que de nouveaux documents aient été réclamés (et dûment fournis) pour s’assurer que les plaignants désignés avaient bel et bien été en leurs temps souscripteurs de Duplex (ceux du moins qui étaient toujours de ce monde), après qu’ils se soient assurés et sans doute réassurés de la réalité de ces prétentions, les conseils de Squirrel eurent la délicatesse d’informer Maître Cuivron-Germani qu’il serait éventuellement envisageable d’amorcer, avec toute la prudence requise comme il se doit, les étapes suivantes de la démarche.
Le sésame de cette ouverture étant bien entendu de fournir une liste circonstanciée du montant des dédommagements revendiqués.
Les tableurs du CLAS furent donc mis en branle une fois de plus pour mettre à jour la liste depuis longtemps fournie, établie sur les mêmes principes que ceux qui avaient été exposés lors de l’audience accordée par la Médiatrice de l’AMF, le 25 septembre 2xx9, soit une décennie auparavant.
Les bases étaient identiques, retenant la moyenne sur la durée du taux sans risque des placements à terme de six ans ; les résultats en étaient cependant substantiellement plus élevés qu’à l’époque, précisément parce que la capitalisation se faisait désormais sur une décennie supplémentaire… Par souci de simplification, Maître Cuivron-Germani, décida d’oublier le pretium doloris et de s’en tenir au chiffre simple à mémoriser de 50 % des sommes souscrites. C’est dans ce cadre que les discussions entre les représentants des parties, continuèrent d’avancer ; mais sans précipitation : chi va piano va sano10 …
Le 5 décembre 2x20, le CLAS tint sa douzième Assemblée Générale annuelle, réunissant ses membres par conférence téléphonique, second confinement oblige.
153 membres figuraient encore dans ses rangs, haletants de l’essoufflement dû à la course, mais toujours emplis de vigueur. Le montant de leurs prétentions atteignait 1.893.199 euros et les honoraires de résultat de leur conseil approchaient 400.000 euros.
Ces deux chiffres méritaient quelques commentaires de bon sens : le premier était tout simplement dérisoire eu égard aux résultats engrangés par Squirrel, en particulier ceux relevant des six Duplex.
Pour mémoire, ils avaient laissé dans les comptes de Squirrel l’empreinte encore visible d’un solde net de l’ordre d’un milliard et demi d’euros, par l’heureuse contribution des commissions de souscription et du résultat du placement des fonds collectés ; le montant de l’indemnisation objet des débats n’en représentait que 0,1262 %, la rendant a priori aisément résorbable par les actifs de la banque ainsi confortés ...
Quant au second, pour conséquent qu’il était, il ne souffrait pourtant d’aucune déraison tant il convenait de le mesurer à l’aune de l’ampleur du travail accompli et de la durée sur laquelle il s’était étalé11 ; son montant présentait en outre l’avantage de ne pas encourager Squirrel à proposer quelque prébende destinée à favoriser l’éclosion de l’idée d’éventuels « arrangements ».
Prochain épisode : Chapitre 36 – La symphonie inachevée
1 La gent avocatesque présente cette particularité paradoxale : priver son titre de sa majuscule usuelle lui confère une majesté encore plus affirmée !...
2 Décidément, Thémis n’en était plus à une bavure près ; et ce n’est donc pas par hasard que la communauté anglophone crie haut et fort que Thémis money !
Mais nul n’envisagea sérieusement l’hypothèse selon laquelle il y aurait eu lieu de rechercher à qui profitait le crime, puisque de crime, il n’y en avait point…
3 Car l’épée de Damoclès de la prescription poursuivait inéluctablement sa trajectoire, qui s’infléchissait de plus en plus pour présenter maintenant des allures de rase-mottes…
4 Du nom de ce Premier ministre, candidat à l’élection présidentielle, qui serait à l’origine du néologisme « pénélopat », antonyme de « bénévolat »
5 Auparavant, un enquêteur avait déjà été nommé ; mais bien qu'ayant rencontré l'avocate, il n'avait pas pu finir son travail, car il y avait d'autres affaires plus importantes à traiter (…).