Le combat pour la liberté d’expression est condensé dans l’affirmation « Nous sommes Charlie ». La Ligue de l’enseignement l’a souligné d’emblée dans un texte intitulé « Etre Charlie. Pour que l’histoire ne se répète pas ». Des manifestations, partout en France, le réaffirment. En toute indépendance, avec les organisations laïques, mais dans l'orbite d'aucune d'entre elles. Ce fut la caractéristique du vaste rassemblement du 11 janvier 2015. La grande loi républicaine du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse affirmait « L’imprimerie et la librairie sont libres » dans son article premier. Elle a bien souffert depuis son vote. Le mouvement laïque a été moins vigilant dans sa protection que dans celle de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Les Rencontres laïques organisées par la Ligue de l'enseignement y ont consacré une journée. Toutes les vidéos sont en ligne. Une prise de conscience s’opère. Les actions violentes ne sont qu’un aspect de multiples et parfois subtiles tentatives de censure, avouées ou non, réussies ou non. De plus, la censure d’Etat est concurrencée, voire accompagnée, par divers pôles politico-ethnico-religieux évoqués lors des Rencontres laïques. On peut penser que ce sujet crucial sera désormais autant intégré au combat laïque que celui de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous proposons ici la présentation de trois engagements concrets dans ce domaine.
Charlie hebdo : « Caricature, mode d’emploi »

Cinq ans après le massacre opéré par des djihadistes, les dessinateurs et rédacteurs de Charlie hebdo persistent et signent. Avec un Hors-série de 64 pages intitulé « Caricature, mode d’emploi » diffusé en kiosque. L’ensemble est ouvert avec une question décisive : « Quel avenir pour le dessin de presse ? Au New York Time : aucun ». Gérard Biard et Riss rappellent l’autocensure à laquelle s’est livré le célèbre quotidien américain. Celui-ci a publié le 25 avril 2019 une caricature du dessinateur Antonio Moreira Antunes. Elle représentait Donald Trump, aveugle, guidé par Benjamin Netanyahou, portraituré en basset. A la suite d’une polémique où s’affrontent partisans et opposants à la politique menée au Proche Orient par les USA, le journal, qui fut un des symboles de la liberté d’expression, décide de ne plus publier de dessin de presse ! Dénonçant cette abdication, Riss souligne que « le dessin satirique est un langage dont la grammaire est différente de l’écrit… Le dessin satirique propulse immédiatement à la conclusion qu’un texte n’atteindra qu’au bout de quatre pages. C’est cette brutalité consentie, cette rudesse amicale que cherche le lecteur ». Les soixante pages suivantes illustrent ce propos, avec des témoignages de dessinateurs, un panorama international, des démonstrations de la légitimité à caricaturer politiques, religieux, le sexe, la violence, la mort… mais aussi les faibles, les minorités, parfois eux-mêmes cruels, voire les enfants quand il s’agit de dénoncer les violences qu’ils subissent. La meilleure page est assurément celle de Luz sobrement intitulée « Le dessin satirique expliqué aux cons (et en particulier aux médias) ». Deux pages bienvenues proposent un entretien avec la journaliste Agathe André qui intervient pour l’association « Dessinez, Créez, Liberté́ » dans les établissements scolaires, les centres sociaux et les prisons. De la vraie éducation populaire qui considère comme des acteurs les personnes auxquelles elle s’adresse. Un hors-série à ne pas manquer, complété par la parution ce 7 janvier 2020 du numéro spécial « Cinq ans après » consacré aux « nouvelles censures », les censures privées qui se substituent, s’affrontent ou se combinent avec la censure d’Etat. Un collector et un outil de réflexion et d'action.

A la suite de la décision du New York Times, le dessin de Antonio Moreira Antunes a fait le tour du monde.
Guillaume Doizy : pour tout savoir sur l’histoire et l’actualité des caricatures

Chercheur reconnu et prolifique, Guillaume Doizy est à la tête d’une belle bibliographie d’une quinzaine de titres. Nous y relevons deux recueils publiés aux Editions Alternatives avec Jean-Bernard Lalaux, enseignant retraité et libre penseur militant : « Et Dieu créa le rire, caricature et satire de la Bible » et « À bas la calotte ; la caricature anticléricale et la séparation des Églises et de l’État ». A ces honorables faits d’armes (tous pacifiques et intellectuels) il faut notamment ajouter la publication de « Les Corbeaux contre la calotte – La lutte anticléricale par l’image à la Belle époque » aux Editions Libertaires et la co-organisation d’un colloque « Caricature et religion(s) » à l’université de Bretagne occidentale en 2008. Guillaume Doizy a fondé le site Caricatures&caricature.com en janvier 2007. C’est une mine d’or pour celles et ceux qui s’intéressent au sujet. Environ 1500 articles sont en ligne. Livres, revues, dossiers, émissions de radio et de télé, colloques, polémiques, débats… rien n’échappe à l’attention de Guillaume Doizy. Qui, de plus, travaille sur plusieurs autres sujets présentés grâce à des expositions pédagogiques itinérantes sur Courbet, Gambetta, Hugo, Jaurès, Blum… la République, plusieurs sur la Grande Guerre, l’Europe, l’impressionnisme, l’Europe, la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. et bien sûr plusieurs sur les caricatures dont la dernière en date dédiée à « Je suis Charlie. Cinq ans déjà ». Les fichiers et les droits d’usage de ces expositions sont présentés sur le site. Aux expositions, citoyens !
www.caricaturesetcaricature.com
Cartooning for peace: un combat mondial

« Désapprendre l'intolérance », tel était l’intitulé d’un colloque qui s’est déroulé au siège de l'ONU à New York le 16 octobre 2006. Il était organisé par Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies et Plantu, journaliste caricaturiste au Monde. Un an après la publication de la série de douze dessins intitulée « Les visages de Mahomet » dans le quotidien danois « Jyllands-Posten » (Le courrier du Jutland), le 30 septembre 2005. Né à la suite de ce colloque, Cartooning for Peace est un réseau international (représenté par une association à Paris et une Fondation à Genève) de plus de 200 dessinateurs et dessinatrices engagés à promouvoir, par le langage universel du dessin de presse, la liberté d’expression, les droits de l’Homme et le respect mutuel entre des populations de différentes cultures ou croyances.La Fondation décerne tous les deux ans un prix et réalise une exposition sur les rives du lac Léman. C’est l'association parisienne qui organise la plupart des –très nombreuses- activités. Son fondateur et président durant 13 ans, Plantu, est aujourd’hui président d’honneur. Depuis octobre 2019 c’est le dessinateur Kak qui est le président. Une veille des atteintes à la liberté d’expression des dessinateurs s’accompagne d’alertes de l’opinion publique et des organisations internationales. Cartooning for Peace propose une sélection de dessins de presse internationaux dans des médias partenaires (Le Temps, France24, Valeurs mutualistes, France Culture…). Elle propose des kits pédagogiques, des expositions, des rencontres de dessinateurs et des ateliers aux publics jeunes (scolaires et étudiants), des grandes conférences… et organise des actions ponctuelles ou durables avec le monde associatif. Les plus récentes publications sont "L’année en cartoons - une année noire pour le dessin de presse" en collaboration avec Courrier International, et un Guide pratique pour la protection des dessinateurs de presse

« Les visages de Mahomet »