Billet de blog 24 juillet 2014

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Crédit Agricole : guerre des chefs et crise d'identité (bis)

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Le schéma qui sera défini à l'automne pour l'avenir du Crédit Agricole est d'une importance majeure. C'est l'avenir du système bancaire du pays (et donc, pour une part, les choix pour son avenir économique) qui se joue là.

Ceci dans la mesure où il est question d'inscrire cette architecture dans le marbre des tables de la loi. Ce qui n'est pas banal. On est loin de la simple gouvernance d'entreprise et totalement dans la résolution de la quadrature du cercle.

On est loin de la simple gouvernance d'entreprise et totalement dans les choix politiques. En prenant le pouvoir, François Hollande a donné (symboliquement) un signal fort en créant un vrai ministère de l'Economie Sociale et Solidaire, confié à Benoît Hamon.

Depuis, le symbole s'est rétréci de façon spectaculaire : Carole Delga est secrétaire d'Etat chargée du... Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation, et de l’Économie sociale et solidaire, auprès du ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique.

La loi qui sera votée « spécial Crédit Agricole » va, en fait, verrouiller les relations entre l'économie alternative et l'économie capitaliste dure. Si – comme c'est à craindre – le pire advient, ce sera le pire des renoncements.

Le choix d'un projet cohérent, habité du souffle des vraies utopies (réalisables) de la gauche, c'est maintenant. A la rentrée.

C'est le plus important des dossiers à surveiller. Dont dépend l'orientation de tous les autres.

Le contenu de la loi sur l'Economie Sociale et Solidaire, qui vient d'être adoptée, rend pessimiste. Elle fera plus que jamais des coopératives les roues de secours et les faux-nez du capitalisme prédateur. L'idée avancée (« redresser notre pays grâce à l'économie sociale et solidaire ! ») est enfantine.

On est loin – à des années lumière – des ambitions philosophiques des pionniers et des exigences de la démocratie économique.

UNE LOI "SUR MESURE"...

« Groupe mutualiste » ou vedette du CAC 40 ? Actuellement, sociétaires majoritaires et actionnaires minoritaires du Crédit Agricole sont impuissants. Seuls les dirigeants s'enrichissent dans un ensemble incontrôlable et inopéable. Où sera demain le pouvoir ? Y-aura-t-il un contre-pouvoir ?

La loi Crédit Agricole cadrera, de facto, tous les bricolages et irrégularités de notre système bancaire hybride et ambigu. Confisqué. Les mots retrouveront-ils un sens ? C'est vraiment la question. La conclusion de l'article du 8 juillet reste valable :

On ne peut pas être indéfiniment « chèvre et chou », « carpe et lapin ». Il faut choisir, clarifier.

La Bourse ou la vie... coopérative ?

La vraie vie coopérative : loi fondamentale du 10 septembre 1947, article 1er.

Les choix existentiels vont-ils se faire sans que soient consultés (par exemple par référendum) les premiers intéressés, les propriétaires, les sociétaires ? Sans que ce soit leur décision ?

Peut-on accepter – pour l'événement majeur de la rentrée, événement économique, social, politique – une « simple » négociation entre les barons auto-installés dans les régions, émanation de la FNSEA – du lobby agro-alimentaire – et les rois de la Bourse ? Négociation, dans ce cas, entre des intérêts personnels.

Il y a les perspectives, le projet (?), le verrouillage de choix inacceptables qui existent « de facto » et qu'il s'agit de légaliser... et l'arrière-plan, les casseroles, les dérives, les scandales. Pertes en Grèce, au Portugal, retraites chapeaux pharaoniques pour « les chefs » (dans une structure au service de l'économie sociale !!! sans but lucratif...), vente de parts sociales comme placement financier, multiplication folle des filiales, hors de contrôle pour les sociétaires et au seul profit des dirigeants (totale dénaturation des coopératives, farce sinistre). Il faut tout mettre sur la table. C'est une évidence. Une exigence morale. Une question politique. C'est LE choix de notre avenir.

Le débat doit être largement public Une seule règle : transparence. Toutes les questions doivent être posées et trouver réponses.

DEMUTUALISATION ?

En 2000, j'avais soulevé l'hypothèse de la démutualisation du Crédit Agricole. Proposition reprise de façon étonnante par François Guillaume, ancien ministre de l'agriculture, dans son rapport explosif remis le 19 octobre 2004 au premier ministre Jean-Pierre Raffarin, proposant une refonte des statuts de la coopération dans le monde agricole et envisageant la démutualisation du Crédit Agricole Mutuel (voir la réponse du Crédit Agricole : Agrapresse, lundi 1er novembre 2004, La réponse au rapport Guillaume "Respecter les principes coopératifs justement").

Apparemment, pour François Guillaume, ils s'agissait de rappeler son pouvoir de nuisance et l'utilité de l'associer à l'opération. Il a obtenu satisfaction et, depuis, plus un mot sur le sujet.

Le sujet reste pourtant de premier plan. Il est d'une rare hypocrisie – dans le contexte – de se contenter d'affirmer que la loi interdit les démutualisations !

Les contorsions (voire les agressions) pour imposer l'omerta aux sociétaires trop curieux et aux journalistes trop professionnels (dissociation parts sociales/sociétariat – revendication d'Assemblées Générales « de principe », etc...) sont pure folie. C'est la politique de l'autruche.

L'actuelle situation est en effet intenable : il s'agit d'une banque coopérative cotée en bourse contre tout bon sens... ou d'une vedette de la bourse échappant au marché car protégée par un bouclier coopératif la rendant inopéable. Pur délire... Il faut trancher, remettre à plat, rentrer dans les clous.

La loi Crédit Agricole consolidera inévitablement l'architecture de l'ensemble du système bancaire et le positionnement de l’Économie Sociale et Solidaire. Au final, l'orientation de la politique du pays. Elle sera donc de toute première importance.

Dans les grandes structures de l'ESS, la question centrale est partout la même : quelle est la réalité du fonctionnement démocratique ? La légitimité des dirigeants ? Y-a-t-il transparence réelle ? Quelle est la colonne vertébrale occulte ?

A surveiller. A débattre.

Sur ce sujet, voir :

Voir également :

L' étude de la Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques publiques « L’Économie Sociale et Solidaire : un modèle ? » (le mensuel de la Fondation iFRAP, Société Civile, n°147, juin 2014).

Les incohérences de l'ESS « vues de droite ». Un regard différent mais les incohérences restent... incohérentes. Un travail remarquablement documenté.

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