Un Accord National Interprofessionnel "pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail" (?) semble être conclut entre les partenaires sociaux. Englué dans des poncifs affligeants durant 27 pages, tels que "prévention primaire"(25 fois), "qualité de vie au travail" (25 fois), "culture de prévention"(12 fois), etc., la supercherie est encore plus nette lorsqu'on s'attarde sur les moyens mis en œuvre pour impulser ces incantations soporifiques.
Alors que "l'équipe pluridisciplinaire" n'est citée que 2 fois, les Médecins Praticiens Correspondants - le médecin généraliste coopté - sont cités 19 fois. Les mots ont du sens et leur répétition est instructive.
Elle traduit, un transfert progressif de la médecine du travail, vers la médecine de ville. C'est la négation de toutes les évolutions réalisées à ce jour pour développer les politiques de prévention efficientes par des équipes de professionnels certifiées. Certes ce n'est pas parfait et tout est fait par un patronat rétrograde pour qu'il en soit ainsi. Organisée la pénurie de médecin du travail, figer les moyens des équipes pluridisciplinaires, etc., pour en fait, contester les compétences et les avis des médecins du travail.
En confiant une partie des attributions du médecin du travail aux médecins généralistes, le patronat écarte les contraintes qu'imposent la bonne santé au travail. C'est logique ! Par exemple les causes essentielles des risques psychosociaux reposent sur l'intensité du travail, les cadences, les horaires, la précarité, les pertes de sens. En clair il s'agit de l'effet des Contraintes organisationnelles du travail. Pour illustrer cette démonstration, la lecture de l'étude ci-après, portant sur des Centres Hospitaliers, est très instructive (Contraintes psychologiques et organisationnelles chez les soignants (CPO) :présentation de l’etude ORSOSA)
Ainsi en écartant les compétences adaptées à la situation, la patronat évite les avis contraignants. Si l'équipe pluridisciplinaire est composée d'infirmières en santé au travail, d'IPRP (Intervenant en prévention des risques professionnels), peut s'enrichir des compétences de psychologues du travail, d'ergonomes, etc., si c'est une équipe animée par un médecin spécialisé dans les pathologies du travail, c'est justement parce que la santé au travail et sa prévention, nécessitent des connaissances qui ne se trouvent pas dans la médecine générale. Nier cette évidence c'est nier les risques propres des personnes au travail.
Le manque de médecins du travail doit être éradiqué par une plus grande attractivité de la profession, au moins à hauteur de celle des praticiens hospitaliers, et compensé par une augmentation significative des moyens des Service de Santé au Travail. Ce double enjeu permettra de s'enrichir les compétences nécessaires à la bonne santé des salariés et des entreprises, par une prévention à tous les étages des processus de production de biens ou de service.
La santé au travail est une réelle source d'investissement. Un résumé des résultats de nombreuses études est accessible dans l'article de Martin Richer :" Pour un euro investi en santé et sécurité au travail, le retour sur investissement est de 2 à 5 euros".
C'est pourquoi cet accord, s'il est traduit dans le projet de loi que doit présenter la députée Charlotte LECOCQ, marquera une involution préjudiciable à tout le monde du travail. Je ne comprends pas comment des organisations syndicales, telles que FO ou la CGC, puissent cautionner cette involution ?????
Quelques points sur cette involution
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Un service de santé au travail avec des médecins traitants ...
Lorsque le titre de cet accord comporte les termes « une offre renouvelée en matière de santé au travail », il serait logique de comprendre que l’offre existante est renouvelée ! Or, au fil des pages, cette offre est fortement encadrée et les missions transférées. Jugez-en :
Les médecins praticiens correspondants (MPC) : (3.1.2.2/ -2)
- Doivent pouvoir créer et renseigner le Dossier médical en santé au travail.
- Partagent le dossier médical en Santé au Travail,
- Travaillent avec le médecin de santé au travail et agit en collaboration avec lui.
- Le médecin du travail et le MPC travaillent ensemble afin de reconstituer une vision collective du suivi des salariés à partager avec l’entreprise
Comment peut-on imaginer que l’éclatement du suivi médical par X médecins correspondants, puisse aboutir à une vision collective de l’entreprise ?? Cette vision purement individuelle du salarié va s’effectuer sans lien avec le travail. Ainsi, le médecin du travail sera doublé par un médecin de ville et ne coordonnera plus la médecine du travail.
