Dominique Ferrandini et Patrick Filleux, membres fondateurs du Syndicat autonome des journalistes (SAJ-UNSA), réagissent à l'expression «méthodes fascistes» utilisée par deux ministres à l'encontre de Mediapart, dans une «panique verbale et diffamatoire».
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Le poids des mots... Ceux proférés urbi et orbi par deux membres du gouvernement de la République, qualifiant de «méthodes fascistes» la publication par Mediapart d'une partie des enregistrements effectués au domicile de Liliane Bettencourt, sont d'une exceptionnelle gravité et justifient le recours à la justice, introduit par nos confrères.
Ils sont d'une exceptionnelle gravité, d'abord par le signifié historique qu'ils portent. «Fascistes»: Italie mussolinienne totalitaire, terrorisme d'Etat, privation des libertés démocratiques, arrestations et assassinats d'opposants, hyper-nationalisme névrotique. «Fascistes»: par extension Allemagne nazie, seconde guerre mondiale (65 millions de morts militaires et civiles) , Holocauste... «Méthodes fascistes»: toutes les déclinaisons possibles et imaginables de la violence et de la brutalité se rapportant à cette tragique période de l'Histoire du monde.
Voilà donc où en sont deux ministres du gouvernement de la France «démocratique» de 2010. Voilà les mots qu'ils utilisent et véhiculent auprès du plus grand nombre de nos concitoyens, pour jeter l'opprobre, stigmatiser l'honnêteté et le remarquable professionnalisme de nos confrères de Mediapart, à l'origine des révélations de cette affaire Bettencourt symbolique et symptomatique du fonctionnement tout entier du régime au pouvoir en France depuis 2007.
«Chercher un effet de peur sur les passants...», écrivit Aragon en parlant de l'Affiche Rouge ! Oui, l'expression «méthodes fascistes» cherche un effet de peur chez celles et ceux qui l'entendent, la lisent.
Mais «L'Affiche Rouge», Aragon... Bertrand et Morano savent-ils de quoi et de qui nous parlons s'ils lisent ces lignes ? Faisons-leur l'amabilité, à leur décharge personnelle, d'en douter. L'inculture assumée, revendiquée au plus haut niveau de cet exécutif en dérive (relire une certaine interview réalisée par Michel Onfray et publiée par le magazine Philosophie en 2007), n'est après tout qu'un des dénominateurs communs de ce cabinet.
Reste que ces deux personnages ont parlé «es-qualité» et dans leur uniforme de ministres de la République. Ce qui pourrait être passable au Café du Commerce ne l'est pas et ne devra jamais l'être dans un ministère ou publiquement dans la bouche d'un ministre, tout servile qu'il fut.
Le SAJ-UNSA ne cesse de dénoncer depuis trois ans, avec les autres syndicats de journalistes, la main mise de ce pouvoir sur les grands médias, la confusion monde des affaires/presse, les pressions et menaces suivies d'effet, les limogeages, mutations arbitraires, mises au placard de celles et ceux qui ne «collaborent» pas avec le «guide» ou ne «suivent» pas ses préceptes.
Ces détenteurs d'une carte de presse estiment qu'au-delà de l'entrée gratuite dans les musées, ce petit rectangle plastifié portant les couleurs de la République, les oblige au devoir d'observance d'une éthique et d'une indépendance des pouvoirs, dédiées à l'intérêt commun et au fonctionnement même du plus élémentaire système démocratique.
Le travail de la rédaction de Mediapart est à ce titre exemplaire, tant dans cette affaire Bettencourt que dans l'ensemble de ses «couvertures», depuis sa création. Ce travail apparaît même comme «exceptionnel», comme un des rares édifices (heureusement il y en a encore quelques autres) tenant encore debout sur le champ de ruine de la presse française (lire nos confrères à l'étranger sur la crise de régime hexagonale), atteinte d'une grave pathologie régressive dont l'un des symptômes les plus douloureux est la confusion entre «communication» (du pouvoir) et «information».
Oui, Mediapart en ce moment, est l'honneur de la profession et les auteurs de ces lignes, pas plus que leur syndicat ne sont stipendiés ni par Edwy Plenel, ni par Alain Krivine (pour faire référence à l'autre imbécillité de taille de Morano qui a parlé de «collusion politico-médiatico-trotskyste» dans l'affaire Bettencourt).
(A l'heure où nous écrivons ces lignes, un autre «chien de garde» au nom de maréchal d'empire, vient d'aboyer la même absurde antienne. Nous ne le citons pas car il n'est rien au regard des institutions de la République).
Mais le SAJ-UNSA se doit de remercier chaleureusement le tandem ministériel de ses outrances verbales, que toute justice digne de ce nom ne pourra que condamner. Car par les temps qui courent, l'adage «plus c'est gros et plus ça passe» se trouve renversé. Non, ça ne passe plus du tout, mais alors plus du tout !
Nos concitoyens ont bien compris que ces attaques grotesques mais encore une fois extrêmement graves, relèvent plus de l'irresponsabilité qu'alimente une peur panique, que d'une opinion qui pour être excessive n'en serait pas moins acceptable dans le débat démocratique.
Et si cette panique verbale et diffamatoire peut œuvrer à une prise de conscience dans les rédactions de France et de Navarre, peut agir comme une catharsis dans les consciences journalistiques françaises, écrites et audiovisuelles, alors oui, Bertrand et Morano seront parvenus –à leur corps défendant– à bien servir la République.