Laissons de côté l’aspect politicien, électoraliste. Il ne s’agit pas ici de mesurer la réussite éventuelle des objectifs avancés dans son premier discours à la Sorbonne en 2017, de relever les contradictions entre les engagements et certains actes, ou, encore moins, de marquer une préférence pour un parti politique à l’encontre d’autres. L’objectif de faire « passer à la moitié des jeunes, étudiants ou apprentis, six mois dans un autre pays européen » n’a pas été atteint. La « solidarité concrète par la convergence sociale » annoncée est contradictoire avec le refus (jusqu’à face aux 26 autres pays) des dispositions les plus efficaces de la directive sur le travail des plateformes (la calamiteuse « ubérisation » caractéristique du libéralisme économie dominant). La volonté de renaissance pour l’Europe est commune à nombre de courants politiques. Les deux rencontres de 2012 et 2013 « Renaissance pour l’Europe », une initiative commune de la Fondation Jean-Jaurès, de la FEPS, de la Fondation Friedrich-Ebert et de ItalianiEuropei, en sont une des meilleures illustrations. On peut retrouver de fait cette volonté de renaissance chez les auteurs et les instances les plus critiques d'une Union européenne qui n’est pas à la hauteur de son immense héritage humaniste.
Relance, Puissance, Appartenance
Il reste que l’action française en faveur de la construction européenne ne s’est jamais démentie depuis sept ans. Au point parfois de susciter quelques inquiétudes d’autres pays. La présidence française du Conseil de l’Union européenne durant le premier semestre 2022 a été marquée par la volonté de mettre en œuvre le triptyque « Relance, Puissance, Appartenance » L’idée d’un emprunt commun européen est devenue réalité face au Covid. La volonté d’une Europe puissance se trouve renforcée par l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Poutine. Tout cela reste objets de discussions entre celles et ceux qui veulent conforter l’Union Européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui et celles et ceux qui veulent la transformer du point de vue social.
C’est la référence à l’humanisme européen qui mérite d'être analysée. Doté d’une solide formation philosophique, au point d’avoir été l’assistant éditorial de Paul Ricœur pour le livre « La Mémoire, l'histoire, l'oubli », Emmanuel Macron se réfère aux fondamentaux à l’origine de l’aventure européenne. En 2017, nouveau président de la République française, il confirme ses convictions dans deux grands discours. Sans le citer, il soutient comme Denis de Rougemont que la France se sauvera et s’épanouira non pas seule mais grâce à une Europe des peuples. Le premier discours est énoncé le 7 septembre à Athènes. Installé sur la Pnyx, colline où se tenait l’antique assemblée des citoyens, avec l’Acropole éclairée en arrière-plan, à la tombée de la nuit, Emmanuel Macron a prononcé un discours incontestablement impressionnant par sa profondeur. Il mérite d’être écouté et analysé.
La Grèce secrète
Emmanuel Macron évoque la philosophie, la démocratie, les arts antiques. Il affirme: « Il y a comme le disait Malraux, il y a près de soixante ans ici même, il y a une Grèce secrète qui repose dans le cœur de tous les hommes d’Occident. Cette Grèce secrète, c'est ce qui nous dépasse, ce qui fait que si nous acceptons de nous prendre dans nos petits débats européens et ces guerres civiles que j'évoquais tout à l'heure, il suffit que nous soyons plongés à quelques milliers de kilomètres pour reconnaître un Européen, une image qui nous rappelle l'Europe, un sentiment qui nous unit, une odeur, une couleur, une lecture qui fait que nous nous sentons à nouveau européens. Cette Europe de la littérature, des cafés, de la discussion publique, d'une convivialité et d'une civilité qui n'existe nulle part ailleurs, c'est celle dont le ciment profond est la culture, notre culture ».
L’Europe de la culture est également au cœur du discours d’orientation stratégique prononcé à la Sorbonne le 26 septembre 2017. Emmanuel Macron le souligne : « le ciment le plus fort de l’Union sera toujours la culture et le savoir. Car cette Europe où chaque Européen reconnaît son destin dans le profil d’un temple grec ou le sourire de Mona Lisa... cette Europe des paysages et des folklores, cette Europe dont Erasme, dont on disait qu’il en était le précepteur, disait qu’il fallait demander à chaque jeune, déjà, de « parcourir le continent pour apprendre d’autres langues » et « se défaire de son naturel sauvage », cette Europe, parcourue par tant de guerres, de conflits : ce qui la tient, c’est sa culture…Notre fragmentation n’est que superficielle. Elle est en fait notre meilleure chance. Et au lieu de déplorer le foisonnement de nos langues, nous devons en faire un atout ! ».
Puissance, Prospérité, Humanisme
Dans son discours du 25 avril dernier à la Sorbonne, Emmanuel Macron se veut lucide. Il rappelle que l’Europe peut mourir. Il relève : « Notre Europe ne s'aime pas. Quand on voit tout ce qu'elle a fait et ce qu'on lui doit, c'est étrange, mais c'est ainsi ». Face à ces constats, il remobilise les thèmes antérieurs dans un nouveau triptyque : Puissance, Prospérité, Humanisme. Il insiste sur cette troisième dimension, et c'est l'aspect le plus intéressant. Il cite plusieurs fois Périclès et se réfère à la leçon inaugurale que vient de donner Peter Sloterdijk au Collège de France Emmanuel Macron souligne: « Défendre cet humanisme européen, c'est considérer qu'au-delà de nos institutions, de cette démocratie libérale à laquelle nous tenons, que nous devons défendre et renforcer. C'est la forge des citoyens par le savoir, la culture, la science qui se joue dans notre Europe. Être Européen, c'est penser qu'il n'y a rien de plus important, en effet, qu'être un individu libre, doté de raison et qui connaît… Nous aimons la liberté, le savoir, mais nous avons ce goût inédit pour la justice, l'égalité ».
Ces discours contrastent avec la médiocrité de nombre de discours politiciens. Sans naïveté à l’égard d’Emmanuel Macron, lui-même homme politique, leur qualité mérite l’attention, quitte à éventuellement identifier d’autres formations politiques plus aptes à porter cet humanisme européen de façon concrète…
Le discours d'Athènes: