L’instrumentalisation de la justice est d’autant plus inacceptable qu’elle émane d’un homme politique supposé garantir le respect des institutions.
Pour la deuxième fois concernant des faits rapportés à la même affaire des étranges mouvements de fonds de l’association SOS Racisme, Monsieur Julien Dray s’est dérobé aux débats en ne poursuivant pas une plainte en diffamation introduite contre Monsieur Pascal Boniface et son éditeur devant la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris.
Cette plainte, qui a opportunément couvert la période électorale des régionales, visait des extraits de l’ouvrage de Monsieur Boniface « Les pompiers pyromanes – Ces experts qui alimentent l’antisémitisme et l’islamophobie » dans lesquels était rappelée l’étonnante circulation de chèques entre l’association SOS Racisme, des proches de Monsieur DRAY et ce dernier.
La première plainte était dirigée contre la rédaction de Médiapart pour des articles rendant compte des conclusions de la Brigade financière et du rapport du Parquet de Paris à la suite d’une enquête préliminaire ouverte après un signalement de TRACFIN concernant les associations Les Parrains de SOS Racisme et la FIDL, proches du député de l’Essonne.
Monsieur Dray, homme public prompt aux débats et aux leçons de morale, avait peu goûté qu’un organe de presse use de son droit d’investigation et d’information en rapportant les conclusions du rapport du Procureur Marin particulièrement accablantes pour l’intéressé et son entourage.
En effet, ce rapport relevait que des sommes sorties des caisses des associations des Parrains de SOS Racisme , de la FIDL et de « SOS Racisme » avaient in fine été encaissées par Monsieur Dray sous forme de prêts, selon un processus plusieurs fois répété. Le Procureur avait en fin de compte mis hors de cause le député socialiste de ce chef au motif notamment que ce dernier ne pouvait avec certitude connaître l’origine des fonds dont il avait bénéficié. La procédure se conclura par un simple rappel à la loi signifié à Monsieur Dray et à une partie de son entourage, tous professionnels de la politique et du militantisme associatif.
Cette affaire, qui a mis en lumière les mœurs d’une caste politique dont la proximité prolongée du pouvoir donne un sentiment d’impunité, servait parallèlement de marche pied pour une réforme chère au Président d’alors, Monsieur Sarkozy, à savoir la disparition des juges d’instruction. Juges du siège, et donc sans lien hiérarchique avec le Garde des sceaux à la différence du Parquet, les juges d’instruction qui s’étaient depuis plusieurs années pleinement saisis de leur indépendance n’avaient pas l’heur de plaire à un exécutif supportant mal la séparation de pouvoirs.
L’instruction fut donc menée lors d’une enquête préliminaire à rallonge sous l’égide du seul Parquet qui souhaitait d’une part, démontrer qu’il pouvait traiter une affaire en un temps bien plus court que celui de l’instruction, et afficher, d’autre part, une feinte indépendance par rapport à l’exécutif en concluant par un rappel à la loi une affaire très embarrassante pour une opposition drapée dans la morale.
Le seul fait de rappeler ces informations indispensables pour éclairer nos concitoyens sur les pratiques de la politique contemporaine est bien sûr insupportable pour les personnes concernées.
Alors on se livre à une commune et banale instrumentalisation de la justice en déposant une plainte en diffamation non suivie d’effet pour défaut de consignation. On peut ainsi brandir dans les médias un acte judiciaire valant, avant tout jugement, dénégation formelle des faits gênants rapportés. Cette procédure avortée sert momentanément à revendiquer un monopole de la parole sur les sujets que l’on veut éluder des débats. Elle est un signal donné à l’attention de ceux qui entendent concourir pleinement à la démocratie d’opinion.
Cette instrumentalisation de la justice est d’autant plus inacceptable qu’elle émane d’un homme public, qui s’est longtemps fait professeur de moral, et dont le moins que l’on puisse attendre est qu’il affronte le débat sans faux-fuyant. Elle témoigne surtout d’un mépris pour une institution judiciaire déjà saturée de dossiers et ne reposant que sur le dévouement quotidien de ses acteurs. Certes, il n’est pas question ici de contester à quiconque la faculté de faire valoir ses droits et d’user sans abuser de toutes les arcanes de la procédure. Ce dont il s’agit c’est de relever un usage de l’institution judiciaire à des fins bien étrangères à la justice elle-même, dont la finalité est de museler le débat et l’information. Cette pratique n’est qu’une illustration bien modeste du comportement irresponsable d’une classe politique qui n’hésite plus à se jouer des institutions et à bricoler la constitution, aux termes de médiocres et dangereux calculs électoralistes, et qui s’apprête à voter sa propre déchéance morale.
Jean-Christophe BONTE
[1] BONIFACE ( Pascal), Les pompiers pyromanes, Max Milo, 2015, 241 pp.