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Édition

Le travail en question

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Billet de blog 20 mars 2009

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Un appel des travailleurs à domicile de l'édition

Ils sont près de 10 000 travailleurs à domicile (TAD) en France à dépendre d'une réglementation sociale obsolète dans un secteur spécifique, l'édition, qui se veut si moderne.

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Ils sont près de 10 000 travailleurs à domicile (TAD) en France à dépendre d'une réglementation sociale obsolète dans un secteur spécifique, l'édition, qui se veut si moderne.

Illustration 1

Alors que le 29e Salon du Livre de Paris vient de refermer ses portes, ce vendredi 20 mars à 14 h devant le SNE (Syndicat national de l'édition), les TAD de l'édition, toutes professions confondues, s'apprêtent à manifester pendant les discussions patronat/syndicats CGT et CFDT, à l'initiative du Syndicat CGT des correcteurs.

Un « Collectif de TAD » en voie de constitution est à l'origine de cet appel lancé à l'ensemble des travailleurs précaires de l'édition, qu'ils soient ou non en TAD, afin qu'ils se rendent nombreux à ce rassemblement pour soutenir les représentants syndicaux dans cette négociation.

Ce mouvement de protestation vise à mettre en évidence les pratiques des éditeurs, qui organisent la précarité et profitent de l'isolement de ces travailleurs pour imposer des conditions de travail inacceptables et illégales.

Trois points sont à l'ordre du jour (voir complément en annexe) de cette réunion entre le patronat et les syndicats :

– les Agessa ;

– les 8,33% et leur application ;

– la couverture mutuelle des TAD.

Au-delà des points factuels (importants) évoqués, le « Collectif TAD » souhaiterait surtout qu'une réflexion en profondeur fût engagée sur le statut de travailleur à domicile. Il nous a fait parvenir un texte qui retrace le récent historique de ce statut de travailleur à domicile dans l'édition.

Illustration 2

Photo © Ophélie Lebœuf

Cette prise de position permet de bien cerner le plein enjeu social, éthique et politique que sous-tend leur appel à mobilisation professionnelle pour la revalorisation des métiers concernés :

« D'un côté, le secteur de l'édition se targue de faire "une deuxième révolution après celle de Gutenberg" en investissant dans le livre électronique. Mais, d'un autre côté, il reste complètement archaïque quant à la réglementation sociale qui s'applique à 20 %, si ce n'est plus, de la masse salariale qui œuvre pour le livre : les TAD (Travailleurs à Domicile).

S'il y a bien longtemps, le travail à domicile ne concernait que la partie correction et lecture-correction, il s'est étendu, depuis deux décennies, à tous les autres métiers de l'édition : suivi éditorial, édition, maquette, iconographie, études marketing... et l'annexe IV de la CCNE (Convention collective nationale de l'édition) de 2000 est devenue le texte réglementaire pour tous les TAD.

Il faut absolument rappeler le contexte historique du travail à domicile pour comprendre que ce statut de TAD a été adopté comme une bonne combine pour les entreprises, permettant de constituer une main-d'œuvre très qualifiée à bon marché.

Si l'on ouvre le Code du travail, livre IV "Travailleurs à domicile", on s'aperçoit très vite que ces textes ne sont aucunement adaptés au travail de l'édition. On y parle de "temps d'exécution", de "prix de façon", "de frais d'atelier", de "matières premières", de "donneur d'ouvrage", d'"ouvriers d'habileté moyenne travaillant en atelier". Ils s'appliquaient au secteur artisanal et industriel (textile, etc.). Le salaire était forfaitaire car il dépendait de prestations clairement définies et stables dans leurs réalisations.

C'est tout le contraire qui se passe dans l'édition où le travail est intellectuel et requiert l'usage des nouvelles technologies (télétravail). La rémunération forfaitaire, imposée en amont, est totalement arbitraire, car la plupart du temps elle ne correspond pas au temps réel passé.

Par ailleurs, dans une autre période économique où le chômage ne sévissait pas comme aujourd'hui, le travail à domicile a peut-être constitué une activité d'appoint ou un complément de salaire. Et cette utilisation du travail à domicile (appoint ou complément) a favorisé la pratique illégale du paiement en droits d'auteur pour des activités relevant du salariat.

Cette pratique illégale s'est renforcée quand les groupes d'édition sont devenus des groupes à vocation essentiellement financière : le nez dans le budget, la tête dans le profit. Et elle a contaminé tous les métiers.

La façon dont les entreprises se servent des travailleurs à domicile classe ceux-ci parmi les intermittents et les télétravailleurs, d'autant que, depuis la convention chômage de 2006, ils ont perdu tout droit aux allocations Assedic : seul le licenciement leur permettrait d'y prétendre, ce qui équivaut à les priver totalement de leur emploi.

C'est vers une nouvelle législation obligeant l'employeur à respecter ses devoirs et garantissant les droits des travailleurs à domicile, à commencer par une rémunération équitable par rapport au salaire des salariés en pied, basée sur le principe ‘à travail égal salaire égal', que devraient se diriger les diverses organisations syndicales plutôt que de rafistoler un texte complètement inadapté à nos conditions de travail, et bénéfique uniquement aux patrons d'édition. »

Annexe.

Quelques précisions sur les points à débattre en commission le 20 mars entre patronat et syndicats.

Les Agessa. Il s'agit de la Sécurité sociale des auteurs. Le paiement en droits d'auteur est pratiqué depuis longtemps dans l'édition pour des activités qui n'en relèvent pas. C'est un procédé illégal dont abusent pour des raisons d'économie de coût les employeurs (pas de charges sociales). Ce mode de rémunération illégal prive les TAD de leurs avantages de salariés. Le syndicat des correcteurs a dénoncé cette pratique illiciteauprès des directions des maisons d'édition pour y mettre fin.

Les 8,33 % et leur application. Il s'agit d'un supplément de traitement au départ annuel, devenu depuis la CCNE de 2000 mensuel pour les TAD. Les directions confondent ce supplément de traitement avec le 13e mois – alors que le Smic mensuel et annuel n'est même pas respecté dans les 8 premières catégories des minima conventionnels. Le syndicat des correcteurs et les TAD demandent de faire la distinction entre ces 8,33 %, conventionnel et le 13e de l'entreprise non conventionnel, afin que les deux soient accordés aux TAD.

La couverture mutuelle des TAD. Les TAD sont jusqu'ici exclus de la mutuelle de l'entreprise, par décision unilatérale de la direction, non par décision de l'assureur. Non seulement les TAD sont précaires, mais ils doivent pour être couverts régler individuellement une mutuelle, de loin plus onéreuse que celle proposée par l'entreprise. Beaucoup ne peuvent cotiser et sont donc mal couverts.

Ces points à l'ordre du jour étant rappelés, il convient de préciser que la demande du "Collectif TAD" auprès des syndicats est très claire : pas de rafistolage réglementaire avec le patronat de l'édition, mais garantie de travail.