Billet de blog 13 juin 2015

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CREDIT AGRICOLE : LES BANQUES COOPERATIVES SONT-ELLES SOLUBLES DANS LA BOURSE ?

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Où est le centre (le centre de gravité) d'une banque coopérative cotée en bourse et vedette du CAC 40? C'est toute la question posée par la réorganisation de l'organe central du Crédit Agricole Mutuel, l'incroyable projet ROC porté par le nouveau patron Philippe BRASSAC.

 Un événement, considérable pour l'économie de notre pays, passant presque inaperçu... sauf pour la presse économique qui, bien entendu, ne s’intéresse pas à la loi fondamentale du 10 septembre 1947, aux sociétaires, à l'économie alternative, à la démocratie économique.

Est-ce un hasard si l'opération est lancée en juin pour être organisée pendant les vacances estivales ? Les citoyens qui refusent la financiarisation délirante de notre économie seront-ils « sur le pont », à la rentrée, pour poser les bonnes questions ? Que deviendra la redistribution des excédents qui appartiennent aux sociétaires ?

 Mise en avant, « l'originalité » des banques coopératives est bien pratique pour un oligarchie qui ne pense qu'à préserver ses privilèges... mais les ambiguïtés ont des limites. Il est régulièrement question de la solidité des banques coopératives... De quoi parle-t-on ? En Italie, les dix plus grosses banques coopératives vont voir leurs parts sociales remplacées par des actions … En Allemagne, la myriade des « petites » banques coopératives des Landers est en question.

En France, il faut probablement considérer l'aspect « fiction » des banques coopératives. A qui profitent les filiales ? De quoi décident les sociétaires ? Que contrôlent-ils ? Faut-il s'indigner de publicités mensongères (une banque qui appartient à ses clients, ça change tout) ?

 Le projet ROC est une bombe à retardement. Les sociétaires ont déjà perdu dix milliards ? Ce n'est probablement qu'un début. Le paradoxe est que la « démutualisation à l'anglaise » était présentée comme impossible lors de la création du « véhicule coté en bourse », malgré la reprise de l'exigence par François Guillaume, ancien ministre de l'agriculture, dans son rapport remis le 19 octobre 2004 au premier ministre Jean-Pierre Raffarin, proposant une refonte des statuts de la coopération dans le monde agricole et considérant cette démutualisation du Crédit Agricole comme indispensable. (Crédit Agricole : guerre des chefs et crise d'identité (bis) du 24 juillet 2014)

 C'est, pour les dirigeants, la volonté d'avoir - grâce à la garantie des sociétaires - le beurre et l'argent du beurre. Les avantages de la coopérative (inopéable) et les libres profits de la société capitaliste.

                     Solide comme un ROC

 Commencée il y a quelques décennies au mépris de la loi fondamentale du 10 septembre 1947, la fuite en avant des dirigeants des caisses de Crédit Agricole Mutuel est-elle devenue irréversible? Ils continuent à foncer dans le mur pour le faire exploser. Carboniser la loi ce serait libérer « les forces du profit ». Dans ce contexte, Philippe BRASSAC se fait remarquer comme étrange bicéphale. Deux têtes et deux casquettes... ou plutôt une tête, deux casquettes et deux corps.

L'esprit de synthèse ou la confusion des genres ? En fait, la révélation de « l'une des plus grandes igniominies de l'ignominieu règne de la cupidité » (pour paraphraser Hyppolite de Tocqueville parlant de la trahison des Français d'Amérique par Louis XV et des beaux projets ruinés par les lâchetés).

 Il faut lire l'article documenté de Grégoire Pinson dans Challenge du 31 mai 2015 (Philippe BRASSAC le nouveau patron méthodique de Crédit Agricole SA). En creux tout y est. Qui se souvient de l'appel (romantique) de Cantona ? Qui se souvient du rapport de Marie-Noëlle Lienemann, présidente de la commission des finances du Sénat, entérinant de façon scandaleuse la confiscation du pouvoir et de la démocratie?

Notre ennemie c'est la financiarisation ? Nous voulons une économie citoyenne, l'auto-gestion ? Mais nous laissons faire les cupides. Demain, il sera trop tard. Tout a commencé avec les filiales multipliées à l'infini à l'encontre de tous les principes, les Mutuelles possèdant des banques capitalistes, les banques coopératives créant des sociétés d'assurance capitaliste … et même filialisant des banques capitalistes (LCL, CIC) !

 Décidément les magistrats sont impuissants pour faire respecter la loi, l'esprit de la loi. L'article 1 de la loi du 10 septembre 1947 tel que «modifié par la LOI n°2014-856 du 31 juillet 2014 - art. 24 »: La coopérative est une société constituée par plusieurs personnes volontairement réunies en vue de satisfaire à leurs besoins économiques ou sociaux par leur effort commun et la mise en place des moyens nécessaires.

Elle exerce son activité dans toutes les branches de l'activité humaine et respecte les principes suivants : une adhésion volontaire et ouverte à tous, une gouvernance démocratique, la participation économique de ses membres, la formation desdits membres et la coopération avec les autres coopératives.

Sauf dispositions spéciales à certaines catégories de coopératives, chaque membre coopérateur dénommé, selon le cas, "associé" ou "sociétaire", dispose d'une voix à l'assemblée générale.

Les excédents de la coopérative sont prioritairement mis en réserve pour assurer son développement et celui de ses membres, sous réserve de l'article 16.

 Y-a-t-il encore des citoyens héritiers de Proudhon, Fournier, Jaurès ? Une banque coopérative est avant tout une société de personnes (toutes à égalité), alternative à une banque capitaliste, à une société de capitaux. Mais, sans transparence, le gigantisme tue l'esprit des coopératives. C'est tout aussi vrai des grandes coopératives agricoles dont les propriétaires s'estiment victime de la structure ! Ultime paradoxe.

Derrière ce gigantisme confiscateur, au Crédit Agricole comme dans l'agroalimentaire, se devine tout un lobby, relais de l'oligarchie. Le combat des coqs qui rêvent de la liberté du renard dans le poulailler des sociétaires. Les banques coopératives un faux semblant, comme il y a du green washing ? Le cheval de Troyes de la Bourse ?

 Un décor Potemkine qu'il faut pulvériser pour rendre leur bien aux sociétaires, pour imposer le respect de la loi et le respect des magistrats. Ce qui est vérifié, c'est que certains ne reculent devant rien pour imposer l'omerta.

La guerre des chefs et des barons pour s'emparer d'un pouvoir qui - en principe - ne leur appartient pas est spectaculaire … Il s'agit de contrôler et de profiter.

 Dans quelques mois les Assemblées Générales des Caisses locales parleront … d'autres choses... de rien. Tout sera entériné « en douce » s'il n'y a pas - d'ici là - mobilisation des militants de l'économie citoyenne.

 Tout est fait désormais pour pouvoir, de mieux en mieux, écarter les sociétaires qui posent des questions. Plus aucun contrôle n'est possible, contrairement (paradoxalement) à ce qui se passe dans les sociétés anonymes. Il s'agit de marier l'eau et le feu … pour créer un rideau de fumée et dissimuler l'enrichissement des dirigeants auto-proclamés.

 Clients ou sociétaires ? C'est selon. Selon les lieux, les interlocuteurs. La vérité est que la captation des banques coopératives (la confiscation de la démocratie) est le tabou absolu.

                      Une longue histoire

 Ça veut dire quoi «mutualiste convaincu » lorsque l'on parle d'un décideur ? Convaincu des avantages de la formule pour les dirigeants qui font du capitalisme sans capitaux personnel, avec les capitaux des sociétaires aveugles? Ou prosélyte des valeurs des fondateurs, militant de la démocratie économique concrète, au plus près du terrain, faisant vivre au quotidien le mutualisme, la coopération? S'agit-il, tout simplement, de ne pas tuer la poule aux œufs d'or? La fin de la belle idée est-elle inévitable? Ne restera-t-il que le folklore?

Tout a commencé avec les Assemblées Générales jouées d'avance, « trop bien organisées», avec des procurations regroupées entre les mains du président. Système hors-sol, hors contrôle. Démocratie version ex-pays de l'Est. Oubli du barême égalitaire, de la vente "à minima" et de la redistribution des excédents au prorata de l'activité.

 Les banques coopératives sont-elles solubles dans la bourse ? C'est, depuis plus de vingt ans, LA question. Pour imposer l'omerta sur la mise en œuvre progressive du projet, pour atteindre l'objectif, les initiés étaient patients mais prêts à tout. La transparence totale est, pourtant, la seule garantie possible dans une entreprise financière démocratique. Que devient une banque à la double identité sous la même direction? Au service du marché ou au service des sociétaires ?

 L'article 1er de la loi du 10 septembre 1947 était sans ambiguité avant la réécriture du 31 juillet 2014. Il faut toujours en revenir à la vérité originelle:

- version en vigueur du 11 septembre 1947 au 14 juillet 1992:

"Les coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont :

1° De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient ;

2° D'améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs.

Les coopératives exercent leur action dans toutes les branches de l'activité humaine. "

 - version en vigueur du 14 juillet 1992 au 2 août 2014:

Modifié par Loi n°92-643 du 13 juillet 1992 - art. 1 JORF 14 juillet 1992

"Les coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont :

1° De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient ;

2° D'améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs.

3° Et plus généralement de contribuer à la satisfaction des besoins et à la promotion des activités économiques et sociales de leurs membres ainsi qu'à leur formation.

Les coopératives exercent leur action dans toutes les branches de l'activité humaine."

 Rien à voir avec la spéculation en Bourse ! Pour lutter contre la financiarisation, pour promouvoir l'économie alternative, les valeurs citoyennes, la législation s'y est pris, depuis deux ans, de façon... étrange. Drôle de séparation des banques.

La Bourse ou la vie coopérative ? Tel est le choix.

- Sur la captation des banques coopératives, voir l'article de Laurent Mauduit (30 mai 2015) « Des millions d'épargnants ont été lésés par Natixis Asset Management ». 

 Ajout du 15 juin 2015:

Concernant Philippe BRASSAC et la ROC (Réorganisation de l'Organe Central du Crédit Agricole) voir également:

- "Philippe BRASSAC dans l'arène du Crédit Agricole" Article d'Isabelle CHAPERON (Le Monde Economie du 18 mai 2015)

- "La mue de l'état-major de Crédit Agricole SA s'accelère" Article de Véronique CHAVRON (Les Echos du 21 mai 2015)

- "Crédit Agricole, revenu à l'essentiel" Les Echos du 2 juin 2015

- "CASA (Crédit Agricole): Sander part fin 2015" Le Figaro Economie du 20 mai 2015

- Et donc "Philippe BRASSAC, le nouveau patron méthodique du Crédit Agricole SA" Article de Grégoire PINSON (Challenges du 31 mai 2015)

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