Plus loin, quelle plus-value apportée par ce MPC en visite de reprise, si ce MPC ne connait pas l’entreprise ?
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Un médecin du travail écarté...
Rappel :
Les rôles et missions des services de santé au travail sont définies à l’article L4622-1 et suivants et R4623-1 du code de travail. Ils doivent être confortés.
Dans les services de santé au travail […] les missions sont exercées par les médecins du travail en toute indépendance. Ils mènent leurs actions en coordination avec les employeurs, les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou les délégués du personnel et les personnes ou organismes »…(IPRP, Carsat, etc.)
Même si les expressions, « dialogue social » cité 18 fois dans ce texte, « représentants des salariés », 27 fois, elles ne sont jamais associées à celui de « médecin du travail », contrairement à l’article ci-dessus. La coordination avec l’employeur, les délégués du personnel, est transférée en direction des médecins de ville et/ou traitants.
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Des missions démédicalisées....
3.1.2/ Une modernisation des SSTI pour des missions renouvelées : (?)
…trois missions suivantes :
- prévention
- suivi individuel des salariés
- prévention de la désinsertion professionnelle
Rappel de l’article L4622-2 du code du travail :
Les services de santé au travail ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. À cette fin, ils :
- Conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;
- Conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir le harcèlement sexuel ou moral, de prévenir ou de réduire les effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161-1 et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs ;
- 3° Assurent la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur santé au travail et leur sécurité et celle des tiers, des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161-1 et de leur âge ;
- 4° Participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.
La rédaction lacunaire de cet accord ne peut que conclure à une réduction drastique des missions des services de santé au travail.
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Des modalités de suivi médical externalisées:
« Ce nouveau dispositif est amené à être mis en œuvre progressivement. Le financement de la visite effectuée par le MPC est assuré par le SPSTI. »
Ainsi, les visites du MPC qui collaborent avec le médecin du travail, seront payées par le SPSTI. Soit le MPC fait partie de l’équipe pluridisciplinaire, auquel cas cette formulation ne pose aucun problème, soit il s’agit de faire supporter une charge au SPTI qui ne l’était pas jusqu’à présent.
Connaissant les dérives possibles d’un tel système et compte tenu des formulations exposées ci-dessus et ci-dessous, un SPTI pourra fonctionner avec plus de MPC que de médecins du travail. A cotisation constante, le paiement du MPC sera autant de moyens en moins pour le SPTI. Donc, cette question de la prise en charge du coût des MPC est pernicieuse.
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Conclusion
Si de bonnes choses sont à enregistrer, notamment celles qui permettent d’harmoniser les pratiques des SSTI actuels par la certification, il apparaît nettement dans cet accord, un abandon relatif des missions médicales du service de santé au travail et un encadrement par la médecine de ville et autres acteurs.
L’indépendance médicale des médecins du travail est remise en question et à terme, il est à craindre que les médecins du travail ne soient relégués au rang de médecin d’aptitude – à l’image des tampons que délivrent les médecins traitants pour les pratiques sportives – en leur enlevant progressivement les missions actuelles qui sont précisées dans le Code du travail.
L’intérêt du métier de médecin du travail c’est justement la transversalité, l’appréhension du milieu de travail, la connaissance de l’état de santé du salarié, interface entre le salarié, l’employeur et les Intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP).
Ce démembrement du rôle pivot, en dissociant travail / santé, fait perdre tout sens au métier et les salariés ont tout à y perdre avec un médecin qui ne délivrera plus que des permis de travail.
Enfin, les zones de flous de cet accord sont très nombreuses et les nécessaires modifications législatives et réglementaires qu’impose une réforme de la santé au travail semblent très éloignées de tous les rapports qui ont été publiés à ce jour, sur le sens que doit prendre une véritable réforme de la santé au travail pour améliorer la santé au travail des salariés.
Il ne s’agit pas d’une offre renouvelée en matière de santé au travail, mais d’une offre détournée. Espérons que le projet de loi en préparation sera plus riche des progrès attendus.